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n lisant l'intitulé de cet article, le lecteur peut se poser la question de savoir pourquoi ce « de » et non pas
simplement « La société de l'information et le droit ».
Une question pertinente à laquelle il faut s'empresser de donner une réponse précise et concise. Le concept de
« société de l'information » est nouveau, sa définition n'est pas évidente, d'où l'incertitude du régime juridique
qui le régit et partant la règle de droit qui s'y applique.
Ne pouvant parler de tous les aspects de la société de l'information et de tout le droit qui s'y applique, une
approche réaliste serait de se limiter à dégager une ébauche de définition de la société de l'information, avec un
examen des règles qui dans l'état actuel du droit la régissent.
Mais la règle de droit étant garante des libertés publiques fondamentales du citoyen, des propositions doivent être
faites pour les sécuriser davantage dans la société de l'information.
Le concept de société de l'information
Les années 90 ont été les témoins de la profonde mutation qu'a subie la civilisation humaine suite à la révolution
informatique et à la généralisation de l'Internet qui, tout en ayant existé depuis la fin des années 60 grâce à
l'alliance entre l'ordinateur et le téléphone et le support des protocoles IP et TCP/IP, n'a touché le grand public
au niveau mondial qu'environ vingt-cinq ans plus tard.
La généralisation de l'utilisation de l'ordinateur dans tous les domaines de la vie et la position prise par
l'Internet comme outil incontournable de communication, d'information et de savoir, en plus du commerce
électronique qui s'y est installé, a donné un nouveau visage à l'humanité. Elle est entrée de plein pied dans l'ère
numérique et le concept de la société de l'information est né.
Le 8 septembre 2000, l'Assemblée générale de Nations Unies a adopté la Déclaration du Millénaire où il est
dit, concernant les nouvelles technologie de l'information, que les chefs d'Etat et de gouvernement rassemblés au
siège de l'Organisation des Nations Unis à New York du 6 au 8 septembre 2000 décident « de faire en sorte que
les avantages des nouvelles technologies, en particulier des technologies de l'information et de la communication,
soient accordés à tous, conformément aux recommandations contenues dans la Déclaration ministérielle du Conseil
économique et social de 2000 ».
Et pour mettre cette Déclaration en exécution, elle a adopté le 21 décembre 2001 la Résolution 56/183 sur le Sommet
mondial de la société de l'information, où il est dit notamment que l'Assemblée générale, « Constatant qu'il
est urgent d'exploiter le potentiel que recèlent les connaissances et la technologie pour réaliser les objectifs de
la Déclaration du Millénaire et de trouver des moyens efficaces et novateurs de mettre ce potentiel au service du
développement pour tous.
[...] Convaincue qu'il est nécessaire, au plus haut niveau politique, de dégager un consensus mondial et une
volonté collective en vue de faciliter l'accès de tous les pays, qui en ont un besoin urgent, aux technologies de
l'information, de la transmission des connaissances et des communications aux fins du développement, en vue de
recueillir tous les avantages de la révolution des technologies de l'information et des communications, et
d'examiner l'ensemble des questions pertinentes que soulève l'avènement de la société de l'information, en
élaborant une optique et une interprétation communes de la société de l'information et en adoptant une déclaration
et un plan d'action qui seraient appliqués par les gouvernements, les institutions internationales et tous les
secteurs de la société civile,
[...] Prend note avec satisfaction de la résolution adoptée par le Conseil de l'Union internationale des
télécommunications à sa session de 2001, dans laquelle celui-ci souscrit à la proposition du Secrétaire général de
l'Union internationale des télécommunications de tenir le Sommet mondial de la société de l'information au plus
haut niveau possible en deux phases, la première à Genève, du 10 au 12 décembre 2003, et la seconde à Tunis en
2005, sur la base de la résolution 73 de la Conférence de plénipotentiaires de l'Union internationale des
télécommunications adoptée à sa session de 1998, tenue à Minneapolis (États-Unis d'Amérique) ;
[...] Encourage la contribution effective et la participation active de tous les organes compétents des Nations
Unies, en particulier le Groupe d'étude sur les technologies de l'information et des communications, et encourage
les autres organisations intergouvernementales, notamment les institutions internationales et régionales ainsi que
les organisations non gouvernementales, la société civile et le secteur privé à contribuer et à participer
activement au processus intergouvernemental préparatoire du Sommet et au Sommet proprement dit ».
