Alternatives citoyennes
Numéro 7 - 18 février 2002
Économie
Porto Alegre : le défi social mondial

 

LLe deuxième Forum social mondial (FSM), qui vient d'avoir lieu à Porto Alegre, du 31 janvier au 5 février, a été le lieu de convergence des résistances mondiales au libéralisme et un terreau fertile pour l'ébauche d'alternatives sociales respectueuses des êtres humains et de la nature. Au même moment, à l'autre bout du continent américain, se tenait à New York le Sommet économique mondial. Ainsi, pendant quelques jours, le « vrai sommet » mondial qui a réuni, dans une ambiance amicale, joyeuse et non moins studieuse, les représentants des mouvements sociaux du monde et les défenseurs de la nature, s'est dressé face au « contre-sommet », lieu de rencontre des émissaires des multinationales et de la finance. Transférée à la hâte de Davos (Suisse), cette réunion des « maîtres du monde » s'est tenue sous haute surveillance (plus de 6 000 policiers) dans un building new-yorkais.

Porto Alegre a été à la fois lieu de contestation sociale, lieu d'échange entre mouvements sociaux du Sud et du Nord et lieu de réflexion, d'analyse et de propositions d'alternatives oeuvrant à la ré-appropriation sociale et démocratique de l'avenir de notre planète.

Les acteurs de ce « chantier » social intercontinental, furent plus de 50 000 délégué-e-s, femmes et hommes, jeunes et adultes, venu-e-s des quatre coins de la planète. Parmi cette foule, aussi nombreuse que diverse, l'on pouvait rencontrer les représentants du Mouvement des paysans sans terre du Brésil, dont les coopératives autogérées, instituées dans la foulée des occupations de terres, dessinent la perspective d'une agriculture paysanne, respectueuse des consommateurs comme de ceux qui travaillent la terre. Il y avait aussi les chômeurs et autres révoltés argentins, venus en masse dénoncer la politique antisociale et antinationale d'ajustement structurel, véritable alchimie libérale bricolée dans les « laboratoires » des institutions monétaires internationales, qui a mené à la ruine l'économie argentine qui fut la plus développée d'Amérique latine. En Argentine, comme auparavant dans les pays du Sud-est asiatique, le libéralisme vient de déposer son bilan après avoir pulvérisé la société et plongé des millions de citoyens dans la pauvreté et le chômage.

Une autre présence non moins remarquée fut celle des milliers de jeunes qui, depuis Seattle, Gênes ou Bruxelles continuent d'occuper, par milliers, les premières lignes d'une contestation sociale mondiale grandissante. Ou encore les paysans philippins, indiens ou bien européens, de Via Campesina, les chômeurs de Danone, les artisans de Côte d'Ivoire et autres délégué-e-s du Forum social africain de Bamako.

Ce petit peuple du FSM est la preuve vivante que le mouvement de contestation de la globalisation du capital, né il y a tout juste deux ans à Seattle, se poursuit toujours, mais plus encore, il ne cesse de prendre de l'ampleur.

Le deuxième FSM a été la première rencontre sociale mondiale de ce type après les événements tragiques du 11 septembre. Et l'on pouvait craindre un alignement d'une partie du mouvement social dans le Nord sur la politique impérialiste de Bush et consorts, ou au moins une profonde cassure sur la question de la guerre. Rien de tout cela n'a eu lieu. L'ampleur et la diversité de la participation à ce Forum ont démontré que toutes les tentatives, aussi bien policières qu'idéologiques, de criminalisation du mouvement anti-globalisation n'ont pas porté leurs fruits. Bien plus, jamais le mouvement n'a été aussi fort, aussi soudé et aussi anti-globalisation et anti-guerre. La déclaration des mouvements sociaux mondiaux en est l'illustration éclatante. Véritable manifeste social mondial, celle-ci a été on ne peut plus claire dans sa condamnation de la guerre : « l'opposition à la guerre est constitutive de notre mouvement » affirme-t-on.

Le mouvement social mondial se porte donc bien. Porto Alegre vient d'en donner une éclatante démonstration. Ce mouvement qui continue de se diversifier et de s'enrichir, a démontré qu'il a déjà acquis une grande maturité, en tout cas suffisamment pour avoir su résister à la terrible secousse qui a été provoquée par l'effondrement tragique des deux tours du World Trade Center. Non seulement il ne s'est pas placé sur des positions défensives, voire conciliatrices, vis-à-vis des puissances du capital et de ses représentants politiques, mais le FSM a continué de dénoncer le libéralisme et ses dégâts sociaux et environnementaux. Cela a été clair lors de la grande manifestation, ou bien dans les conférences plénières et dans les ateliers (plus d'un millier ont été organisés), qui ont permis aux 50 000 délégués de débattre de la production et de l'accès aux richesses, de l'affirmation de la société civile ou des questions de l'éthique et du pouvoir politique de même que des questions relatives à la sauvegarde de la nature.

Plus précisément, les activités du FSM ont été subdivisées en conférences (commerce international, entreprises transnationales, dette extérieure, travail, développement durable, eau...), dont une a été réservée à la rencontre entre le Brésil et l'Afrique, et en séminaires (plus de 100), et enfin en ateliers (quelques centaines). En parallèle, un camp international de jeunes a été monté dans un grand parc (Carlo Guiliano), qui fut animé par plus de 10 000 jeunes du monde entier. Le FSM a intégré aussi un programme culturel riche en activités théâtrales, musique, danse, cinéma, expositions de sculptures et de peintures, foires du livre...

L'un des moments forts de ce FSM a été sans doute le tribunal de la dette qui a couronné plusieurs années de luttes et d'analyses de cette question devenue aujourd'hui centrale pour l'écrasante majorité de l'humanité. Après deux jours de délibération la sentence a été sans équivoque : annulation totale et immédiate de la dette des pays pauvres pour libérer leur développement.

Enfin, au terme du Forum de Porto Alegre, le rendez vous a été pris pour l'année prochaine, à la même période et au même endroit, pour l'organisation du troisième FSM. Mais, en 2004, celui-ci se déroulera dans la ville de Bombay en Inde.

Note : le Manifeste des mouvements sociaux se termine par les revendications suivantes et un calendrier international des manifestations :

Nous luttons :
- pour le droit des peuples à connaître et critiquer les décisions de leur propre gouvernement, particulièrement en ce qui concerne leur politique au sein des institutions internationales. Les gouvernements sont comptables devant leur peuple. Alors que nous luttons pour l'établissement d'une démocratie électorale et participative dans le monde, nous insistons sur la nécessité de démocratiser les États et les sociétés, de lutter contre les dictatures.
- pour l'abolition de la dette externe et les réparations. - pour contrer les activités spéculatives : nous demandons la création de taxes spécifiques telles que la taxe Tobin et l'abolition des paradis fiscaux.
- le droit à l'information.
- les droits des femmes, contre la violence, la pauvreté et l'exploitation.
- pour la paix, nous affirmons le droit de tous les peuples à la médiation internationale avec la participation d'acteurs de la société civile indépendants. Contre la guerre et le militarisme, contre les bases et les interventions militaires étrangères, et l'escalade systématique de la violence, nous privilégions le dialogue, la négociation et la résolution non violente des conflits.
- pour le droit des jeunes à l'accès à une éducation publique gratuite, à l'autonomie sociale et pour l'abolition du caractère obligatoire du service militaire.
- pour l'autodétermination de tous les peuples, en particulier des peuples indigènes.

 

Fathi Chamkhi
Porte parole de RAID-Attac Tunisie. Tunis.
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