L
e despotisme n'a pas de couleur idéologique. C'est un mécanisme de gouvernement qui cherche à soumettre les
sociétés à la volonté d'une seule personne ou d'un groupe d'individus qui sont au pouvoir. Les slogans des despotes
et le degré de violence pour empêcher la résistance peuvent changer d'un cas à l'autre, mais le but reste le même :
assurer l'encadrement de la société par les instances politiques, sécuritaires et idéologiques du pouvoir.
Ces pratiques se sont reproduites parfois au nom de religions et d'autres fois sous différentes idéologies, même
les plus libératrices. On peut justifier la dictature au nom de la modernité, de la lutte des classes ou de la
démocratie. La Révolution française elle-même a détourné ses slogans pour devenir un cauchemar qui a englouti ses
propres enfants.
Pour le cas tunisien, Bourguiba et le parti du Destour n'étaient pas démocrates. Le pouvoir a mis en avant, au
début de l'Indépendance, deux slogans contradictoires :
1. Construire un État moderne. Dans sa forme, l'État tunisien ressemble à l'État français : Constitution, régime
républicain, séparation des pouvoirs, Parlement élu par les citoyens. De plus, le pouvoir a adopté un discours
moderniste qui rompt avec le patrimoine politique arabo-musulman et qui s'inspire de l'occident libéral et de
l'esprit de la Renaissance européenne.
2. Le second aspect consiste dans un gouvernement patriarcal qui se considère au-dessus de l'Institution et qui se
voit l'incarnation véritable de l'État.
Ainsi, Bourguiba, qui a révolutionné un régime politique archaïque, s'est converti en despote « moderniste non
religieux » dans sa manière de gérer les affaires publiques. Le reste n'est que le prolongement naturel d'un
système qui a maintenant des racines profondes.
La question qui se pose est : peut-on parler d'un pouvoir laïque en Tunisie ?
Je crois que la modernisation du régime politique en Tunisie reste superficielle et n'a pas changé radicalement la
nature du pouvoir, qui reste traditionnel, trop personnalisé et despotique.
La pratique politique et culturelle depuis un demi-siècle a empêché d'installer un régime laïque fictif qui sépare
la religion de l'État et permet aux citoyens d'exercer leurs choix politiques et culturels en toute liberté.
La vraie laïcité dérange les régimes despotiques car elle les oblige à respecter les choix de leurs citoyens et à
partager le pouvoir, ce qui est complètement contradictoire avec la tendance à s'approprier toutes les composantes
de l'État. C'est pour cela que Bourguiba a refusé de façon catégorique la séparation entre l'État et la religion,
en insistant pour considérer que l'État-pouvoir est responsable de la protection de la religion et de
l'organisation de la vie religieuse. C'est-à-dire que le pouvoir doit rester la seule force politique qui a le
droit d'exploiter la religion pour renforcer sa légitimité et assurer sa continuité.
Les symboles ne sont pas importants en soi, tant qu'ils assurent la continuité et la domination du pouvoir.