Alternatives citoyennes Numéro 12 - 27 novembre 2004
des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
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« Islam de France » contre « islam en France » ?

 

G rand amateur de formules médiatiques, Nicolas Sarkozy ne cesse de répéter que toute son action en matière d'organisation de la pratique du culte musulman en France vise à construire un « islam de France », pour éviter un « islam en France » dont il y aurait tout à craindre et notamment en matière d'influences étrangères et d'extrêmisme, selon ses nombreuses déclarations à la presse. Dans un livre d'entretiens récemment publié, La République, les religions, l'espérance, l'ancien ministre français en charge des cultes formule une proposition qui a fait grand bruit en France, sur fond à la fois de débats houleux sur la laïcité - notamment après la loi sur le port du voile à l'école -, de bataille pour le leadership de la droite française, et de dissensions au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM). Dans son ouvrage, Nicolas Sarkozy propose ni plus ni moins que de modifier la loi française de 1905, dite de séparation des Églises et de l'État.

Si cette loi énonce en son article premier que « la République assure la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l'intérêt de l'ordre public », elle affirme tout de suite après, dans son article deux, que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Or Nicolas Sarkozy propose justement le financement des lieux de culte par des fonds publics, visant essentiellement, mais non uniquement, l'édification de mosquées. À l'appui de cette proposition, Nicolas Sarkozy, fidèle à son habitude, n'est pas en veine de déclarations démagogiques (« Les musulmans ne sont pas au-dessus des lois, c'est vrai, mais prenons garde à ce qu'ils ne soient pas non plus en dessous ! »), ou supposées pleines d'un bon sens primaire qui fait l'impasse sur tous les débats ayant conduit à l'adoption de la loi de 1905 (« On trouve naturel que l'État finance un terrain de football, une bibliothèque, un théâtre, une crèche ; mais à partir du moment où les besoins sont cultuels, l'État ne devrait plus engager un centime ! »). Mais l'argument massue, celui qui ne sera guère contesté, est celui de l'ingérence étrangère : « cela permettrait d'assurer un enracinement national et de se protéger d'un certain nombre d'influences étrangères, notamment s'agissant de l'islam ». Sont visés ici des pays comme l'Algérie et le Maroc, mais surtout l'Arabie Saoudite.

Cette influence n'est pas nouvelle, elle s'est d'ailleurs traduite dans les rapports de force qui ont présidé à la composition actuelle du CFCM. Cette instance, voulue par les gouvernements français successifs, demeure à la fois très contestée et très divisée depuis sa création en avril 2003 [NDLR. Voir en fin d'article l'encadré « Du rififi au CFCM » pour le détail des enjeux qui traversent le CFCM]. Le rapport de force entre les différentes mouvances a encore évolué, et à l'approche des prochaines élections au CFCM, qui doivent avoir lieu en avril 2005, la bataille fait rage : démissions, menaces de bouder les élections, insultes, sont autant de manifestations extérieures de la crise. Dominique de Villepin s'est employé à rétablir un certain calme en recevant les principaux membres du CFCM le 16 novembre dernier.

« Taxe halal », fondation d'utilité publique : et les musulmans français dans tout ça ?

C'est que l'actuel ministre en charge des cultes a des affaires bien plus sérieuses à traiter : il s'agit en effet pour ce fidèle de Jacques Chirac de contrer la proposition de Nicolas Sarkozy de modification de la loi de 1905, dernière offensive en date du prétendant à l'Elysée en 2007. C'est ce que s'est employé à faire Dominique de Villepin lors de la rencontre du 16 novembre, en présentant son projet de création d'une « fondation pour les oeuvres de l'islam », une structure juridique qui serait compatible avec les dispositions en vigueur de la loi de 1905. D'après l'AFP, la fondation pourrait recevoir des fonds privés en France, mais aussi des fonds publics ou privés d'origine étrangère (les Saoudiens se seraient déjà déclarés intéressés). Ces fonds seraient gérés « avec transparence et traçabilité », grâce notamment à la présence dans le Conseil d'administration de la fondation de représentants d'associations musulmanes mais aussi de l'État français (ministère de l'Intérieur en charge des cultes, ministère des Affaires sociales et ministère des Affaires étrangères, ainsi que la Caisse des dépôts, une institution financière publique qui agirait en tant qu'expert).

