Alternatives citoyennes
Numéro 9 - 10 juillet 2004
Éditorial
La solitude du censeur de fond

 

Une bonne injection d'EPO, la drogue dopante des sportifs, voilà ce dont a besoin le pouvoir tunisien et que devraient lui procurer les pharmacies européennes et américaines. Car sur les 10 000 mètres steeple des droits et des libertés publiques, le démarrage alourdi d'archaïsme et sans grand entraînement, il perd vite haleine. Sans faire grand chose, il parle trop, on n'aborde pas une telle course de fond la bouche ouverte mais par des exercices de respiration profonde. Lui que le Freedom House place relativement en queue de peloton, se pique de marathon démocratique, histoire de faire garder la forme à ses citoyens qu'il met au pas plutôt qu'à la petite foulée du dimanche. D'ailleurs, il a horreur de tout ce qui bouge et ce n'est certainement pas debout dans une grande échappée qu'il préfère sa société.

L'État de droit surtout est asthénique et qu'elles s'exercent réellement en droits d'association, de réunion et à l'expression ou dans la virtualité de la navigation sur le web, les libertés en Tunisie ont besoin d'une solide cure vitaminique.

À l'ère des réformes depuis 1861 et en instruction généralisée depuis 50 ans, la population tunisienne ne souffre pourtant pas de ramollissement cérébral et a la prétention de choisir elle-même son avenir. Refusant l'insulte faite depuis trop longtemps à son intelligence elle s'insurge désormais contre l'oligarchie obsolète qui non contente de privatiser à son profit l'ensemble de son patrimoine symbolique, institutionnel et réel, s'entête aujourd'hui à s'approprier Internet faisant du maillage du réseau des réseaux un corset pour emprisonner.

Dans sa logique du tout-confisqué, le pouvoir tunisien croit que la modernité technologique c'est tapoter sur un clavier, écouler un ordinateur en pièces détachées, s'introduire dans le marché des fibres, des câbles et des logiciels, sous-traiter le prêt-à-porter informatique, faciliter les délocalisations de télémarketing en Tunisie, poser le strass de l'enseignement ou de la médecine à distance sur la précarisation des services publics, séminariser avec tambours et trompettes autour des technologies de la communication et même, comble de l'aplomb, héberger le Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI) tout en refusant à ses citoyens un accès normalisé à Internet !

Ainsi donc, une fois refermée la petite parenthèse de la réunion préparatoire du SMSI à Hammamet, il contrôle, déconnecte, emprisonne et ferme les sites qui ne sont pas dans sa vassalité. Notre journal, comme tous les sites d'associations et d'information indépendants, est à nouveau censuré. Nous nous proposions de conduire Alternatives citoyennes suivant le code et avec les scrupules d'une information éthique et indépendante. Le 22 juin 2004, notre message de reprise en définissait le projet, notamment dans le cadre du SMSI, auprès duquel nous porterons notre protestation commune à l'ensemble des sociétés civiles qui tentent d'imaginer un réseau Internet libre et solidaire.

Tous les présents à la réunion de Hammamet, représentants de la société civile internationale, d'organisations internationales, du secteur privé, des gouvernements de tous pays, ont vu de leurs propres yeux non seulement les méthodes pratiquées, mais aussi et surtout la vitalité et la justesse de la cause de ceux qui s'y opposent parce qu'ils ne sont pas, ou plus, prêts à se laisser faire. Même les plus modérés d'entre eux ont manifesté leur soutien, comme leur détermination à ce que cessent ces pratiques.

Ainsi, si la formule « trop d'information tue l'information » est devenue un cliché, du moins dans les pays où l'information est libre, il ne serait pas étonnant que, sous d'autres cieux, on constate bientôt que... trop de censure finisse par tuer la censure !

 

Nadia Omrane et Meryem Marzouki
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