Alternatives citoyennes
Numéro 2 - 31 mai 2001
Société
Urbanisme
L'Africa des années 60 est mort, vive l'Africa de l'an 2001 et le gaspillage

 

Tunis centre-ville, extérieur et intérieur, jour et nuit : le chantier permanent de l'hôtel Africa.

Quand le bâtiment va tout va... Rien n'est moins sûr à observer le chantier de rénovation actuel de l'hôtel Africa où sans relâche les équipes se suivent pour démolir, nettoyer, dépecer, déboulonner, remplacer l'ancienne peau et les entrailles de l'hôtel promises à un lifting radical.

Photo Hôtel AfricaAvec comme justification du projet, la nécessité de remettre au goût du jour ce bâtiment emblématique des années 1965 dont l'architecte concepteur faisait à l'époque une évocation poétique en le comparant aux minarets sereins des mosquées qui dominent la ville.

Depuis, on l'aura compris, il a perdu de son aura et, concurrencé par les nouvelles constructions du centre ville qui alignent niveaux supplémentaires, granit, clinquant et verre miroir teinté, il ne peut plus que dans un sursaut de dignité architecturale et immobilière se vouloir à nouveau à la mode et au diapason de la nouvelle avenue qu'il surplombe.

Quelques rares affiches en couleur montraient il y a deux mois le résultat visible au promeneur de ce réaménagement radical et indispensable aux yeux des concepteurs et promoteurs de l'opération. La façade de l'hôtel Africa était conçue selon une trame verticale de panneaux bleus ciel, eh bien le projet de rénovation les dispose maintenant à l'horizontale en bandes. On pourra ici juger de la pertinence de l'effet, de la transformation radicale à la mesure des moyens engagés comme de l'impact décisif sur le paysage urbain de l'avenue.

Mais ce n'est pas l'aspect le plus grave ni le plus sujet à caution. Combien de milliers voire de millions de Dinars sont ici engloutis dans une opération de rénovation urbaine qui, appréciée de façon lucide et juste, ne demandait qu'une légère réfection du second oeuvre et une remise aux normes de certains équipements intérieurs ?

Quelle autre justification que spéculative peut-on trouver à ce projet sur l'avenue Habib Bourguiba quand on sait par comparaison les difficultés de la Municipalité de Tunis à trouver un simple financement destiné au ravalement correct des façades des immeubles existants proches ?

Mais qu'importe, il s'agit là d'une opération de prestige juteuse, tandis que les immeubles existants font plutôt figure d'empêcheurs de faire fructifier le capital en rond.

Devant l'accomplissement des faits inéluctables on se prend à rêver. Après tout, tel qu'il est, dénudé et dans cette esthétique de brique, de fer et de béton inachevé, il n'est pas si mal. Encore faut-il que sculpteurs et architectes contemporains se prennent au jeu et au défi de moderniser réellement l'image de l'Africa.

Mais en fin de compte la juste question revient : pourquoi cette rénovation  et pour qui ? Que l'on sache et jusqu'aux derniers mois cet immeuble n'était pas frappé de vétusté !

Les raisons de tout cela reviennent sans doute à la frénésie des nouveaux chantiers au centre-ville sucitée par l'état d'un quartier de la ville aujourd'hui abandonné au plus offrant, qui a connu ses heures de gloires et dont les figures architecturales n'émeuvent plus les décideurs en termes de communication.

Pendant ce temps, le temps du chantier et de la sueur, les habitants riverains s'étiolent et dépriment calfeutrés chez eux à cause du bruit continuel et de la poussière. Tous espèrent la fin des travaux la plus rapide, plusieurs se demandent pourquoi d'un seul coup le ciel leur tombe sur la tête sans crier gare au centre-ville. À ces états d'âme qui pèsent peu au regard des enjeux financiers du projet répondent en écho ténu les ficus de l'avenue qui n'ont eux pour protester que le jaunissement de leur feuilles empoussiérées et les plaies de leurs troncs malmenés.

 

L. A.
Tunis.
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