Alternatives citoyennes
Numéro 7 - 18 février 2002
Dossier
Syndicalisme
Un intellectuel critique éclaire les chemins du changement social
Interview de l'économiste Hassine Dimassi

 

Hassine Dimassi est professeur d'Économie à la Faculté des sciences juridiques et économiques de Sousse, dont il fut récemment le doyen. Mais il est également - et nous dirons surtout - un intellectuel critique, engagé depuis 20 ans dans la défense des acquis sociaux, pour la promotion d'un changement social dans l'intérêt des salariés mais aussi de l'ensemble des tunisiens et du pays ; enfin et pour tout dire, il participe à l'expérimentation d'une expression et d'une pratique démocratiques par la société civile en général et l'UGTT en particulier.

Dans cette interview il répond aux préoccupations des citoyens, prenant date des années-vérité à venir et éclairant les chemins d'un véritable changement social.

La rédaction

 

Nadia Omrane : Au vu du rapport économique et social dont vous avez assuré la coordination, quelles sont à votre avis les urgences qui seront au coeur des négociations sociales ou qui devraient être l'objet de grands débats de société où l'UGTT aurait son mot à dire ?

Hassine Dimassi : Je pense que ce qui est le plus urgent et nécessaire pour l'UGTT, c'est de rénover, voire de reconstruire, ses bases, qui demeurent en grande partie encore assommées par le vide étouffant qu'a subi cette centrale syndicale durant les années 90. Car, quels que soient ses choix et ses revendications, l'UGTT ne pourrait pas les défendre et les concrétiser avec des bases affaiblies et déboussolées.

Hassine DimassiCette reconstruction des bases implique d'abord un combat pour reconquérir la liberté de l'action syndicale, sérieusement érodée depuis le début des années 80. Cette reconstruction des bases nécessite aussi une véritable décentralisation du militantisme syndical, en impliquant les fédérations, les régions et les syndicats de base, non seulement dans les décisions corporatistes mais aussi dans les grands débats de société. Cette reconstruction exige enfin que l'accent soit mis sur la recherche et la formation des cadres, afin d'élever le niveau des débats et de rationaliser les revendications. Car, face à la terrible complexité des problèmes socio-économiques qui se posent aujourd'hui, les structures de l'UGTT restent entachées par ceux qui vivent encore sur des creux slogans d'antan ou par ceux qui se comportent en de « simples soldats de position ».

Quant aux grands débats de société où l'UGTT aurait son mot à dire, ils sont nombreux. Cependant, trois de ces débats retiennent l'attention.

Le premier de ces débats est relatif aux implications majeures de l'accord de libre- échange avec l'Union européenne. Car en signant cet accord, la Tunisie a engagé, consciemment ou inconsciemment, son devenir. Afin d'acquérir une capacité de résistance aux répercussions de cet accord, les travailleurs devraient saisir l'ampleur de cet enjeu en débattant de ses origines, de ses buts, de ses règles et des profonds bouleversements susceptibles d'être provoqués. Sur ce plan, l'UGTT a déjà fait un pas respectable, en réalisant une vaste étude sur ce thème (en 2000) et en lui consacrant une de ses « universités d'été ». Mais le chemin reste encore long, car les contraintes générées par cet Accord ne sont pas des contraintes de conjoncture mais plutôt de structure.

Le second de ces débats est celui concernant le rôle régulateur de l'État. Le discours dominant tout au long des années 90 a été de ceux qui voulaient substituer au « tout- État » le « tout-marché ». Actuellement, ce discours, démenti par les faits, s'essouffle, et la raison humaine penche de plus en plus vers le « mieux d'État ». Les travailleurs devraient donc être en mesure d'orienter les grands choix de l'État, afin de rééquilibrer la charge fiscale et de rationaliser l'allocation des ressources publiques. Ce chantier est vaste et ardu, car il soulève des questions complexes mais vitales pour l'avenir du pays, telles celles des prélèvement fiscaux, de l'endettement de l'État, des entreprises publiques, de la sécurité sociale, de l'éducation et la formation, de la santé, des transferts sociaux,...

Le troisième grand débat est celui de la liberté, et j'entends par là la liberté tout court. Car la liberté n'est pas divisible, et on ne peut concevoir une liberté syndicale sans une liberté d'organisation et d'expression dans le sens commun des termes. Et en l'absence de cette liberté, tous les grands débats de société, dont je viens de citer quelques uns, demeurent biaisés et donc viciés. Autrement dit, sans liberté, la boussole-débat devient elle-même déboussolée.

