ls ont frappé ». Tandis que nous mettons ce numéro en
ligne, nous
apprenons l'inévitable.
Sur des directives présidentielles - dont nous savons, à notre propre
niveau, combien elles
peuvent exclure les citoyens de leur propre destin -, « sur mon ordre »
proclame Georges W. Bush, et
comme il y a dix ans sur Bagdad « au nom du père », voici qu'au nom
du fils, la « bêtise à front de taureau » faisant suite à l'illumination
furieuse oriente sans discernement ni générosité une histoire du monde
qui ne nous appartient plus.
Témoins consternés d'« opérations de police » destinées à pérenniser
la puissance sans partage et le profit pillard, Tunisiennes et Tunisiens
d'ici et d'ailleurs reconnaissent aujourd'hui dans une double expérience
comment s'usurpe le libre arbitre, se dévoie le libéralisme et se
contrefait la démocratie.
Un samedi 6 octobre, l'aviation américaine entame la démonstration d'une « justice
immuable », tandis qu'à Tunis planent des hélicoptères sécuritaires sur l'ouverture de l'année
judiciaire, au cours de laquelle, en présence du président de la République, sera exposée une idée
immuable de la justice.
Depuis 48 heures, le palais dévolu à l'un des trois pouvoirs de la République est, pour ainsi
dire, en résidence surveillée et comme les autres sièges de l'exécutif ou de la représentation
nationale, on a enchaîné ce haut lieu de l'indépendance de la magistrature comme de la défense,
par des banderoles exhortant le chef de l'État à se représenter en 2004 pour un quatrième mandat.
Atterrée, la population, la société civile au moins, reçoit comme une gifle cette façon
expéditive de la déposséder de sa citoyenneté.
Pour l'heure, ce n'est pas le choix de la personne qui heurte mais la procédure d'un
plébiscite contrefait, machiné à la sauvette, en longues affiches rouges imposées à la presse,
offert comme une élection anticipée, préfabriquée, sans campagne, sans débat, sans électeurs,
sans cadre légal, bref anticonstitutionnelle, à la plus haute charge de l'Institution, la
présidence d'une République que nul à l'avenir n'osera plus appeler de ce nom.
Depuis l'abolition de la monarchie beylicale le 25 juillet 1957, jamais en dehors de la
présidence à vie de Bourguiba, 45 ans de formalisme républicain n'auront été portés à une telle
déraison.
Ravalés à une sous-citoyenneté, en ce début de troisième millénaire, Tunisiennes et Tunisiens
se voient aussi renvoyés, comme tant d'autres peuples du Sud, au miroir de leur sous-humanité.
Les attentats de New-York portent à son paroxysme la rupture historique amorcée par la
mondialisation entre ceux dont la vie a une valeur et ceux maintenus en deçà du seuil existentiel. Images et péroraisons consacrent la « légitime défense » d'un ordre impérial, militaire,
financier et moral.
Contre la clameur brutale montée des trous les plus noirs de tous les ostracismes et qui hurle je te hais, l'Occident hisse l'arrogance de sa technologie et de son bon droit, exhibant la
face honteuse de son libéralisme, le bombardement sécuritaire et les renseignement secrets.
Nous sommes au spectacle d'une double barbarie revisitée par des effets spéciaux, devant
l'histoire qui nous échappe, au centre de notre planète avec des relents de fin du monde, et, chez
nous, une avancée républicaine, toute petite, si petite, déjà arrêtée !
Chaque coup porté ici ou là-bas sans que nous protestions, c'est une part d'humain qui en nous
s'éteint. De tout notre coeur et de toute notre raison, non, ce n'est pas ça que nous voulons :
ni sous-citoyenneté, ni sous-humanité.