Moustaqilla : la fin de l'illusion
n annonçant dans une brève du numéro 7 le coup de barre à droite de Moustaqilla,
Alternatives Citoyennes ne se trompait pas. En effet, cette émission de télévision (car on ne
saurait parler de chaîne) pendant deux heures le dimanche (rediffusée en cours de semaine) sur un
canal kurde, a décidé de ne plus traiter des affaires tunisiennes et de porter son intérêt à des
débats mornes sur le Moyen-Orient. C'est un terrain où elle se fait largement distancier par
d'autres télévisions arabes, particulièrement Al-Jazira, et où elle lasse l'opinion tunisienne.
Le tournant public était pris il y a un mois avec deux émissions offertes à deux « militants de
base » du RCD, tandis que la prestation de Moncef Marzouki, non rediffusée, bouclait
moins d'une année de diatribes contre le régime tunisien qui firent les dimanches ravis des
téléspectateurs frustrés d'une expression critique, souvent radicale.
Après avoir hébergé les ténors de l'opposition tunisienne et offert quelques minutes
hebdomadaires au « Poète », l'iconoclaste Taoufik Ben Brik et à un temps d'antenne
francophone acheté par Reporters Sans Frontières, voilà que Moustaqilla tourne casaque,
annulant sans le prévenir l'émission du 10 mars dont l'invité devait être Omar S'habou, ancien
directeur de l'hebdomadaire indépendant Le Maghreb.
Selon quelques sources qui furent pendant un temps dans la familiarité (regrettable et sans
doute regrettée aujourd'hui) de Hachemi Hamdi, le directeur de Moustaqilla aurait contracté
un deal avec des émissaires du régime tunisien. Il s'agirait de ne plus exercer de pression
sur les autorités tunisiennes pendant un an, afin que celles-ci puissent entamer un processus
de réformes politiques qui viendraient de leur propre initiative et non pas sous la
revendication, la menace ou le chantage.
Car on se souvient d'une intervention de Hachemi Hamdi menaçant de se présenter lui-même
aux prochaines élections présidentielles, en « continuateur démocratique de Bourguiba ». Et
oui, Hachemi Hamdi ne manque pas de culot !
Un mois plus tard, par un de ces retournements dont il a l'expérience, Hachemi Hamdi
proposait, à la suite de l'intervention de Hichem Jaït le 24 février, au chef de l'État tunisien
ses bons (mais probablement pas loyaux) services, dans un plaidoyer sur ses patriotisme et
disposition démocratique dégoulinant d'obséquiosité.
Désormais, Moustaqilla se taira complaisamment. Dans une dénonciation publiée sur
son site web, Tahar Belhassine, qui fut pendant quelques
mois dans une familiarité attentionnée et indulgente pour Hachemi Hamdi, fait son mea culpa
en laissant entendre que le silence de Hachemi Hamdi pourrait l'aider à une restabilisation
financière, ce qui est évidemment un euphémisme.
Quant aux autres opposants tunisiens qui firent bien des salamalecs à Hachemi Hamdi dont
l'itinéraire pourtant en disait déjà très long sur le personnage, ils se consolent en se rabattant
sur la chaîne islamiste Zeitouna TV et en prétendant qu'ils n'ont fait qu'instrumentaliser
Moustaqilla. On espère pour eux qu'ils n'ont pas fait trop de confidences à Hachemi Hamdi
qui pourraient tomber dans des oreilles moins obligeantes à l'égard de l'opposition tunisienne,
car ils pourraient bien se mordre les doigts de leur manque de discernement. Telle sera, du
reste, la mésaventure qu'ils vont aussi connaître prochainement avec la publication de
quelques-uns de leurs secrets aux éditions L'Harmattan.
Faire de la politique c'est sans doute parfois se commettre et avoir les mains sales, mais pas à
ce point d'aveuglement !
Quant à Hachemi Hamdi, pour ceux qui l'auront expérimenté dans le journalisme depuis une
vingtaine d'années, il aura sans doute encore de bonnes occasions d'ajuster ses positions.
Encore une publication qui sera interdite en Tunisie
n numéro spécial des Cahiers de Confluences vient de paraître aux éditions L'Harmattan. Ce numéro
intitulé « La Tunisie de Ben Ali : la société contre le régime » a été coordonné par Olfa Lamloum et Bernard
Ravenel. Nous nous contentons ici de l'annoncer car nous n'avons pas encore pu en prendre connaissance.
Le numéro est ainsi présenté par ses auteurs : « Le choix de la date de publication de cet ouvrage collectif n'est pas fortuit. Alors que le président Ben Ali
manoeuvre lourdement pour légitimer une quatrième et inconstitutionnelle candidature à l'élection présidentielle, il
nous a semblé opportun de revisiter ses 14 années de pouvoir. Il nous a semblé aussi opportun, alors que l'État
français renouvelle solennellement son soutien au régime tunisien dans le contexte de la « lutte globale contre le
terrorisme islamiste », de livrer aux lecteurs français des analyses critiques du régime politique actuel de ce pays
souvent présenté comme un havre de paix et de sérénité. « La Tunisie de Ben Ali : la société contre le régime » se
propose de restituer le profil des mutations qui ont profondément marqué la Tunisie des années 90. Il ambitionne de
comprendre comment et pourquoi la « promesse démocratique » de « l'ère nouvelle », inaugurée officiellement au
lendemain « du coup d'Etat médical » du 7 novembre 1987, n'a pas résisté à l'épreuve de l'exercice du pouvoir.