En tout cas, à travers les débats, les travailleurs devraient, pour l'essentiel, pouvoir prendre conscience qu'aujourd'hui nous transitons historiquement non d'une phase à une autre mais d'une époque à une autre. En effet, sur le plan socio-économique (et ce n'est pas peu de chose), nous sommes en train de glisser d'un processus d'accumulation extensif (vice) régulé par l'État (atout) à un processus d'accumulation extensif (vice) régulé par le marché extérieur (vice). Les travailleurs devraient pouvoir tenir, du moins en partie, la barre, pour que le processus soit le moins vicié possible. L'espoir étant de pouvoir engager un jour un processus d'accumulation intensif (atout) régulé par l'État (atout). Remarquons que le langage que je tiens ici paraît un peu barbare pour le commun des citoyens, mais c'est justement là où réside la nécessité d'une liberté d'expression et de réflexion.

N.O. : La première inquiétude des salariés est l'emploi. Pouvez-vous nous avancer un taux de chômage crédible ? Quels sont les secteurs qui sont déjà ou qui seront les plus touchés ? Que dire du chômage des jeunes, surtout des jeunes diplômés ? Est-il vrai qu'en proportion, il y a parmi les chômeurs un plus fort taux de diplômés que par le passé ? Qu'en déduire ?

H.D. : Oui, l'emploi tend à devenir une préoccupation de plus en plus angoissante pour les salariés. En effet, jusqu'au milieu des années 90, le chômage touchait pour l'essentiel les travailleurs non organisés, composés des primo-demandeurs d'emploi et de la main d'oeuvre banale en majorité occasionnelle et saisonnière. Or, depuis la seconde moitié des années 90, suite à l'accord de libre-échange avec l'Union européenne, la privatisation d'un grand nombre d'entreprises publiques et la modification de la législation du travail dans le sens de plus de flexibilité, des salariés permanents plus ou moins qualifiés et bénéficiant d'une certaine ancienneté sont devenus exposés à leur tour au risque du chômage. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'UGTT a posé pour la première fois et de façon sérieuse la question d'une « caisse de chômage », revendication en gestation vu son importance pour un grand nombre de travailleurs menacés par le licenciement.

D'après la dernière source officielle (l'enquête population-emploi de 1999), le taux de chômage de la population active âgée de 15 ans et plus est de l'ordre de 16.2%. Durant le dernier tiers de siècle (1966-1999), ce taux de chômage a eu tendance à se stabiliser entre 15% et 16%, ce qui signifie que, constamment et pendant longtemps, environ un actif sur six a été à la recherche d'un emploi, et ce malgré la louable politique active et volontariste de l'État en matière d'emploi, visant à temporiser le fléau du chômage et du sous-emploi. Toutefois, en termes absolus, le volume de chômage n'a cessé de se gonfler pour atteindre plus d'un demi-million en 1999 contre environ 166 000 en 1966. Si on ajoute à ces chômeurs les sous-employés (ceux qui travaillent moins de six mois par an), ce volume aurait atteint environ 870 000 en 1999, soit l'équivalent de 27.7% de la population active.

Certes, comparé à celui d'autres pays similaires (l'Algérie par exemple où le taux de chômage atteint actuellement 30% sans compter les sous-employés), le chômage n'a pas encore atteint en Tunisie un seuil intolérable. Cependant, dans la décennie à venir, ce chômage risque de s'y amplifier à un rythme difficilement maîtrisable, suite non seulement aux sauts technologiques en cours et à la large ouverture des frontières sur l'économie mondiale, mais aussi à l'accentuation de la rupture entre le système éducatif et le marché de travail.

À moyen terme, l'activité qui semble être la plus exposée aux risques résultant de ces mutations technologiques et géopolitiques est celle du textile et plus particulièrement de la confection ; activité qui emploie actuellement presque la moitié du total des actifs occupés dans les industries manufacturières.

Par classe d'âge, le chômage touche surtout les jeunes de 18-29 ans qui, en 1999, ont représenté 68% du total des chômeurs âgés de 18 à 59 ans. En fait, cette tendance n'est pas nouvelle en Tunisie, puisque, depuis les années 60, ces jeunes ont toujours constitué entre 60% et 75% du total des chômeurs.

