ors de notre première mise en ligne le 20 mars (numéro 0),
l'éditorial précisait que ce journal était indépendant et il
l'est ! Sa direction n'a ni mécène, ni guide spirituel, ni fil à
la patte. Inféodés à aucune chapelle, soucieux de la déontologie, nous
ouvrons nos colonnes à des courants d'opinions divers qui s'expriment
en toute liberté. En dehors du respect de règles éthiques, aucune
censure n'est exercée car nous tenons notre engagement que, sans un
sou et même sans grand héroïsme ni provocation, la pratique de la
liberté de presse est possible en Tunisie, en toute transparence.
Cela
ne va pas, pour autant, de soi : l'édition papier est encore
loin, la demande de visa une perte de temps ; le journal est mis
en ligne et hébergé à l'étranger, et la consultation du
site à partir de la Tunisie passe encore par les inévitables
contournements des proxies. Mais quasiment tous nos
contributeurs signent leurs articles sans crainte, et
la direction du journal est assumée par deux femmes qui ne s'en cachent pas.
Cette petite « révolution » journalistique est une
révolution tranquille et au vu de toutes celles et de tous ceux qui
nous accompagnent, elle apparaît déjà efficace, c'est-à-dire durable.
L'éditorial du premier numéro annonçait aussi que notre journal ne se
situait pas « dans l'opposition ». Telle était, et demeure,
notre intention : nous ne partageons pas forcément les enjeux,
les objectifs, ou les stratégies d'une opposition qui, du reste, n'est
pas monolithique. Mais nous sommes partisans.
Partisans de la démocratie, partisans du respect des libertés
fondamentales, partisans, par-dessus tout, de la régénération de
l'esprit critique et du débat en Tunisie.
Notre solidarité ira donc toujours à celles et ceux que de simples
délits d'opinion jettent au cachot ainsi qu'aux époques sinistres de
despotismes obsolètes. Nous sommes solidaires de tous ceux qui y
croupissent depuis des années ou qui en sont sortis brisés et pour
lesquels de toutes parts s'élève la réclamation d'une amnistie
générale.
Nous sommes solidaires de ceux à qui la
libération conditionnelle fait l'objet d'un chantage au silence et à
la démission et qu'on remet au trou pour peu qu'ils aient exercé leur
citoyenneté. Nous sommes solidaires de ceux dont la justice se
souvient en appel, pour un rappel à l'ordre, celui de la soumission et
de l'humiliation. Ainsi, particulièrement sommes-nous aux cotés de
Féthi Chamkhi, porte-parole du RAID et Moncef Marzouki,
ancien porte-parole du CNLT.
Notre solidarité va aussi à tous ceux qu'une liberté formelle empêche
de circuler, ceux dont les résidences sont surveillées, ceux dont les
pas sont mesurés, ceux qu'un exil intérieur fait de toutes les
privations, porte à aller chercher ailleurs une condition moins
douloureuse, moins indigne. Notre solidarité va ainsi à tous les
exclus du passeport, particulièrement à Sadri Khiari qu'une
rétention administrative empêche même d'exercer son droit au savoir.
Elle va aussi à la petite Salsabil Bejaoui dont le père est en
grève de la faim et à l'appel de laquelle il faut un coeur de pierre
pour ne pas répondre. Elle va enfin à Hamma Hammami entré
depuis des années dans la clandestinité sans pouvoir rejoindre les
siens.
Il y a aussi les bannis, ceux que l'on maintient hors de leur pays
sous peine d'embastillement à leur retour, comme si le terroir de tous
rendu indépendant par une lutte collective pouvait être la propriété
privée de quelques-uns ! Ainsi, nous nous associons
particulièrement aux voix qui en appellent à un retour paisible et
libre de Kamel Jendoubi, qui paie d'un ostracisme sa présidence
pendant des années d'un comité pour la défense des libertés en
Tunisie. Aussi nous tiendrons-nous aux cotés de Kamel Jendoubi,
dès qu'il posera un premier pied dans son pays.
Enfin, à la veille d'un double anniversaire, celui de la République
et de l'émancipation des femmes, notre solidarité sans réserves va à
la féministe tunisienne qui démontre depuis des années ce que signifie
être une femme libre, c'est-à-dire une citoyenne, en Tunisie. Sihem
Ben Sedrine (photo)est en prison pour avoir révélé quelques secrets de
polichinelle qui sont sur toutes les bouches en Tunisie. Attendue,
après ces quelques mots, comme une terroriste à l'aéroport, conduite à
l'instruction avec un cordon de sécurité destiné d'ordinaire aux
poseurs de bombes, Sihem Ben Sedrine donne sa liberté en gage
contre la promesse d'une meilleur qualité de vie citoyenne et d'une
République démocratique, notre République à tous. De tous bords, lui
vient une solidarité sans faille. Nous lui dédions ce numéro
d'Alternatives citoyennes.