Alternatives citoyennes
Des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
Numéro 16 - 15 juin 2005
International
Niger
Niger  La coalition contre la vie chère
Le pouvoir d'achat au coeur du combat politique

 

A u Niger, pays aux confins de l'Algérie et de la Libye, qui eût pu être du Maghreb, a explosé un mouvement social contre la vie chère conduit par des leaders de la société civile. Bien que l'événement se soit déroulé il y a quelques petites semaines, nous en rendons compte comme une illustration édifiante d'un mouvement démocratique citoyen.

La rédaction

 

Au Niger, aux confins de l'Algérie, dans un immense espace semi désertique, traversé par le fleuve Niger, par les escouades du GSPC (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat, ayant ses bases arrières dans le maquis algérien où il a pris le relais du GIA) et par une sourde compétition américano-française autour des poches de pétrole et du minerai d'uranium, une coalition contre la vie chère mène la vie dure au gouvernement nigérien. Ce pays, qui eût pu être un pays presque émergent, est un des plus pauvres au monde et selon le PAM (Programme Alimentaire Mondial), un des pays de faim endémique. Les règles dures d'ajustement imposées par le FMI et la Banque Mondiale au début de la décennie 90 ne le cèdent en impacts désastreux qu'aux nuées de criquets qui, ces derniers mois surtout, de manière récurrente, ravagent les récoltes céréalières.

La corruption est un autre fléau et chacun tire comme il le peut son épingle du jeu dans un commerce informel échappant évidemment à toute fiscalité. On considère que cette dernière ne rapporte que 15% des prélèvements attendus. Aussi, le gouvernement n'a-t-il eu d'autres ressources pour renflouer un trésor vidé comme le tonneau des Danaïdes, que d'imposer une TVA de 19% sur un certain nombre de produits de consommation courante, parmi lesquels le mil, le sucre, l'électricité et l'eau. Voilà qui a mis le feu aux poudres depuis la mi-mars où une coalition contre la vie chère a fait descendre plus de 100.000 personnes dans les rues de la capitale Niamey, manifestations étendues ensuite au reste du pays.

Ce mouvement revendicatif contre la loi de Finances 2005, centrée sur la manne de la TVA, est un mouvement démocratique formé par un collectif de syndicats de travailleurs et d'associations de consommateurs. Ses leaders en sont souvent d'anciens chefs du mouvement étudiant qui, au début des années 1990, en finirent avec une dictature militaire. Depuis, le Niger connaît une toute relative vie démocratique que prouve le dynamisme de médias indépendants, presse et radios libres, ainsi que de nombreux syndicats et associations, toute une société civile qui se démarque des partis politiques et a pris l'initiative d'un « Mouvement du 22 mars ».

La classe politique, marquée par des postures de nomenklatura affairiste et motivée par des appartenances claniques ou clientélistes, a failli, et la relève se trouve assurée par ce mouvement d'ONG soutenu par des fondations étrangères. Leur travail de terrain dans la proximité des préoccupations sociales des citoyens est très mobilisateur. Il endosse les revendications sociales d'une population à qui sont distribués très parcimonieusement et chèrement eau, électricité, santé, éducation et, bien sûr, produits alimentaires de première nécessité. Le pouvoir d'achat est donc au coeur du nouveau discours politique et la coalition menée par l'association Croisades et le groupe de médias Alternatives-espace citoyen, s'intitule logiquement Coalition contre la vie chère.

À la suite d'appels à des manifestations pour le 30 mars et le 5 avril, 5 leaders ont été arrêtés et traduits en justice pour « complot contre la sûreté de l'État » et « manifestations non armées », l'occupation des rues étant resté pacifique. Des prières ont accompagné ce désordre, aggravant les chefs d'inculpation, ce qu'un avocat de la défense commente ironiquement : « l'appel à la prière n'est pas un délit inscrit dans le droit pénal ! ». Le Niger est un pays musulman où vivent également des minorités chrétiennes, mais ce n'est pas sur des bases confessionnelles que milite cette coalition contre la vie chère. Aussi la pression populaire unanime s'est poursuivie jusqu'à la libération des chefs de ce mouvement social, puis l'obtention de négociation avec le pouvoir.

Après des atermoiements, le gouvernement a reculé jusqu'à retirer totalement son projet de TVA et une nouvelle loi de Finances va être promulguée. Il apparaît toutefois que la coalition contre la vie chère ne s'arrêtera pas là, attachée à promouvoir une lutte politique où la défense des droits humains ne se confond pas avec le seul combat électoral, plateforme réductrice des oppositions libérales, telles qu'elles s'affichent ailleurs, notamment en Tunisie.

Voilà le véritable enjeu démocratique !

 

C. Fourati
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