uand les canons tonnent, quand la haine s'éveille, quand on prétend que ce sont les
civilisations qui s'entrechoquent, quand le fanatisme s'installe et s'aiguise, la lecture
s'embrouille et alors, alors : la raison vacille, les principes cèdent et les solidarités se
disloquent, au profit de solidarités bizarres, contre-nature... On perd alors le Nord, en croyant
gagner le Sud, alors que l'on perd en fait tout, c'est à dire ses repères.
Pour nous, formés à l'école marxiste, viscéralement internationalistes (on préfère
aujourd'hui dire universaliste, ce qui est assez différent), profondément attachés à la laïcité,
extrêmement distants et méfiants à l'égard de toute idéologie nationaliste, les évènements des
derniers mois et les diverses réactions qu'ils suscitent, dans les pays du Nord comme ceux du
Sud, nous perturbent et nous dérangent.
Mais dans la tourmente, il faut que nous, militants de la gauche anti-capitaliste, laïque
et démocratique, ne cédions pas à la furia pour ne pas dire à l'hystérie. D'abord parce que
l'hystérie obstrue tout, permet tous les amalgames, toutes les compromissions, toutes les
dérives et tous les reniements. Ensuite, parce que lorsque l'hystérie tombe et que revient la
raison, c'est aux vrais repères que l'on retourne, c'est aux vraies constantes que l'on se réfère
de nouveau.
Alors, de grâce, ne perdons pas nous aussi la boussole et disons, répétons sans nous
lasser, nonobstant les regards torves, ceux de la haine retenue ou pas, ceux de la terreur du
groupe, de la tribu ou de la « oumma », oumma ceci ou oumma cela, répétons ce qui doit être dit, même si ce qui est évident pour nous n'est pas évident pour beaucoup d'autres.
Disons donc très fort, parce que nous le disons depuis très longtemps et nous étions souvent les seuls à le dire, à le crier et à payer pour l'avoir crié : oui, la guerre,
l'agression, l'expansion, la violation du droit des peuples, tout cela c'est l'impérialisme, c'est -à-dire le capitalisme qui porte ces maux comme les nuages portent la pluie. Oui, et depuis la
deuxième guerre mondiale, et encore plus depuis la fin des années 80, les États-Unis sont le
gendarme impérialiste du monde... Ce sont les États-Unis qui imposent depuis 40 ans un blocus impitoyable contre le peuple cubain, après avoir tenté un an auparavant, par une agression mise en déroute à la Baie des Cochons, de renverser le pouvoir castriste.
Ce sont eux qui ont occupé, entre 1965 et 1975, le Vietnam en y envoyant 500 000 soldats (oui, 500 000 !) et des centaines de bombardiers... Oui, ce sont eux qui ont agressé la République Dominicaine, le Panama...
Ceux qui découvrent aujourd'hui l'agressivité américaine ont donc du retard. C'est
leur problème. Mais qu'ils ne viennent pas avec plusieurs décennies de retard donner des
leçons, avant de devenir ou de redevenir peut-être demain les alliés de l'impérialisme
américain.
Disons également très fort que « la mondialisation » telle que théorisée par Fukuyama,
et dont tout le monde parle, le plus souvent pour s'en plaindre, n'est ni une fatalité, ni une
volonté de je ne sais quelle divinité. La mondialisation, c'est la dimension géographique,
planétaire, d'un système social qui s'appelle le capitalisme et qui a ses règles, ses
valeurs, celles du profit, de l'exploitation du travail et des travailleurs, celles de l'inégalité,
entre les classes et entre les peuples, des valeurs fondées sur la fortune, sur l'argent, sur la
puissance financière. Que ceux qui rejettent la mondialisation prennent conscience que c'est
le capitalisme qui est mondialisé et non pas autre chose.
Disons, toujours très fort, qu'il n'y a pas lieu de confondre les États et les peuples.
Notre hostilité à l'égard de l'impérialisme des États-Unis ne s'étend pas au peuple américain,
le peuple de Hemingway, de Steinbeck, de Martin Luther King et de bien d'autres... Il n'y a
pas pire stupidité que de haïr les citoyens américains sous prétexte que nous rejetons la
politique du gouvernement américain.
Le B52 qui a bombardé Bagdad, puis Belgrade, puis Kandahar, est l'instrument
militaire d'une politique élaborée et décidée par les dirigeants des États-Unis. C'est cette
politique qu'il s'agit pour nous de combattre, et non le simple citoyen américain.