Cette idée semble la plus viable, après d'autres qui ont été émises, comme le financement du culte par une taxe sur la viande halal, vite écartée. Aux dernières nouvelles, l'annonce de la fondation aurait toutefois été accueillie froidement par les composantes du CFCM. Certaines, comme l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), sont plus préoccupées des dissensions internes ; d'autres, comme Kamel Kabtane (recteur de la Mosquée de Lyon), demeurent sceptiques, déclarant au journal Le Monde (18 novembre 2004) : « on nous reprochait de recevoir de l'argent de l'étranger. Maintenant, on le légitime. Est-ce que l'argent venu d'Algérie, touché par la Mosquée de Paris, sera pris en compte ? », et montrant ainsi que son contentieux avec Dalil Boubakeur (recteur de la Mosquée de Paris) est loin d'être apaisé, alors même que le Conseil régional du culte musulman (CRCM) de Rhône-Alpes était, après les élections de 2003, le seul Conseil régional issu de la « tendance Mosquée de Paris ». Comme rebondissement le plus récent, la réunion du CFCM du 18 novembre a quasiment rejeté la proposition, l'UOIF ayant déclaré « craindre une nationalisation » de l'islam, faisant la contre-proposition d'une « exonération de la TVA sur la construction des mosquées » (Libération du 19 novembre 2004). L'affaire est loin d'être close.

Finalement, des luttes de pouvoir entre les différentes tendances du CFCM à la volonté d'une reprise en main par l'État français, on s'occupe, dans cette affaire, beaucoup d'islam et peu des musulmans. Ceux-ci se contenteraient peut-être bien de voir leurs problèmes réels, comme le racisme et les discriminations, résolus. Qui pourrait prendre ces questions en main, sinon eux-mêmes en tant que composante à part entière de la société française ? Encore faudrait-il savoir ce que signifie être musulman en pays laïque.

Confessionalisation du débat politique et social

Sans entrer dans cette discussion sur la difficulté du sujet musulman à se concevoir comme citoyen [NDLR. voir à ce sujet dans ce numéro d'Alternatives citoyennes l'entretien que l'historien Hichem Jaït a accordé à la rédaction, ainsi que la rubrique culture des numéro 9 et numéro 10 de notre journal], il reste que l'ouvrage de Nicolas Sarkozy constitue une étape supplémentaire dans une confessionalisation préoccupante des termes du débat politique et social. Serait-ce le stade ultime de l'« ethnicisation des phénomènes sociaux » que l'anthropologue Dounia Bouzar, d'ailleurs membre du CFCM, dénonce avec bien d'autres et tout à fait justement en montrant à quel point elle renvoie l'autre, même citoyen français parfaitement intégré, à sa condition d'étranger ? L'idée d'un monde binaire et manichéen n'est en effet pas l'apanage de George W. Bush. On observe actuellement en France une dangereuse dérive de ce débat, dont les enjeux politiques, économiques, sociaux et culturels tendent à être polarisés sur la religion et singulièrement sur l'islam, pour, au final, être mieux occultés.

Moments forts de ce processus, les débats à propos de la loi sur le voile à l'école ont suscité une radicalisation de la société française et des déchirements, notamment au sein de la gauche dans ce pays, qui laisseront des traces. On retrouve d'ailleurs les mêmes protagonistes dans la volonté d'instrumentalisation du débat sur le racisme et la course à la victimisation, dont certains, parmi lesquels les associations SOS-Racisme et Ni putes ni soumises, prennent prétexte de la laïcité, ou plutôt de la participation d'associations confessionnelles musulmanes telles l'UOIF ou le Collectif des musulmans de France (proche de Tariq Ramadan) à des manifestations unitaires comme celle organisée le 7 novembre 2004 à Paris et dans plusieurs autres villes, pour se démarquer du combat qui s'affiche clairement contre tous les racismes sans hiérarchisation, combat conduit notamment en France par la Ligue des droits de l'homme et le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP). Le MRAP, qui fait l'objet de diffamations virulentes depuis un certain temps notamment à cause de son soutien à la cause palestinienne, a d'ailleurs récemment confirmé les infiltrations de l'extrême-droite dans des mouvements qui se présentent comme laïques et antiracistes, infiltrations qu'avaient relevées un article du journal Le Monde (17 novembre 2004).