Le concept de « société de l'information » a reçu dès lors une consécration juridique internationale, étant employé
dans la formulation d'une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies. Mais à la clarté juridique s'est
ajouté le bonheur de voir le concept de « société civile » à son tour reconnu, ce que ne manquera pas l'exégèse
juridique de relever comme preuve que la société de l'information ne sera pas une société totalitaire, mais plutôt
démocratique, étant sous la protection bienveillante de la société civile garante des libertés.
L'état actuel du droit face à la société de l'information
Les nouvelles techniques de l'information et de la communication (NTIC) ont pénétré tous les domaines de l'activité
humaine. Il en est résulté de profonds bouleversements, dont un des plus importants est la dématérialisation de
l'écrit. L'écriture a été tout au long de l'histoire confondue avec le support matériel qui la contient, qui est
essentiellement le papier. Avec l'avènement de l'ère numérique, l'écrit s'est dissocié de son support matériel,
étant devenu lorsqu'il porte une nature électronique un ensemble d'impulsions électriques stocké sur un support
électromagnétique et consultable via un écran grâce au traitement logiciel effectué par le microprocesseur de
l'ordinateur dans l'espace mémoire vive qui lui est alloué par le système d'exploitation.
La nécessité impérieuse de définir les concept de l'écrit et de la signature en matière de commerce international a
amené la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) à élaborer une loi type
sur le commerce électronique laquelle a été adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre
1996
Cette loi type a donné une nouvelle définition de l'écrit et de la signature pour les libérer définitivement du
support papier auxquels ils étaient associés.
Mais estimant que la signature électronique méritait en raison de sa complexité une loi type qui lui soit propre,
l'Assemblée Générale des Nations Unies a adopté le 12 décembre 2001 la loi type sur les signatures électroniques,
établie également par la CNUDCI.
Les États de par le monde ont dans leur grande majorité modifié leur législation nationale pour la rendre conforme
à ces deux lois modèles. En Tunisie la loi du 13 juin 2000 a donné une nouvelle définition de l'écrit en le
dissociant du support papier et ce par l'ajout de l'article 453bis au Code des Obligations et des Contrats. Le
2e alinéa de l'article 453 du même code a donné une nouvelle définition de la signature pour reconnaître
à la signature numérique la même valeur juridique que la signature manuscrite.
La loi du 9 août 2000 a réglementé le commerce électronique.
De nouveaux textes ont été ajoutés au code pénal par la loi du 2 août 1999 pour pénaliser l'infraction
informatique qui peut être qualifiée soit de crime (article 172 sur le faux) soit de délit (article 199bis sur la
pénétration illégale dans un système informatique, l'altération ou la destruction des données ou du système
informatique et article 199ter sur l'altération d'un document informatique).
Notre pays s'étant doté d'une législation pour faire face à certains impératifs de la société de l'information, la
question est de savoir si notre droit national doit être renforcé par de nouvelles règles assurant au citoyen la
plénitude de l'exercice de ses droits dans cette nouvelle ère de l'histoire de l'humanité.
Défendre et consolider les libertés dans la société de l'information
Dans la société de l'information les libertés publiques sont vaines si la société civile, en tant que composante
essentielle de la société de l'information, ne peut s'exprimer qu'à travers des associations agréées par le pouvoir
politique.
En effet, l'article 8 de la Constitution garantit la liberté de réunion et d'association. Et même s'il ajoute
qu'elle est exercée dans les conditions définies par la loi, cette disposition ne peut en aucun cas être
interprétée comme pouvant autoriser le pouvoir législatif à en restreindre l'exercice et à le laisser tributaire du
bon vouloir du pouvoir exécutif.
Seulement, contre toute logique juridique, la loi du 7 novembre 1959 sur les associations, telle que modifiée par
les textes subséquents, et essentiellement celui du 2 août 1988, a soumis l'exercice de ce droit constitutionnel
fondamental à la libre appréciation du ministre de l'Intérieur. En effet, l'article 4 de la dite loi dispose que
l'association ne peut être légalement constituée et n'est autorisée à exercer son activité qu'après l'écoulement
d'un délai de trois mois à partir du dépôt du dossier de constitution dans le gouvernorat ou la délégation.