Ces analyses, proposées par des auteurs aux horizons divers, sont complétées par une série d'entretiens avec des
acteurs de la scène politique tunisienne. Habituellement privés d'espaces de réflexion, de confrontation et de
liberté intellectuelle dans leur pays, ils livrent leurs analyses et avancent leurs propositions pour sortir la
Tunisie de l'absurde et étouffante situation actuelle ».
Au sommaire de ce numéro, on trouve les articles suivants :
Introduction, Olfa Lamloum et Bernard Ravenel
Première partie : Régime, pratiques et discours
- La pauvreté en Tunisie : présentation critique, Raouf Saïdi
- « Il n'y a pas de miracle tunisien », Entretien avec Béatrice Hibou
- Développement et libéralisation économique en Tunisie, Delphine Cavallo
- Le jeu de bascule de l'identité, Ilhem Marzouki
- L'indéfectible soutien français à l'exclusion de l'islamisme tunisien, Olfa Lamloum
- L'université tunisienne dans tous ses états, Moncef Ben Slimane
- Un régime à contre-courant de l'évolution du pays !, Kamel Jendoubi
- Modernité et monde arabe, Burhan Ghalioun
Deuxième partie : Société civile, entre répression et renouveau
- Les droits de l'Homme : entre discours et pratique, Entretien avec Donatella Rovera
- Le renouveau du mouvement démocratique tunisien, Sadri Khiari
- Autoritarisme étatique et débrouillardise individuelle, Larbi Chouikha
Troisième partie : La parole aux Tunisiens : résistances, stratégies, la question de l'alternance.
- Entretien avec Mustapha Ben Jaafar
- Entretien avec Sihem Ben Sedrine
- Entretien avec Khemaïs Chammari
- Entretien avec Fathi Chmakhi
- Entretien avec le Dr Mohammad Al-Hachimi
- Entretien avec Moncef Marzouki
- Entretien avec Tunisnews
Quatrième partie : Document
- « Déclarer l'échec de l'islamisme politique relève de la précipitation », entretien avec Rached Ghannouchi
- D'un modèle à l'autre, réflexions de l'autre rive, Bernard Ravenel
Les commandes peuvent être adressées à :
Revue Confluences Méditerranée
3, rue Alfred Bruneau
75016 Paris
Tél. et Fax : +33(0)145240048
Ou à Anne Volery au +33(0)143660979 ou au +33(0)665901676 (anne.volery@wanadoo.fr)
Site web de la revue : http://www.ifrance.com/Confluences/
La LTDH et la réforme constitutionnelle
a Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme vient de rendre publique sa position sur le projet
d'amendement de la réforme constitutionnelle, position qu'elle prend en tant qu'institution
nationale intéressée au premier chef à une évolution démocratique dans le pays et à la garantie
constitutionnelle des droits et libertés publiques.
Dans ce communiqué en date du 15 mars, la LTDH après avoir passé en revue l'ensemble des
nouvelles dispositions qui pourraient constituer autant d'amendements du texte
constitutionnel, souligne l'intérêt qu'il y a à inscrire dans la Constitution des garanties en
matière de droits de l'homme et notamment les Conventions internationales auxquelles la
Tunisie a adhéré et qui pourraient être susceptibles d'être à la source de certaines lois.
La Ligue considère qu'une référence à ces Conventions devrait figurer dans le préambule de la
Constitution.
Mais au plan des nouvelles dispositions proposées à la réforme, la LTDH considère qu'elles
n'apportent aucune amélioration démocratique de la Constitution et partant, des institutions
républicaines. À l'inverse, elles renforcent le déséquilibre entre les pouvoirs, soumettant d'une
certaine manière le législatif à l'exécutif (particulièrement au niveau du rôle des deux Chambres
dans les projets de loi).
Bien plus, la LTDH considère qu'elles contribuent à renforcer le pouvoir personnel. Enfin,
alors qu'un grand mouvement revendicatif se fait depuis longtemps pour l'indépendance et la
dignité de la justice, le pouvoir judiciaire se trouve ignoré et marginalisé dans ce projet de
réforme.
Aussi, la LTDH fait une proposition qui semble s'inscrire dans un mouvement général de
l'opposition. Ainsi, la LTDH demande que le processus ouvert dans le sens d'une réforme
constitutionnelle soit interrompu et laisse place à l'ouverture d'un vrai débat autour des
nécessaires et urgentes réformes politiques à entreprendre.
Hijab
n certain nombre de pressions auraient repris à l'encontre des femmes travaillant dans la
fonction publique et portant le hijab. La LTDH signale dans un communiqué en date du 15
mars que quelques femmes enseignantes sont victimes de ces pressions et que l'une d'entre
elles devrait passer pour cela devant le conseil de discipline. Cependant, ce traitement est
inégal selon les régions.