Parmi les auteurs de ces propos injurieux contre le MRAP (et contre d'autres comme le chercheur Vincent Geisser, auteur de La nouvelle islamophobie, paru en septembre 2003), on trouve notamment le responsable d'un certain Mouvement des maghrébins laïques de France (MMLF), dont les amitiés semblent plus que contestables. Dernier avatar de cette campagne acharnée contre le MRAP, la démission de l'écrivain d'origine tunisienne Albert Memmi du comité de parrainage du MRAP, qui a déclaré à l'AFP que « l'antiracisme et la tolérance ne doivent pas amener à la complaisance, sinon à la complicité avec des mouvements et des personnalités rétrogades et xénophobes ». D'après le MMLF, Albert Memmi serait même venu lire son texte de démission lors de la conférence de presse organisée le 5 novembre 2004 par cette association pour présenter son rapport contre le MRAP, cautionnant ainsi cette démarche. Il est vrai que l'auteur du Portrait du colonisé en 1957 mais aussi du très désabusé Portrait du décolonisé en 2004 semble récemment se laisser prendre à certains amalgames, notamment lorsqu'il déclarait le 5 novembre qu'« il serait désastreux et peut-être criminel que l'antiracisme serve d'alibi à autre chose qu'à la lutte contre le racisme ».

Intellectuels de « culture musulmane » pour une « laïcité vivante »

C'est dans ce contexte troublé, mais néanmoins avant qu'il n'atteigne ces récents sommets, qu'un groupe d'intellectuels a entrepris au début de l'année 2004 de lancer le Manifeste des libertés, proclamant « être de culture musulmane et contre la misogynie, l'homophobie, l'antisémitisme et l'islam politique », pour « retrouver la force d'une laïcité vivante ». Certainement pas soupçonnable des mêmes relations sulfureuses que le MMLF, le collectif à l'origine du Manifeste en expose la genèse comme celle de « son écriture, collective, par un petit groupe d'Algériens déjà très sensibilisés et actifs sur la question de l'oppression des femmes au Maghreb, révoltés par les propos tenus lors des manifestations de femmes voilées ici en France, et résolus à ne pas laisser confisquer leurs opinions et points de vue par des gens parlant "au nom de l'islam" ».

Pourtant, loin de réellement mener la bataille sur le front intellectuel de l'intérieur pour tenter de jouer les passeurs de la modernité vers l'islam (selon les termes de Latifa Lakhdar qui exprimait cet espoir dans le numéro 9 d'Alternatives citoyennes), ces intellectuels semblent plutôt préoccupés de donner des gages à une société française entraînée, à grands renforts médiatiques, sur une pente bien glissante. Ainsi, le Manifeste se contente de traiter les points d'un agenda qu'ils n'ont aucunement été associés à dresser, et encore moins à définir : affirmer l'égalité des sexes comme préalable à toute démocratie, dire halte à l'homophobie, s'affirmer contre l'antisémitisme, voilà bien des objectifs nobles qu'aucun démocrate ne songerait à nier, mais pourquoi faut-il que, seuls, ils constituent l'ossature de ce Manifeste, sauf par volonté de ses auteurs de « montrer patte blanche », de présenter leur « brevet de musulman fréquentable », pour ainsi dire ? On note d'ailleurs que la liste des amis du Manifeste (considérés de culture autre que musulmane, donc), est à l'heure où nous écrivons plus longue que la liste des signataires du Manifeste (« femmes, hommes, de culture musulmane - croyants, agnostiques, ou athées »).

Bien que les signataires du Manifeste recommandent aux jeunes Français issus de l'immigration de « retrouver la force d'une laïcité vivante, c'est-à-dire de l'action politique au quotidien pour faire avancer leurs droits et se revendiquer des acquis pour lesquels se sont souvent battus leurs pères et leurs mères, qui appartenaient à des classes sociales, des cultures, des peuples, des nations, avant d'appartenir à l'islam », objectif et analyse dont la justesse ne peut que rassembler largement, il n'est pas sūr que le collectif qui en est à l'origine puisse contribuer à les y aider en faisant sien ce terme faussé du débat qui les conduit à s'identifier par la seule culture musulmane.