L'article 5 reconnaît au ministre de l'Intérieur le pouvoir de refuser la Constitution de l'association avant
l'expiration du dit délai de 3 mois, tout en ajoutant que la décision de refus doit être motivée et est susceptible
d'un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif.
Il s'ensuit que, conformément à une règle générale du droit posée par l'article 559 du Code des obligations et des
contrats qui dit « Tout rapport de droit [et l'association en est un] est présumé valable et
conforme à la loi, jusqu'à preuve du contraire », la bonne logique juridique aurait commandé de
considérer toute association légale jusqu'à preuve du contraire, et non l'inverse, comme c'est le cas actuellement.
Dans ces conditions, il est évident que la société civile, qui s'exprime essentiellement à travers ses
associations, est tributaire, pour l'exercice de la liberté fondamentale d'association, de la libre discrétion du
pouvoir politique.
Une démocratie ne peut s'accommoder d'une telle entorse à la lettre et à l'esprit de la Constitution. Cette entorse
est d'autant plus grave que la société civile est une composante essentielle du Sommet mondial de la société de
l'information (SMSI) qui se réunira dans notre pays du 16 au 18 novembre 2005.
Aux restrictions imposées à la liberté d'association s'ajoutent celles apportées à la liberté d'opinion,
d'expression, de presse et de publication. En effet, le même article 8 de la Constitution les garantit, mais en les
subordonnant à la même formule de l'exercice dans les conditions définies par la loi.
La même analyse citée plus haut reçoit une pleine application. Il s'en suit que la loi ne peut vider le droit
fondamental reconnu par la Constitution de toute substance en autorisant le pouvoir politique à en limiter
l'exercice et à le subordonner à son pouvoir discrétionnaire.
Mais la triste réalité est que ce droit à la liberté d'opinion, d'expression, de presse et de publication a été
indirectement limité par le Code de la presse.
En effet son article 1er, tel que modifié par la loi organique du 2 août 1993, stipule que « La
liberté de la presse, de l'édition, de l'impression, de la distribution et de la vente des livres et des
publications est garantie et exercée dans les conditions définies par le présent code ». Et en lisant les
autres articles du Code on se rend compte que le droit détaillé à l'article 1er a été soumis à trois
limites dont la mise en oeuvre est laissée à la discrétion du pouvoir politique.
Il s'agit, en effet, du dépôt légal prévu à l'article 2 et dont les modalités d'application sont déterminées par
le décret du 8 juin 1977. Mais la loi et ce décret ne donnent aucune précision sur le récépissé du dépôt et ne
précisent pas le délai dans lequel il doit être délivré, ni le recours ouvert en cas de refus tacite ou exprès de
le remettre au déposant.
Le même flou juridique se retrouve à propos de la deuxième limite consistant en la déclaration prévue à l'article
13 qui dispose « Avant la publication de tout périodique, il sera fait au ministère de l'intérieur une
déclaration rédigée sur papier timbré et signée du directeur du périodique. Il en sera donné récépissé ».
Ce récépissé se retrouve avec les mêmes tares, le texte ne prévoit ni le délai dans lequel il doit être remis, ni
le recours ouvert dans le cas où le déclarant est confronté à un refus exprès ou tacite quant à sa remise.
L'article 14 ajoute à la confusion en stipulant que « Avant l'impression de tout périodique, l'imprimeur
doit exiger le récépissé délivré par le ministère de l'intérieur et dont la date de délivrance ne doit pas remonter
à plus d'une année ».
En d'autres termes, faute de récépissé, l'imprimeur refusera l'impression sous peine de sanction pénale en cas
d'inobservation de l'obligation qui pèse sur lui.
La dernière limite est la menace que fait poser l'article 73 du Code de la presse, tel que modifié par la loi
organique du 2 août 1993. En effet, cet article dispose que « Le ministre de l'intérieur pourra, après
avis du secrétaire d'État auprès du Premier ministre chargé de l'information et sans préjudice des sanctions
pénales prévues par les textes en vigueur, ordonner la saisie de tout numéro d'un périodique dont la publication
sera de nature à troubler l'ordre public ».
