a Tunisie est à 100 jours des élections présidentielles et législatives. Au sommet de l'OUA à
Addis-Abeba, Kofi
Annan lance une petite phrase à méditer par tous les régimes africains dont le nôtre : « Il n'est pas de
plus
grande sagesse, de marque plus évidente du sens de l'État que de savoir, le moment venu, passer le flambeau à la
génération suivante. Et les gouvernements ne devraient pas manipuler ou modifier la Constitution pour se maintenir
au pouvoir au-delà des mandats prescrits qu'ils ont acceptés lorsqu'ils ont pris leurs fonctions. N'oublions
jamais que les constitutions existent pour servir les intérêts à long terme des sociétés et non les objectifs à
court terme des dirigeants. Engageons-nous à faire en sorte que l'époque de l'autocratie ou du monopartisme soit
bel et bien révolue ».
La Tunisie qui, selon les déclarations officielles, aurait voulu entraîner les pays arabes réunis au sommet de la
Ligue dans un grand mouvement de réformes, ne saurait demeurer elle-même en deçà de cet urgent projet d'autant que
les pressions américaines et européennes encouragent dans ce sens où vont également leurs propres intérêts.
Dès lors, à l'approche des échéances électorales, certaines tendances de la société civile et les partis
d'opposition, légaux ou non, considèrent qu'une brèche est ouverte pour prendre l'initiative politique et réengager
une dynamique démocratique qui d'ordinaire retombe vite.
Pour l'heure, ce sursaut à peine formalisé se fait sous le regard vigilant et jusqu'ici non interventionniste du
pouvoir qui de, toutes façons, a placé de fortes balises n'ouvrant qu'un étroit corridor à une expression
pluraliste. La révision constitutionnelle accordant au président en exercice une possibilité de briguer un nouveau
mandat verrouille davantage les issues exiguës ménagées par la loi électorale à d'autres candidatures à la
fonction présidentielle.
La loi sur les partis avait déjà mis hors d'état de nuire légalement des formations politiques ayant un référentiel
religieux. Quant à l'ensemble des libertés publiques qui, dans un État de droit, sont au fondement même de
l'exercice de la citoyenneté avec, au premier chef, le droit de chacun à choisir ses représentants, on en connaît
depuis de nombreuses années l'état de déliquescence.
Aussi, le champ politique apparaît-il comme un système formaté d'avance où la prévisibilité de la sanction des
urnes ne mériterait pas une once d'attention. La société tunisienne est d'ailleurs dans un tel état de délitement
et parvenue à un tel degré de déréliction que le seul pourcentage qu'il faudra soigneusement étudier, dans ses
formes et ses motivations, est le taux d'abstention (à supposer qu'il soit donné avec exactitude).
Tout cela est secret de polichinelle et pourtant quelques petites formations de l'opposition s'entêtent à
concourir, pas forcément jusqu'au poteau d'arrivée, mais pour créer le long de la course quelques zones de
turbulence.
Trois Offres Politiques Alternatives sont jetées sur ces élections. L'Initiative démocratique qui s'est
constituée autour de Et-Tajdid apparaît la plus paradoxale et celle qui se donne comme gageure de jouer à
une « Kharbga » que chacun sait obsolète et absurde. Militant de toujours du syndicat,
de l'opposition de
gauche et des droits de l'homme, Salah Zeghidi, en charge de l'information, la présente aux lecteurs
d'Alternatives citoyennes.
Deux autres partis légaux, le Parti Démocratique Progressiste (PDP) de Me. Nejib Chebbi et le Forum Démocratique
pour les Libertés et le Rravail (FDLT) du Dr Mustapha Ben Jâafar, se voient par la loi éjectés de la course à la
présidence. Leur réaction est pourtant différente.
Ainsi, au PDP on considère que tout citoyen a le droit de se présenter à la charge suprême et, dans cette logique,
le PDP encourage les candidatures multiples au moins jusqu'au 9 octobre, date à laquelle l'ouverture officielle de
la campagne claquera son dispositif légal sur les doigts des présomptueux et provocateurs contrevenants.
Le candidat du PDP jusqu'à ce jour fatidique est, bien sûr, son président, Me Nejib Chebbi. Au Forum démocratique,
on considère que c'est déjà peine perdue et l'on privilégie le boycott actif de l'élection présidentielle viciée
dès le départ par la révision constitutionnelle et la loi électorale. Par contre, le Forum associerait volontiers
ses forces et celles d'indépendants à celles du PDP pour des listes communes aux élections législatives. Peut-être
même le Parti Ouvrier Communiste de Tunisie (POCT) de Hamma Hammami y lancera-t-il sa propre vitalité d'autant que
jusqu'ici il se montre plus coopératif que par le passé avec les autres formations légales. Aussi attend-on
vraiment la bataille législative. À vrai dire, n'est-ce pas l'horizon privilégié (quoique non mis en avant
jusqu'ici) de l'Initiative démocratique autour de Et-Tejdid ?
À 100 jours des élections, les paris se prennent déjà chez des bookmakers des salons de Tunis sur les futurs
députés et les prochains dépités. Car, plus qu'en Algérie, la société réelle manifeste une vraie désaffection
vis-à-vis de l'ensemble de la classe politique. Mais déjà circulent des noms, des quotas, des parrainages et des
associations. Un politicien vedette, qui a le sens de la formule, lance déjà le slogan : Votez bleu
(Et-Tejdid) à la présidentielle, mais pas de bleu-bleu aux législatives, donnant ainsi le feu
vert au panachage probablement avec des listes indépendantes.
Du côté d'un présidentiable convaincu de pouvoir l'être, le Dr Moncef Marzouki en exil en France diffuse sur
Internet un réquisitoire sans appel contre « une mascarade électorale ». Le Dr Marzouki a lancé
pour l'occasion un
mouvement de « résistance démocratique » où l'on retrouve les noms des quelques membres de son parti
(Raouf Ayadi, Sadri Khiari, Om Zyed) et même, du bout de la plume, une grande signature islamiste.
Car c'est là tout le mystère : tous ces irrédentissimes, de Moncef Marzouki à Rached Ghannouchi, savent combien
avec le régime de Ben Ali la messe (présidentielle et parlementaire) est à peu près dite ; mais tous ont-ils les
mêmes atouts pour reconnaître les arcanes de la Providence ?