Certes, il y a des objections exprimées par des signataires ou même des membres du collectif, à commencer par le psychanalyste tunisien Fethi Benslama qui les formule brillament : « voici que, tout d'un coup, j'accepte de me laisser prendre dans ce que j'ai essayé, de toutes mes forces, de combattre et de déjouer : que ce nom de "musulman" me désigne, m'arraisonne, me réduit au sujet d'une souveraineté, faisant corps avec d'autres du même nom, de la même origine, de la même croyance [...]. Ce n'est pas le mot "culture" qui atténue à mes yeux l'intolérable de l'assignation ou de l'auto-assignation, car, même s'il introduit de l'hétérogénéité non sacrée, il ne nous délivre pas de l'assimilation identitaire, dont on connaît tous les usages ethno-culturalistes et nationalistes ». Dans un autre registre, l'historienne Sophie Bessis, tunisienne elle aussi, explique pourquoi elle aurait préféré se revendiquer, à travers le Manifeste, de l'espace arabo-musulman, ce qui lui aurait permis de n'être pas cantonnée aux seuls amis du Manifeste. Ils sont ainsi nombreux à avoir expliqué dans des contributions publiques pourquoi ils ont signé le Manifeste, tous malgré tel ou tel aspect du texte, tant et si bien que ses initiateurs se sont vus obligés de publier une mise au point : au-delà de la seule insatisfaction inévitablement provoquée par tout texte issu d'une rédaction collective et donc de nécessaires compromis, ces réserves souvent fortes et portant sur la substance même du Manifeste confirment l'impression de malaise.

Autre difficulté face à laquelle semble désarmé le collectif du Manifeste : quelle position prendre dans le débat actuel sur la laïcité, pour manifester justement cette « laïcité vivante » ? Il avait participé, en tant que tel, à la manifestation du 16 mai 2004 organisée à Paris notamment par SOS-Racisme et la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme sur le seul thème de la lutte contre l'antisémitisme, en prenant soin d'adopter une attitude ni-ni, y compris en se plaçant dans le cortège entre les porteurs de ce mot d'ordre des organisateurs et les défenseurs de la lutte contre tous les racismes (MRAP et Ligue des droits de l'homme) qui s'étaient joints à l'initiative pour ne pas laisser le terrain occupé par les tenants d'une « communautarisation » du combat antiraciste. Mais le collectif était singulièrement absent de la manifestation du 7 novembre 2004 qui se voulait, elle, vraiment unitaire. Cela laisse songeur sur son entendement de la laïcité et, en tout état de cause, le débat n'est pas près d'être remis sur des bases autres que confessionnelles, du moins pas par ce collectif qui semble avoir grand mal à trouver sa voie.

- Nicolas Sarkozy. « La République, les religions, l'espérance » (entretiens avec Thibaud Collin et Philippe Verdin). Ed. du Cerf. Paris, novembre 2004. 176 pages.
- Collectif du Manifeste. Site du Manifeste des libertés. www.manifeste.org.

 

Meryem Marzouki

Du rififi au CFCM

L'influence de certains États étrangers sur le CFCM n'est pas nouvelle, elle s'est d'ailleurs traduite dans les rapports de force qui ont présidé à la composition actuelle du CFCM. Cette instance, dont la mise en place est issue de longues consultations organisées successivement par trois ministres (Jean-Pierre Chevènement, Daniel Vaillant puis Nicolas Sarkozy), résulte d'une volonté politique de l'État français de disposer d'un interlocuteur et de tenter de maîtriser l'organisation d'un islam de France, mais n'a pas su gagner crédibilité ni légitimité, malgré sa tentative de se prévaloir d'un haut fait d'armes en se rendant en Irak pour tenter une médiation en vue de la libération des deux journalistes français retenus en otage, Christian Chesnot et Georges Malbrunot. Le CFCM demeure en effet à la fois très contesté et très divisé.

