e petit monde tunisien du théâtre en est tout bouleversé. Le
quatrième art, lui aussi, en viendrait-il à être entaché par une
suspicion de gestion douteuse de l'argent public ?
À l'origine, il y a une interview de l'homme de théâtre, Tawfik
Jebali, directeur de la compagnie El Theatro qui gère aussi l'espace
de représentations et la galerie du même nom. Producteur, metteur en
scène et comédien, Tawfik Jebali fit, entre autres créations, le
bonheur des spectateurs et la saveur des nuits ramadanesques : dix
créations successives de Klem El-lil ont offert tout à la fois, le
plaisir du langage et l'art d'une satire parfois si insolente que la
censure dut s'en mêler. Mais Tawfik Jebali a aussi produit récemment
Othello et Le Fou de Gibrane. Sa notoriété le porte à des
représentations applaudies dans le monde arabe, en Europe et jusqu'en
Amérique latine.
Ce n'est évidemment pas la première interview à laquelle Tawfik Jebali
répond. Il y explique notamment en quoi il est un homme de théâtre
engagé dans les combats contemporains. Qu'est-ce qui vaut donc à cette
interview de se transformer en une « affaire » Jebali ? L'homme du
théâtre s'y plaint d'une restriction de ses droits de créateur, du
fait des formes de pénalisation dont serait coupable le ministre de la
Culture. Il s'agit d'abord de parcimonie en matière de subventions.
Tawfik Jebali affirme qu'il n'a reçu que 15 000 Dinars en guise de
prime à la création pour l'an passé.
Cette déploration par des hommes de culture de l'avarice du ministère
à l'égard de la création culturelle n'est pas nouvelle. Une quinzaine
de jours plus tôt, sur les ondes de la radio nationale, les
directrices de troupes de danse et de l'ex-ballet national ne
ménageaient pas, non plus, leurs accusations, sans pour autant subir
les foudres du ministère.
Mais voilà que Tawfik Jebali met en rapport les maigres subventions avec
la générosité (300 000 Dinars), offerte à la compagnie Adel Limam pour
quelques représentations de sa pièce Bodyguard, dont un certain nombre
de personnes de qualité et de goût déplorent la médiocrité.
Pourquoi donc un cachet aussi prodigue à Adel Limam ? Tout est là, en
fait.
Dans une réponse menaçante (Es-Sabah du 19 mai), le ministère de la
Culture, par la plume de son directeur de l'information, demande des
comptes à Tawfik Jebali. Il prétend que ce dernier aurait reçu une
somme plusieurs fois supérieure à celle déclarée (15 000 Dinars), ce
que récuse Tawfik Jebali qui dénonce le mélange des comptes entre primes
réelles à la création, achat de représentations théâtrales et de
tableaux (de la galerie El Theatro).
Mais, au-delà de cette comptabilité dont le ministère de la Culture
insinue qu'il pourrait en demander des justifications à Tawfik Jebali,
l'autorité gouvernementale se défend d'avoir payé le spectacle Limam
avec l'enveloppe budgétaire allouée au théâtre. Une commission des
festivités du millénium (?) aurait financé cette importation
théâtrale.
Tawfik Jebali n'enfonce pas le clou à ce sujet. Dommage, car on aurait
aimé en savoir davantage, mais il mettra en cause les officiels de la
Culture à propos de leur diffusion de la médiocrité et de
l'inesthétique. En matière de culture aussi le citoyen est en droit de
savoir comment se distribuent les deniers publics.