Alternatives citoyennes
Numéro 5 - 23 novembre 2001
Actualit&
L'affaire Kamel Ltaïef dépolitisée

 

Kamel Ltaïef passera donc son Ramadhan en liberté. Dieu en soit loué ainsi que quelques meilleures dispositions du prévenu.

C'est un des deux avocats qui restent de sa précédente défense, plus étoffée et plus tapageuse, qui a obtenu du tribunal de première instance de Tunis, le 21 novembre, le report de l'examen de l'affaire au 26 décembre.

Kamel Ltaïef aurait dû comparaître en effet, en état de liberté provisoire, pour un certain nombre de chefs d'inculpation liés à une agression qu'il déclarait avoir subie vers la fin du mois d'octobre. Des individus se seraient jetés de manière très malveillante sur sa voiture, mais c'est Kamel Ltaïef qui est poursuivi pour outrage à fonctionnaire, blasphème et allégations.

Selon des observateurs, l'incarcération de Kamel Ltaïef à son retour de Paris le 4 novembre, pourrait être davantage en relation avec des déclarations confiées au Monde le 29 octobre, par lesquelles l'ancien baron du régime portait de graves accusations contre le chef de l'État, ses proches et quelques hauts responsables du ministère de l'Intérieur, tout en déplorant la situation des libertés et la gestion des affaires en Tunisie, avec lesquelles même certains ministres, selon lui, ne seraient pas d'accord.

Le 14 novembre, Kamel Ltaïef comparaissait devant le tribunal de première instance qui lui refusait, à la demande de ses avocats, une mise en liberté provisoire. Pourtant, le 16 novembre c'est de son domicile qu'il avait la joie d'annoncer à sa défense qu'il venait d'obtenir cette relaxe provisoire. L'affaire étant désormais plus banale, presque un simple fait divers, ses avocats « politiques » dont Me Nejib Chebbi (PDP) et Me Radhia Nasraoui (POCT) étaient désaisis du dossier dont ne se chargeront que les deux avocats coutumiers de ses affaires, Mes Turki et Ferchichi.

Selon quelques informations venues du Barreau, Kamel Ltaïef aurait également ramené ses attaques contre le régime à un langage plus convenu et plus décent, le journaliste ayant eu tendance à s'en tenir à un moment de forte exaspération de Kamel Ltaïef et en conséquence, à forcer le trait et aiguiser l'attaque. Rappelons que c'est Jean-Pierre Tuquoi, co-auteur de l'ouvrage Notre Ami Ben Ali, qui avait conduit cet entretien à chaud et « au téléphone »...

À défaut d'éclaircissements publics, cette affaire devenue très floue empruntera donc désormais un cours plus intimiste et rassurant pour cet homme d'affaires qui exerça, à l'ombre de l'État, avant et après le 7 novembre, une influence considérable sur la vie politique du pays. Vaguement cousin du président Ben Ali (il est, comme lui, natif de Hammam-Sousse), il fut jusqu'au début de la décennie 90 dans sa très grande proximité. Peu à peu mis à l'écart, il conserve jusqu'à ce jour une amitié privilégiée avec certains membres de la famille présidentielle et selon des catégories d'entendement de notre classe politique, il appartiendrait au « clan libéral ». Du reste, il entretient aussi des relations conviviales et soutenues avec des acteurs de la société civile et jusqu'avec des militants de la gauche radicale, enfin - chacun le sait - avec d'anciens ministres. Mohamed Charfi lui-même, qui considérait scandaleuse l'agression dont Kamel Ltaïef fut victime (commentaire publié en marge de l'interview du Monde) fait les frais de cette sympathie conjoncturelle, dans un article indigne, sous la plume d'un pisse-vinaigre coutumier de bassesses et de calomnies, article qui dénonce la complicité de l'universitaire et du commerçant.

Désormais, toutefois, la tension est appelée à s'apaiser, et le « coup de gueule » de Kamel Ltaïef est porté à tomber dans l'oubli, n'ayant produit que quelques éclaboussures sur la cohésion du système d'État. Seule la bonne société, civile ou pas, en fait encore la tasse de thé un peu trouble de ses soirées ramadhanesques, tout en convenant qu'elle est à consommer avec modération.

 

Nadia Omrane
Journaliste. Tunis.
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