Issu d'élections en avril 2003 qui n'ont rassemblé que 4042 votants « représentant » 992 lieux de culte participants (en fait, il s'agit d'électeurs désignés par les associations gérant les lieux de culte), le CFCM ne peut sérieusement prétendre à la représentativité puisque non seulement 4042 votants est un nombre ridicule par rapport à la taille de la population musulmane de France, mais de surcroît la population des votants, telle que définie, écarte par définition tous les musulmans non pratiquants ou tout simplement non désignés par les instances de gestion des lieux de culte. On pourra objecter que les missions du CFCM visent essentiellement la pratique du culte (construction des mosquées, organisation des fêtes religieuses, en particulier de l'abattage rituel pour l'Aïd, nomination des aumôniers dans les institutions, formation des imams, etc.) mais d'une part on voit bien, comme avec la question de la loi sur le voile à l'école, que l'ampleur du débat dépasse largement la seule organisation pratique du culte, et d'autre part il est très contestable de réduire ainsi une identité si complexe et en même temps si partielle à la seule pratique d'un culte.

Le CFCM se voit également objecter son caractère anti-démocratique : ainsi, la composition d'une partie de l'instance pour son premier mandat (2003-2005) résulte non pas du vote mais d'une cooptation. En effet, les 41 membres élus en avril 2003 se répartissaient en 16 représentants de la Fédération nationale des musulmans de France (FNFM, dirigée par Mohamed Bechari et soutenue par le Maroc), 13 de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF, dirigée par Fouad Alaoui et réputée proche des Frères musulmans), 6 de la Mosquée de Paris (sous le leadership de son recteur, Dalil Boubakeur, et contrôlée par le gouvernement algérien) et enfin 6 représentants de musulmans turcs, réunionnais et dits « indépendants ». Alors que ces résultats ont constitué un camouflet pour la « tendance algérienne », la négociation a pourtant permis d'élire Dalil Boubakeur comme président du CFCM, accordant une vice-présidence à chacun des représentants de la FNFM et de l'UOIF. La lutte a également été rude au niveau local, puisque le vote a été organisé par régions, dont sont issus 25 Conseils régionaux du culte musulman (CRCM).

Le rapport de force entre les différentes mouvances, y compris à travers l'enjeu des CRCM - dont un seul, celui de la région Rhône-Alpes, présidé par le recteur de la Mosquée de Lyon, Kamel Kabtane, était dit « tendance Mosquée de Paris » - a encore récemment évolué. Alors que les dirigeants du CFCM doivent remettre leur mandat en jeu au cours de prochaines élections prévues en 2005, la bataille fait rage avec notamment la démission de Kamel Kabtane à la mi-octobre 2004, à la fois de la présidence du Conseil régional et de sa fonction de trésorier du CFCM. Il déclarait alors à l'AFP que le CFCM « échappe à sa mission d'origine, qui devait se limiter aux affaires cultuelles. De plus, ces questions sont traitées uniquement au niveau parisien, en fonction d'enjeux dans lesquels ne se reconnaissent plus les musulmans ». Kamel Kabtane menaçait surtout de créer une structure parallèle au CFCM, la coordination des CRCM, dont il aurait pu prendre la direction. Dalil Boubakeur, craignant pour sa réélection et pour l'influence de la « tendance algérienne », et par ailleurs coutumier des luttes de pouvoir, avait à la mi-septembre ouvert une crise en déclarant que la Mosquée de Paris ne participerait pas aux élections de 2005 si le règlement électoral, qu'il estime défavorable à son égard, n'était pas modifié. Agitant le spectre d'un islam fondamentaliste, Dalil Boubakeur traitait alors les principales tendances rivales (FNFM et UOIF) d'« intégristes » et de « fondamentalistes », pour se prévaloir d'un « islam modéré » en rempart à ces extrêmismes : « veut-on un culte musulman abandonné à un islam radical, ou bien une communauté dirigée par un islam modéré ? Que l'opinion soit juge ! Ce que je sais, c'est que le ministre m'a affirmé, mercredi 10 novembre, que son choix était clairement celui de l'islam modéré, mais qu'il avait hérité malgré lui du "bébé" du CFCM », déclarait ainsi le recteur de la Mosquée de Paris au journal Le Monde (13 novembre 2004).

Depuis, les passions semblent plus calmes : Dalil Boubakeur s'est rétracté et participera aux élections, Kamel Kabtane continue de prendre sa part dans les discussions, l'UOIF ne réclame plus d'excuses suite aux « insultes » de Dalil Boubakeur, préférant déjeuner avec celui qui les avait proférées, et Dominique de Villepin a reçu le 16 novembre tout ce beau monde pour sceller la réconciliation... jusqu'à quand ?

Meryem Marzouki

 

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