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n nous le clame sur tous les tons, l'édition 2004-2005 du rapport sur les nouvelles technologies de l'information
et de la communication (NTIC) ou Global Information Technology Report, publié par le Forum économique
mondial de Davos (www.weforum.org), classe la Tunisie au 31e rang, parmi 104 pays. Les classements précédents étant
40e parmi 102 pays en 2003-2004 et 34e parmi 82 pays en 2002-2003. Un changement de méthodologie en 2002 rend non
pertinentes les comparaisons avec les éditions précédentes du rapport. On se gargarise du résultat récent comme
d'une « nouvelle reconnaissance de la communauté internationale des progrès réalisés par la Tunisie sur la
voie de la maîtrise des NTIC et de la consécration de l'économie du savoir ». Mais qu'est-ce donc que ce
rapport, sur quels critères ce classement est-il fondé, et comment doit-on interpréter ses résultats ?
La méthodologie est en fait fournie dans l'édition 2002-2003 du rapport. Le classement global NRI (Network
Readiness Index ou degré de préparation aux NTIC) résulte de la moyenne arithmétique de trois
composantes : Environnement (Environment), Préparation (Readiness) et Usage. Chacune de ces
composantes est à son tour la moyenne de trois sous composantes : état du marché, politique et
législation/réglementation, infrastructure pour la composante « environnement » ; les composantes
« préparation » et « usage » étant quant à elles mesurées chacune pour les trois catégories
d'acteurs que sont les individus, les entreprises et les institutions gouvernementales. Enfin, chaque
sous-composante est estimée selon un certain nombre de critères : ainsi, par exemple, les critères permettant
d'estimer l'usage pour les entreprises comprennent le niveau de transactions en ligne, ou encore la part du
commerce électronique (B2B, inter-entreprises ou B2C, avec le consommateur).
Le mode de recueil des données est double : données statistiques (hard data) provenant des
organisations internationales et données subjectives (soft data) issues d'enquêtes d'opinion auprès des
décideurs familiers du pays, donc en particulier exerçant leurs activités dans le pays. On ne connaît pas
précisément la part des unes et des autres mais, à l'évidence, les hard data interviennent dans
l'estimation de la composante « usage », ainsi que dans la sous-composante « infrastructure »
de la composante « environnement ». Les autres indices relèvent plutôt de données subjectives. Citons
notamment à cet égard l'exemple de l'indice législation/réglementation : au mieux, il est estimé très
subjectivement suite aux résultats d'une enquête d'opinion auprès de décideurs dont on ne sait pas comment ils sont
choisis, au pire il résulte simplement de l'existence ou non d'une législation relative au secteur des TIC, sans
aucune considération de la substance de cette législation.
Les auteurs de l'étude annuelle recommandent d'interpréter les résultats avec précaution, soulignant par exemple
que les valeurs des différents indices ne mettent pas en évidence les disparités, voire les fractures,
géographiques et démographiques au sein d'un pays donné. Enfin, les calculs d'indices à chaque niveau d'agrégation
sont d'une simplicité assez redoutable, puisqu'ils résultent de la seule moyenne arithmétique : ainsi, pour
l'« usage » et le « degré de préparation », on considère sur le même plan les citoyens, les
entreprises et les institutions publiques. On aboutit donc à un indice finalement assez grossier, surtout si l'on
se contente de l'indice global NRI, qui donne le classement par pays.
Pour tenter une interprétation plus fine, on doit donc connaître les valeurs des différents indices. Elles ne sont
malheureusement accessibles publiquement et gratuitement que pour l'édition 2002-2003. Les éditions subséquentes ne
fournissent que le classement final par pays. Toutefois, il est intéressant de considérer de plus près ces
résultats de 2002-2003, reproduits pour le cas de la Tunisie dans le tableau suivant.