Ce qui est vraiment nouveau, c'est l'amplification du chômage parmi les sortants de l'enseignement supérieur. En 1999, le nombre de chômeurs ayant un niveau d'instruction supérieur a atteint plus de 21 000, soit 4.7% du total des chômeurs, alors qu'en 1975 ce type de chômage était insignifiant (400 et 0.2%). En l'absence d'une refonte radicale du système éducatif, cette tendance, qui a débuté à partir du milieu des années 90, risque de devenir alarmante.

N.O. : Notre système d'enseignement a-t-il un taux de rendement interne acceptable ou ne produit-il que des défaillants et futurs chômeurs ? Que penser de l'employabilité de nos diplômés ? Avons-nous un enseignement, surtout supérieur, en phase avec les exigences d'une économie mondialisée ?

H.D. : Depuis le début des années 80, le rendement interne de notre système éducatif semble connaître, du moins en apparence, une nette amélioration. Ceci se reflète à travers la baisse des taux d'abandon du primaire et du secondaire, d'une part, et la hausse des taux de réussite dans les examens des fins des cycles (l'ex-sixième, le baccalauréat et les maîtrises), d'autre part. Cependant, cette apparente amélioration du rendement interne de notre système éducatif ne résulte pas d'une amélioration du niveau cognitif des élèves mais plutôt d'un certain laxisme dans le passage d'un cycle d'enseignement à un autre.

En tout cas, l'efficience d'un système éducatif se mesure beaucoup plus par sa rentabilité externe (degré d'adéquation de ses sortants avec les besoins du marché de travail) que par sa rentabilité interne. Or, nous vivons actuellement une quasi-rupture entre notre système éducatif et le marché de travail. Cette rupture se manifeste surtout par le gonflement rapide de la masse de chômeurs titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur.

Durant le quart de siècle compris entre 1960 et 1985, nous avons vécu en Tunisie une économie protégée et administrée dans laquelle l'État jouait un rôle central de régulation. De ce fait, les sortants de l'enseignement supérieur ont été absorbés sans difficultés, essentiellement par l'administration et les entreprises publiques et dans une moindre mesure par certaines professions libérales de rente (médecins, pharmaciens, avocats,...). Depuis le milieu des années 80, alors que le pays transitait d'une économie protégée et administrée à une économie ouverte et libéralisée, le système éducatif a continué à produire les mêmes profils de diplômés du supérieur prévalant au début de l'indépendance. Ce qui est étonnant et préoccupant, c'est qu'au lieu de réformer radicalement notre système éducatif afin de l'adapter à la base aux profondes mutations en cours, on continue à attendre que les étudiants achèvent leurs études dans des maîtrises révolues (à l'âge de 25 à 26 ans), pour tenter de les recycler à la hâte et de manière improvisée, au prix d'une charge supplémentaire prohibitive pour la collectivité.

N.O. : Le pouvoir d'achat des Tunisiens s'est-il vraiment détérioré depuis une quinzaine d'années ? Si oui, comment expliquer la consommation effrénée des ménages ? Par l'endettement ? Y aurait-il, au plan de la qualité de vie, une Tunisie à deux vitesses ?

H.D. : Oui, par comparaison à son niveau du début des années 80, le pouvoir d'achat des salariés tunisiens (et non des Tunisiens) s'est sensiblement détérioré. En effet, le pouvoir d'achat des salariés a atteint son maximum en 1983 ; depuis, il n'a jamais retrouvé ce niveau. Actuellement, le pouvoir d'achat des salariés est presque équivalent à celui qui prévalait en 1977.

La grande chute du pouvoir d'achat des salariés a eu lieu entre 1984 et 1989, suite au démantèlement brutal de l'UGTT, et par là au blocage systématique des salaires nominaux. Depuis 1990 et jusqu'à nos jours, l'on a opté pour une révision régulière à la hausse des salaires nominaux, dans le cadre d'accords triennaux entre l'État, l'UTICA et l'UGTT. Des augmentations des salaires sont décidées d'avance pour trois ans, sans référence à aucun indicateur macroéconomique (hausse des prix à la consommation, gains de productivité, croissance du PIB,...). Cette politique salariale, suivie depuis le début des années 90, a permis de stopper la dégradation du pouvoir d'achat des salariés, sans contribuer à l'améliorer.