Disons, crions aussi fort que cela est possible, qu'il est inadmissible de prendre en
otage des civils américains ou autres et de décider à leur place que la vie pour eux est
terminée. C'est cela le terrorisme, et il est absolument inacceptable... Un combattant combat
ses adversaires. Sa cible, c'est son adversaire. Les attaques du 11 septembre sont
scandaleuses. Ceux qui les ont organisées et exécutées sont des monstres, et ceci quelle que
soit leur nationalité, quelle que soit leur religion ou leur race. Une monstruosité perpétrée par
Israël en Palestine ne justifie pas une autre monstruosité. Le sionisme est monstrueux, il faut
le combattre, ce qui signifie refuser toutes les exactions et tous les crimes dont il a été
capable. On ne combat pas les monstruosités impérialistes ou sionistes en les « clônant ».
Rappelons à tous et à toutes que le terrorisme (qui n'a rien à voir avec la lutte politique, y
compris la lutte armée, soit contre la colonisation ou l'occupation, soit contre les pouvoirs
fascistes) n'a pas de nationalité, encore moins de religion ou de Dieu. L'ETA (basque), l'IRA
(irlandaise) sont des organisations de type terroriste. Dira-t-on que le terrorisme est
catholique ? Bien sûr que non, cela n'a rien à voir. L'écrasante majorité des chrétiens dénonce
avec force le terrorisme de l'ETA ou de l'IRA... L'Islam n'est pas plus terroriste que le
Christianisme ou le Judaïsme ou le Bouddhisme. L'ETA ne représente en rien les catholiques
basques et eux ne se reconnaissent pas dans l'ETA. Il en est de même pour l'IRA. Le
terrorisme de la bande à Ben Laden ou des Taliban ne représente pas les musulmans. Ce que
l'on peut avancer, c'est peut-être que la religion, quelle qu'elle soit, lorsqu'elle se transforme
en instrument ou en expression politiques, devient dangereuse et peut donner lieu à toutes les
dérives, y compris la dérive terroriste. Les religions qui toutes, datent de plusieurs siècles,
n'enseignent pas particulièrement le débat, la contradiction, la pensée libre, le respect de
l'individu et de son autonomie par rapport au groupe, à la tribu ou à la nation, qui constituent
des valeurs qui se sont imposées au cours des deux derniers siècles, et encore. Lorsque l'Islam
est transformé en un projet politique porté par un groupement ou un parti politique, le danger
pour la liberté, pour les libertés, n'est pas loin. Mais il en est de même pour les autres
religions. La rigueur religieuse aux États-Unis a donné l'organisation secrète le Ku-Kux-Klan
(KKK). Le dogmatisme religieux a donné en Israël les groupements terroristes du Rabbin
Kahane, et l'assassin de Rabin... Rappelons donc toujours et constamment que lorsque la religion est instrumentalisée
politiquement et se présente comme une référence pour la gestion politique de la cité, bref
comme un projet politique, alors oui, tout est à craindre : la violence religieuse, la terreur
religieuse, le despotisme clérical, avec - mais même sans - clergé... Oui, la laïcité, la
sécularisation si l'on préfère, est la meilleure des garanties et la meilleure des réponses.
Ne nous taisons pas : il est stupide de vouloir exiger des gens, des « musulmans », de
choisir entre Bush et Ben Laden. Cela fait de la peine de voir des gens, notamment des jeunes,
regarder avec admiration un personnage comme Ben Laden. Elle est décidément décevante,
cette fin du vingtième et ce début du vingt-et-unième siècles. Les générations précédentes
(durant près de 30 ans) ont vénéré Che Guevara, un intellectuel militant, marxiste, tiers-
mondiste, anti-impérialiste, guérillero se battant avec les paysans, les ouvriers et les étudiants,
à Cuba d'abord, en Bolivie ensuite... Qu'aujourd'hui, un personnage comme Ben Laden suscite l'admiration, cela signifie
bien la dégradation que vit notre monde. Alors, disons-le très clairement : Bush et Ben Laden
même combat ! Nous rejetons la politique impérialiste de Bush et nous n'avons rien de commun avec Ben Laden et ses semblables, Taliban afghans, ou autres. Quand un soldat américain trouve la mort à Mazar-i-Charif, nous ne versons pas
une larme. Quand un combattant de la Qaïda de Ben Laden, « afghan arabe » et musulman
trouve la mort à Kandahar, nous ne versons pas une larme. Tous les deux, le soldat de Bush et
le combattant arabo-musulman de Ben Laden nous sont totalement étrangers, étrangers à la
cause qui est la nôtre, aux valeurs que nous portons et que nous prônons, à la vision du monde
qui nous habite et au monde dont nous rêvons et pour lequel nous nous battons depuis un
certain nombre d'années.