Par ailleurs, le mouvement islamiste aurait appelé les femmes à se manifester le 8 mars par le
port du hijab. Ce message a été diffusé sur Internet.
L'UGTT et le référendum
u sortir d'une entrevue avec le chef de l'État, le 6 mars, Abdesselem Jrad, Secrétaire
général nouvellement élu de l'UGTT, a fait une déclaration rapportée par la presse dont
Echchaâb, organe de l'UGTT, déclaration où il affirme la considération de l'UGTT pour les
réformes politiques annoncées le 7 novembre 2001. Abdesselem Jrad a aussi assuré le chef de l'État de
l'adhésion des travailleurs au projet de référendum constitutionnel, expression démocratique
par excellence, à ses yeux, et il a annoncé la volonté des syndicalistes de participer le plus
largement possible à ce référendum en votant pour les réformes de la Constitution proposées.
Un grand nombre de syndicalistes, précisément, manifestent pour le moins leur surprise
devant cette déclaration et ces engagements du Secrétaire général de leur organisation. En effet, il n'a pas été
question de ces engagements lors du dernier congrès extraordinaire de l'UGTT, un mois plus
tôt, engagements qui devraient être pris au cours d'un Conseil national ou d'une Commission
administrative.
Les plus allergiques à ce genre de pratique unilatérale du « fait accompli » sans consultation de
quiconque, estiment que le Secrétaire général de l'UGTT aurait pu, à la suite d'entente préalable avec des
responsables politiques, différer à après le congrès de l'UGTT l'annonce de cette décision
grave qui aurait dû faire l'objet de discussions pendant le congrès. Mais alors, quel aurait été le
résultat des élections et le score de Abdesselem Jrad ?
Il reste les négociations sociales, affaire intéressant au plus haut degré les travailleurs. Voilà
une autre échéance qui risque d'apporter de nouvelles surprises !
LTDH adhésions
a LTDH vient d'adresser aux partis politiques et à un certain nombre d'organisations
nationales une lettre les informant de pressions que subissent leurs sections dans leur
campagne de renouvellement des adhésions à la Ligue, dans le cadre de la préparation du
prochain Congrès. Cette lettre fait état également d'un forcing opéré par le RCD pour que ses
propres militants puissent adhérer en nombre important à la Ligue au prix d'encouragements
et quitte même au paiement de leurs cotisations.
Saisie de Attariq Aljadid
e numéro 4 du mensuel Attariq Aljadid vient d'être saisi à l'imprimerie alors que depuis une
semaine il attendait d'être autorisé à la diffusion.
Ce numéro riche et varié comportait de
nombreux articles sur le projet de réforme constitutionnelle, un dossier sur le 8 mars autour de
Constitution et droits des femmes, un article sur l'indépendance de la justice et la reproduction
in extenso de l'excellente et dérangeante interview du professeur d'économie Hassine
Dimassi sur la menace pesant sur les acquis sociaux en Tunisie et les années-vérité qui
attendent notre pays. Cette interview est parue dans le numéro 7
d'Alternatives Citoyennes et était
reprise dans Attariq Aljadid conformément à nos accords de partenariat. Il y avait
également bien d'autres sujets sociaux et culturels dans cette livraison d'Attariq.
Le mouvement Ettajdid a protesté dans un communiqué contre cette saisie. Il s'agit là du
deuxième organe d'un mouvement d'opposition à ne pouvoir paraître librement. En effet, El
Mawqef, organe du PSP, avait été ramassé de la même manière et ne peut réapparaître depuis
décembre 2001 pour des problèmes financiers. Ces nouvelles entorses à la liberté de presse, à la
veille du 20 mars, augurent bien mal du mouvement de réformes politiques et notamment du
respect de la libre information qui avait été annoncé le 7 novembre 2001.
Rapport du CNLT sur l'état des libertés en Tunisie
e Conseil national pour les libertés en Tunisie
(CNLT), dont la porte parole est la journaliste Sihem
Ben Sedrine, vient de publier son deuxième Rapport sur
l'état des libertés en Tunisie recouvrant la période
qui s'étale d'avril 2000 à décembre 2001. Un bien
triste état en réalité que ce long document présente.
Le CNLT revient également de manière critique sur certaines
approximations ou erreurs contenues dans son rapport
précédent.
Centré sur la question de l'indépendance de
la justice, dont on a encore vu récemment, à
l'occasion du procès de Hamma Hammami, à quel point
elle pouvait être illusoire, le nouveau rapport du
CNLT cite de nombreux cas de juges qui auraient refusé
d'entendre les protestations des inculpés dont les
aveux avaient été arrachés sous la torture mais
également de médecins légistes, complices ou coupables
de leur peur, qui auraient fermé les yeux devant des
morts suspectes dans les commissariats.
Par delà les faits accablants que révèle ce rapport, un impératif moral, plus encore que politique, se
dégage à sa lecture : mettre un terme à la torture et à son impunité.
C'est d'ailleurs là une des revendications fondatrices du
CNLT. Les documents du CNLT sont
disponibles sur son site : http://www.cnlt98.org.