Depuis dix ans, l'on semble effectivement vivre un paradoxe en Tunisie : d'un côté on assiste à une stagnation du pouvoir des salariés (qui constituent la majorité des consommateurs), et d'un autre coté, on observe une consommation effrénée des ménages. Ce paradoxe est vraiment à étudier.

De ma part, je pense que ce paradoxe résulte, entre autres, de trois facteurs combinés : le laxisme dans l'octroi des crédits à la consommation, en particulier ceux accordés par les organismes de sécurité sociale (CNSS et CNRPS) pour l'acquisition de voitures et de l'électroménager ; la diffusion sur une large échelle des ventes par facilité ; et le repli de l'épargne surtout des jeunes générations. Celles-ci tendent à vivre au jour le jour sans trop se préoccuper de l'avenir. Si ces impressions s'avèrent vraies, cela signifie que nous évoluons vers une société qui « mange son blé en l'herbe ».

En Tunisie, je ne pense pas que nous sommes déjà dans une société à deux vitesses du point de vue qualité de la vie. Mais dans l'avenir, cette tendance n'est pas à exclure. La marginalisation d'une partie croissante de la jeunesse, la stagnation, voire la régression, du pouvoir d'achat des salariés, la diffusion des emplois instables et précaires, le sur- endettement des ménages, leur pressurisation fiscale excessive et la marchandisation des services publics de base (enseignement, santé, transport,...), constituent tous des facteurs qui pourraient contribuer à briser la classe moyenne, c'est-à-dire la colonne vertébrale de la société. C'est là où se situe le risque d'aboutir à une société à deux vitesses ; société ni viable ni vivable.

N.O. : Le droit égal à la santé va-t-il se perdre avec la réforme de l'assurance- maladie ? Et d'une façon générale, l'État se désengage-t-il de la protection sociale ?

H.D. : Je ne pense pas que la réforme de l'assurance-maladie en cours va mettre totalement fin à un certain droit à la santé (et pas au droit égal à la santé qui d'ailleurs n'a jamais existé). La preuve, c'est que l'UGTT n'est pas contre cette réforme à quelques modifications partielles près. En fait, cette réforme constitue un certain frein à la tendance de la marchandisation totale de la santé. C'est pour cette raison que les médecins et le pharmaciens privés sont les plus opposés à cette réforme, car se sont eux qui s'en sentent les plus lésés. Je crois qu'au-delà des mécanismes de l'assurance- maladie, un certain droit à la santé ne pourrait demeurer comme acquis qu'en préservant, voire en renforçant, le service de santé public d'une qualité acceptable.

En Tunisie, l'État ne s'est pas encore désengagé de la protection sociale même si certains signes par-ci par-là le laissent penser. Au contraire même, durant les deux dernières décennies, l'État n'a fait que renforcer son rôle de protection sociale. Plusieurs programmes et fonds d'aide et de solidarité sont venus s'ajouter aux transferts classiques en matière d'éducation, de santé et de sécurité sociale. D'ailleurs, il n'y a pas pire pour un État, qui puise l'essentiel de sa légitimité plutôt des transferts sociaux que des urnes, que de se désengager totalement de la protection sociale.

Toutefois, comme un peu partout dans le monde, l'État évolue sur « le fil de rasoir », car, tout en le privant de certaines de ses ressources principales (droits de douane, impôts sur les bénéfices des sociétés exportatrices, rente pétrolière, etc.), on lui impose simultanément deux nouvelles exigences : préparer l'économie du pays à faire face à plus de concurrence sauvage sur un marché mondial (plus et mieux d'infrastructure de base, de télécommunications, de formation des ressources humaines...), d'une part, et prendre à sa charge les retombées néfastes de la mondialisation (chômage, appauvrissement, marginalisation), d'autre part. Dans ce contexte ambigu et contradictoire, l'État peut glisser vers un sur-endettement intenable qui le poussera à se métamorphoser imperceptiblement d'un acteur de protection sociale en un acteur de répression sociale.

N.O. : En prenant un peu de distance et en se projetant dans l'avenir, l'UGTT devra-t-elle hausser la barre de la revendication sociale ou accepter que les salariés fassent les frais d'une plus grande rigueur budgétaire, sous peine de voir la Tunisie s'engager vers une pente dangereuse à l'Argentine ?