Classement NRI Tunisie 2002-2003 : 34 |
Environnement : 35 |
Préparation : 27 |
Usage : 41 |
Marché |
34 |
Individus |
42 |
Individus |
60 |
Réglementation |
24 |
Entreprises |
36 |
Entreprises |
43 |
Infrastructure |
52 |
Institutions publiques |
4 |
Institutions publiques |
23 |
À la lecture de ce tableau, trois importantes disparités, ou écarts par rapport à la moyenne, sautent aux yeux. La
première concerne l'environnement : si l'état du marché correspond à la moyenne (34e), celui de la
réglementation lui est inférieur de 10 points (résultant donc en un bien meilleur classement : 24e), alors que
celui de l'infrastructure est très supérieur (18 points, résultant en un mauvais classement au 52e rang). Pour
autant, la moyenne de ces valeurs, fournissant le classement en termes d'environnement, est quasi-égale au
classement global.
La deuxième disparité est celle des valeurs respectives de l'indice « degré de préparation ». Celle
correspondant aux institutions publiques est très faible (4, c'est-à-dire que la Tunisie est classée 4e sur 82 pays
pour cet indice particulier, uniquement précédée de Singapour, Taiwan et la Finlande !). Cette valeur est bien
éloignée de celle des individus (42) et des entreprises (36). Malgré ces deux derniers aspects, le 4e rang en
matière d'institutions publiques fait baisser la moyenne totale du « degré de préparation » à 27, qui a
son tour pèse un tiers du classement final.
La troisième disparité importante est celle des valeurs de l'indice « usage », plus fiables puisque
fondées sur des données statistiques plutôt que subjectives. La valeur correspondant à l'usage des individus est
très mauvaise (60 sur 82), et celle mesurant l'usage des entreprises est médiocre (43 sur 82). La moyenne de
l'usage baisse pourtant à 41, grâce à la valeur correspondant, encore une fois, aux institutions publiques.
Il est probable que, si les chiffres correspondant aux différents critères permettant de calculer les indices
disponibles étaient fournis (il y a au total 48 critères considérés), des disparités encore plus grandes pourraient
être constatées.
Enfin et plus globalement, on peut questionner le choix du modèle présidant au calcul du NRI, et le rôle de ce
modèle dans la détermination des résultats. Ainsi, Catherine L. Mann de l'Institute for International
Economics, dans son rapport de mai 2004 intitulé « Information Technology and E-Commerce in
Tunisia : Domestic and International Challenges and the Role of the Financial System » (préparé pour le
Département du Commerce américain et pour l'Association tunisienne des banquiers professionnels), note des
disparités considérables entre le NRI et le DAI (Digital Access Index ou Indice de
l'accès numérique), ce dernier indice étant calculé par l'Union internationale
des télécommunications, et
combinant 8 critères statistiques (hard data). Le DAI, selon l'auteur, « accorde considérablement
plus de poids aux questions d'éducation et d'alphabétisation » et « est plus étroitement associé au
revenu national brut par habitant ». Or, dans le cas de la Tunisie en 2003-2004, l'écart entre le NRI et le
DAI est très important, et, l'auteur souligne que « le DAI est plus faible que ce qui pouvait être escompté
compte tenu du revenu national brut par habitant » du pays. Pour Catherine L. Mann, cela est dû au
« faible niveau d'alphabétisation des adultes [qui] tire vers le bas le DAI de la Tunisie ».
Ce rapport de Catherine L. Mann, ainsi que d'autres rapports produits par les institutions internationales, comme
la Banque mondiale, gagnerait à être commenté plus en détail. Il en va de même de l'interprétation des données
statistiques disponibles auprès de la Banque mondiale et d'autres organisations internationales (PNUD, Union
internationale des télécommunications, etc.) ou même nationales. Pour l'heure, ces quelques explications et
commentaires sur le NRI permettent de montrer que, certes, le récent classement du pays au 31e rang sur 104
apparaît comme un résultat intéressant, mais il conviendrait de se garder d'en tirer des conclusions triomphales
car, comme aiment à dire les anglophones, « le diable se niche dans les détails » !
Meryem Marzouki