'est certainement le constat le plus probant de cet octobre culturel - un seul mois sur douze - où se sont
rejointes des manifestations, cinématographiques avec la XXe session des Journées Cinématographiques de Carthage
(J.C.C.) et musicales avec l'Octobre musical, qui ont drainé des foules. Il y en a tant - si j'étais mauvaise langue,
je dirai que pour nous dégoûter de la culture, on nous en offre une véritable overdose - qu'on ne sait plus quoi
choisir ni où aller, sans compter que le budget s'en ressent. C'est dire que les moyens matériels des spectateurs
opèrent une véritable sélection.
La musique est chère (15 dinars la place), elle va d'ailleurs se nicher sur les hauteurs de Carthage, raffinement
que ne contredit pas un programme fin et varié digne de ce festival international de musique classique. Toute une
jeunesse assoiffée de culture ne peut y accéder, en raison de la bourse, réduite pour la majorité des étudiants
ou lycéens à sa plus simple expression, et en raison de l'éloignement : en profite une intelligentsia aisée et
motorisée à qui d'ailleurs, finalement, le programme s'adresse.
Quant aux J.C.C., malgré le foisonnement de très bons films africains, arabes, allemands et chinois, elles
entretiennent un puissant sentiment de frustration pour les mêmes raisons matérielles : la place est à 1 dinar pour
les étudiants et lycéens et il y a trois séances voire quatre par jour sur environ dix jours, faites le compte !
C'est cher pour les jeunes et même pour les moins jeunes... On a envie de tout voir, on n'en voit que très peu...
Mais enfin, l'animation dans les rues nous change de la morosité des onze autres mois et l'idée de projeter un film
en pleine avenue Bourguiba, lampadaires éteints, à partir du ministère de l'Intérieur avec pour écran les jets
d'eau de la place du 7 novembre est une véritable merveille : c'est beau, c'est original et c'est gratuit. Ouf,
enfin du neuf...
Cela nous ferait presque oublier la rareté des débats autour de ces films qui pourtant, pour beaucoup d'entre eux,
nous interpellent puissamment puisqu'ils nous parlent des maladies dont nous souffrons : le totalitarisme,
l'absence de démocratie, la guerre, l'indigence culturelle, les manipulations de la religion, le racisme et le
sexisme sous toutes leurs formes, et cette prise en tenaille entre la tradition et la modernité.
Nous y expulserons donc nos révoltes, nos frustrations, par ce phénomène que les psychanalystes désignent sous le
joli nom de « projection » : ainsi, quand l'acteur parle, c'est comme si nous le faisions nous-mêmes, quand les
images nous giflent, c'est comme si nous nous battions. Alors, repus et heureux d'avoir entendu dire par d'autres,
publiquement et sur grand écran, ce que nous pensons, ce dont nous souffrons, nous quitterons la salle le film une
fois terminé, et nous replongerons dans le programme pour y choisir le prochain film, la prochaine salle ou nous
nous engouffrerons.