H.D. : Si l'UGTT accepte que les salariés fassent les frais d'une plus grande rigueur budgétaire, elle perd non seulement son rôle régulateur mais sa raison d'être même. De même, dans le contexte actuel, l'UGTT n'a pas intérêt à hausser la barre de la revendication sociale au delà d'une certaine limite, au risque d'être lamentablement brisée. Il faut avoir présent en tête que la Tunisie, avec tous ses acteurs y compris l'État, n'est pas isolée du reste du monde et qu'elle est en plein dans le tourbillon qui désarçonne l'humanité. Je pense que, dans l'état actuel des choses, la mission de l'UGTT consiste à militer pour préserver sans grands dégâts les intérêts acquis des salariés.

N.O. : L'UGTT aura-t-elle une grande marge de manoeuvre dans la négociation sociale ou se retrouvera-t-elle coincée entre des contraintes économiques et des pesanteurs politiques ?

H.D. : Au cours des prochaines négociations sociales (à partir de mars 2002), l'UGTT aura à manoeuvrer dans un contexte tendu, miné par deux positions en apparence justifiées. Celle de l'UTICA qui penchera vers un blocage des salaires et une plus grande flexibilité de l'emploi, au nom de la concurrence et de la compétitivité ; et celle de l'État qui rechignera à réviser les salaires de l'Administration et des entreprises publiques, au nom d'une nécessaire austérité budgétaire.

Dans ce contexte, la position de l'UGTT devrait s'élever d'un simple discours de revendication corporatiste à une persuasion sociétale. Dans ce sens, l'UGTT devrait être en mesure de convaincre les autres partenaires sociaux :

- Que les bas salaires, en tant que coût de production, ne constituent plus, du moins à eux seuls, un avantage comparatif de compétition ; et que la compétitivité s'acquière aujourd'hui par d'autres avantages, tels la créativité, l'économie d'échelle, la qualité des produits, la rapidité dans l'exécution et la livraison, la transparence entre les partenaires sociaux et entre l'État et la société, l'absence de la pesanteur bureaucratique,...
- Que le patronat n'a aucun intérêt à figer, voire à comprimer, le pouvoir d'achat des salariés, c'est-à-dire à casser la demande solvable interne, dans l'espoir (chimérique d'ailleurs) de conquérir plus de marchés externes. L'histoire a prouvé qu'aucune économie ne peut durablement progresser sur une seule béquille à savoir l'exportation.
- Qu'on ne peut rien attendre de bon des accords de libre-échange avec l'Union européenne, tant que ces accords sont menés en rangs dispersés par les pays arabes, et tant que l'Union européenne est déchirée entre des intérêts de « quartiers » et des intérêts de continent.
- Que l'État n'a aucun intérêt à figer durablement le niveau de vie de ses fonctionnaires, car, dans ce cas, il risque de se mettre sur le dos son propre appareil d'exécution.

N.O. : Quel peut être le rôle des intellectuels, ou du moins des universitaires, dans l'élaboration d'une stratégie syndicale ? Le syndicalisme tunisien est-il favorable et disposé à intégrer des intellectuels critiques qui l'aideront à définir une stratégie pour les années à venir et à poser l'UGTT comme la locomotive d'un changement social ?

H.D. : Rappelons d'abord qu'au cours des années 70 et la première moitié des années 80, l'UGTT n'a pu jouer son éminent rôle régulateur que grâce, entre autres, à l'appui des intellectuels et plus particulièrement des universitaires, non seulement en tant que force de revendication, mais aussi et surtout en tant que soutien d'analyse et de réflexion. Par contre, si durant les quinze dernières années l'UGTT s'est beaucoup affaiblie, c'est parce qu'elle s'est désistée, entre autres, de ce soutien de réflexion.

Le départ de Sahbani, et surtout le dernier congrès le l'UGTT ayant introduit plus de diversité-complémentarité dans sa direction, redonnent l'espoir dans la ré-édification d'une centrale syndicale jouant réellement son rôle en tant qu'acteur régulateur.

Un grand nombre d'intellectuels critiques sont disposés à l'épauler dans l'élaboration non d'un programme économique et social (l'UGTT n'est pas un parti politique) mais plutôt d'une stratégie de résistance face aux menaces et aux défis potentiels d'avenir. Ce soutien des intellectuels ne dépend que d'une seule condition : que l'UGTT demeure un champ de libre expression.

 

Entretien conduit par Nadia Omrane
Journaliste. Tunis.
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