e comité directeur de la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH) devait être saisi ce dimanche 7 octobre, au cours d'une réunion toute administrative, d'une lettre ouverte de quelques-uns de ses
membres l'appelant à prendre quelque distance par rapport à son Secrétaire général, Khmaïes
Ksila, qu'il a jusqu'ici disculpé de méfaits qui lui sont désormais publiquement reprochés.
En effet, la secrétaire de cette institution a déposé plainte contre lui et a été entendue par le
substitut du Procureur de la République au sujet d'un harcèlement sexuel récurrent, plutôt
appuyé et trivial, que Khmaïes Ksila lui aurait fait subir à plusieurs reprises, en dépit des mises en
garde qui lui auraient été adressées par des proches, au sein de la Ligue.
La jeune fille qui depuis six ans, soutiennent quelques uns, aurait servi la LTDH avec dévouement
et honnêteté mais que d'autres accusent de se faire instrumentaliser par la police, a de guerre
lasse porté l'affaire devant les instances judiciaires et au centre d'écoute des femmes victimes
de violences (Association tunisienne des femmes démocrates) qui l'a assurée d'un soutien
psychologique et juridique, crédibilisant ainsi sa plainte.
A l'inverse, le comité directeur de la LTDH, le CNLT et le CRLDHT (Paris) ont parfaitement
innocenté Khmaïes Ksila dans des communiqués sans nuance ni ambiguïté, qui rappellent combien ce
type de « calomnies » ayant trait à la moralité de défenseurs des droits humains ou de
journalistes est pratique courante dans certaines officines, notamment une presse de caniveau qui
serait liée à la police.
Les locaux de cette dernière, selon ces communiqués, ont quelques fois vu pratiquer des abus
sexuels sur des détenu(e)s.
Khmaïes Ksila, pourtant, est-il au dessus de tout soupçon ? Il semblerait que nombre de
membres du comité directeur soient convaincus de ses égarements. Mais ils les minimisent dans la
conviction que l'enjeu - sauvegarder la Ligue et la soustraire aux machinations du pouvoir -
impose cette banalisation. Sans doute aussi la conscience de la nécessité d'une sanction
exemplaire du machisme n'habite-t-elle pas fortement les militants des droits de l'homme et, très
accessoirement ou démagogiquement, des droits des femmes.
Autour de la Ligue, par ailleurs, Khmaïes Ksila ne prête pas à une grande sympathie, car ceux qui ne
sont pas atteint d'un Alzheimer galopant se souviennent d'un passé peu glorieux où, du RCD dont il
était un officiant zélé, il s'activa à casser la Ligue de 1992 à 1994, persécutant
particulièrement son ancien président, Moncef Marzouki. Il avait également été
détaché de la Société nationale des chemins de fer tunisiens, au cabinet de Mohamed Charfi, alors
ministre de l'Éducation nationale, pour y surveiller bien plus que les programmes
d'enseignement. Enfin, autour de l'ATCE - agence de propagande du pouvoir tunisien à Paris -, il
eut le style de l'emploi.
Aussi, bien que par la suite Khmaïes Ksila se racheta par son engagement pour la défense des
droits et libertés publiques, ce qui lui valut - par le biais d'un accident fort opportun -
plusieurs mois de prison, qualifiés de « rédempteurs » par ses amis, Khmaïes Ksila n'emporte pas
la confiance dans la mouvance démocratique, du fait de son itinéraire tortueux et de quelques
autres mauvaises manières.
Bête noire du pouvoir, il apparaissait jusqu'ici dans son statut de Secrétaire général de la LTDH
comme une provocation, ce dont se défendit Mokhtar Trifi, président de la LTDH qui soutint à
Alternatives citoyennes [entretien paru dans notre numéro zéro, NDLR] que sa désignation à ce poste-clé s'expliquait par le fait que Khmaïes Ksila était « au chômage » et donc « disponible ».
Aujourd'hui que Khmaïes Ksila marque une pause à Paris, il importe de rappeler qu'on remplit
d'ordinaire cette tâche quotidienne de Secrétaire général sur les lieux des crimes et délits et
non à distance, fût-ce par Internet interposé.
De plus, dans les sociétés policées (et non policières), lorsque le soupçon est jeté sur un
acteur politique ou de la société civile, il est de coutume qu'il gèle ses activités, sinon qu'il
démissionne, en attendant que la procédure judiciaire suive son cours, lequel - il est vrai,
chez nous - est loin d'être celui d'un long fleuve tranquille.
Cette affaire met très mal à l'aise les militants des droits de l'homme, inquiets de dérapages
éthiques et de manoeuvres douteuses, de type clientéliste, ainsi que d'un activisme peu
regardant ni sur le langage, ni sur les méthodes de certains acteurs de l'opposition ou du combat
démocratique. Ces dérives, même exceptionnelles ne sauraient être absoutes du fait des enjeux
actuels. Au contraire, ces derniers invitent plus que jamais à fonder une gauche intellectuelle,
morale et militante.