Alternatives citoyennes
Numéro 8 - 20 mars 2002
International
États-Unis contre États voyous : la dispersion

 

À mondialisation inégalitaire, le clivage structural fonde la subdivision du monde verbal entre le bien et le mal. Par cette opposition discursive les tenants de la domination diabolisent les partisans de la révolution. L'inégale puissance est au principe de l'arrogance. L'implantation, partout, des bases américaines sape la fondation de la dignité humaine.

Cette irréciprocité a partie liée avec l'énonciation du droit à partir d'un lieu occupé par le non droit. Pareil manichéisme autorise Bush à percevoir le terrorisme sous chaque tarbouch. Aucune preuve de culpabilité n'étaye l'incarcération des afghans transférés. L'État voyou invoque la guerre puis soustrait Guantanamo à la règle de la guerre. L'État cow-boy pilonne un pays tout entier, jusqu'à séisme provoqué, pour dénicher l'insaisissable homme des neiges et des sommets. Le shérif de l'univers inspire son émule israélien puis, au moment pour lui opportun, le vitupère. Il feint la déception quand Arafat guette un improbable bateau de roquettes pour affronter la quatrième armée de la planète. Il théorise le terrorisme. Le droit n'est pas la force mais sa définition appartient au détenteur de la terreur. La projection sur le sol cubain et saoudien de la présence unilatérale explique la protestation à connotation profane, au scandale. Toujours le même, depuis la relève impériale des armées coloniales, un seul mot d'ordre brille au firmament de la contestation, « US go home ».

Pour Guevara l'extension de l'oppression suggère la multiplication et la synchronisation des foyers attisés par la révolution. Si l'armée américaine sévit partout un seul Vietnam ne suffit pas. C'est pourquoi les stratèges du grand manège ne croisent jamais les bras. Ils réduisent le spectre de la synchronisation par la tactique de la succession. Calmer le front palestinien pour embraser le ciel irakien après l'ouverture afghane brise, un à un, les candidats au même système d'alliance. Tant que l'Égypte s'offre à vendre, l'Irak sera frappé.

Mais la reproduction de l'opération éveille la prise de conscience et suscite l'indignation. L'histoire ne commence jamais avec une tour percutée. Dès lors il s'agit de conjurer, à l'avance, les périls de la connivence. Machiavel conseille à son prince de fourbir les armes destinées à le faire aimer par la force quand il ne sera plus supporté. Secret divulgué, la nouvelle doctrine des armes nucléaires met en forme la version moderne du cynisme. Si les sept pays voyous réagissent de concert, le maintien de l'hégémonie unipolaire exige la frappe simultanée de plusieurs Vietnams à la fois. Certes, le coût budgétaire ne va pas de soi. Déjà, pour les deux bourbiers perpétués du côté du pétrole contrôlé ou convoité, les rallonges réclamées dérangent.

Toutes les prétentions à la totalisation succombèrent à la tentation de l'extension. Au temps d'Hitler ou de Napoléon l'étendue piège la dispersion. Aujourd'hui l'Amérique subodore le risque fatidique. Après Hiroshima et Nagasaki la voilà qui recourt au dernier recours. L'État le plus armé du monde somme l'Irak de désarmer. À l'instant même, le soutien accordé contre vents et marées au dernier État colon suffit à condamner le terrorisme de l'État cow-boy. Mais pour imposer à l'ethnocentrisme forcené l'acceptation forcée de quelques inspecteurs-espions il manque le sabre à l'alliance avec le goupillon. Bush le bon ne comprend pas d'où vient la haine. Elle parvient de ses catégories de pensée. Inapte à concevoir une distance critique entre son intelligence éthique et sa position de force il donne à voir les rapports de force par des rapports de droit. Lui exige l'humiliation et Sharon espère la reddition. Qui leur demande l'adieu aux armes avant la négociation ?

Une fois désarmé qui peut encore espérer le respect de ses justes intérêts ? Après l'Inde et le Pakistan il revient aux tenants de la citadelle guerrière d'abandonner leur fantasme infantile, celui d'aseptiser la terre. L'infanticide irakien suffit quand bien même il serait question de recréer la solidarité par l'invention du risque externe. C'est bien de là que le vrai danger viendra.

 

Khalil Zamiti
Sociologue. Tunis.
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