Or, que faut-il entendre par « ordre public » au sens de ce texte qui n'en donne aucune définition.
Manifestement, le ministre de l'Intérieur a un pouvoir total quant à sa définition, n'étant tenu - selon le
texte - que de demander l'avis du secrétaire d'État auprès du Premier ministre chargé de l'information, sans
être obligé de le suivre. Il en résulte que le concept, tout en étant juridique, peut n'avoir en fin de compte
qu'une substance politique. Serait dans ce cas considérée comme de nature à troubler l'ordre public toute opinion
dissidente, ou toute idée qui rompt avec l'unanimisme.
Dire que l'état actuel du droit ne protège aucunement le droit fondamental de la liberté de la presse prévu à
l'article 8 de la Constitution, c'est donner une lecture claire du « dit » et du « non dit » du
Code de la presse.
Les imperfections de la loi et le vide juridique vecteurs de violations des droits de la société civile
Le Code des télécommunications promulgué par la loi du 15 janvier 2001 dispose dans l'alinéa 1 de son article 3 que
« Toute personne a le droit de bénéficier des services des télécommunications. Ce droit est constitué
par :
L'accès aux services de base des télécommunications sur tout le territoire de la République Tunisienne ».
L'article 11 stipule « Sous réserve des dispositions de l'article 3 du présent code, la fourniture des
services de base des télécommunications est soumise aux conditions suivantes : [...] garantir l'égalité
d'accès de tous les usagers à ces services ».
L'article 63 prévoit la création d'un organisme spécialisé dénommé « Instance nationale des
télécommunications » chargé de « contrôler le respect des obligations résultant des dispositions
législatives et réglementaires dans le domaine des télécommunications ; d'examiner les litiges relatifs à
l'installation, au fonctionnement et à l'exploitation des réseaux »
Puis l'article 67 ajoute « Sont portés, devant l'Instance Nationale des Télécommunications par le
Ministre chargé des télécommunications ou par les installateurs et les opérateurs des réseaux, les requêtes
afférentes aux litiges relatifs : à l'interconnexion et à l'accès aux réseaux ; aux conditions de
l'utilisation commune entre les exploitants des réseaux des infrastructures disponibles ».
Mais rien n'est dit à propos de l'usager, dont le droit de bénéficier des services des télécommunications, reconnu
par l'article 3, est violé par le refus de lui permettre d'en user, ou par le fait qu'il en soit privé, après coup,
arbitrairement. L'article 67 ne lui accorde pas en effet le droit de porter plainte devant l'Instance nationale
des télécommunications.
D'où l'imperfection de la loi qui peut aboutir dans ce cas au fait que dans la société de l'information un citoyen
peut être privé de son droit de bénéficier des services des télécommunications, sans pouvoir s'en plaindre devant
une autorité compétente et sans qu'il y ait un recours lui garantissant le recouvrement immédiat de son droit.
Mais à côté des imperfections de la loi, il y a le vide juridique qui ouvre les portes de l'arbitraire, et le cas
de la censure qui s'exerce au niveau de l'Internet en est un édifiant exemple.
En effet des sites sont bloqués sans qu'il y ait aucune règle de droit qui autorise un pareil comportement. La loi
ne prévoit aucun recours spécial contre le fournisseur d'accès responsable du blocage, sauf à recourir aux règles
de la responsabilité contractuelle pour violation de ses obligations contractuelles pour avoir mis des filtres non
agréés contractuellement.
Mais dans le cas où il s'avère que ce n'est pas le fournisseur d'accès qui endosse la responsabilité du blocage, le
recours sera fait dans ce cas contre l'auteur identifié sur la base de la responsabilité civile délictuelle.
La règle de droit est certainement le meilleur rempart contre tous les arbitraires. La société civile, composante
essentielle de la société de l'information et du savoir, demandera à ce que les lacunes de la loi soient comblées
et que le flou juridique soit éclairci.
Mais, en attendant, le meilleur remède serait de faire en sorte que l'interprétation de la règle de droit dans son
état actuel ait pour finalité la défense des libertés et non la multiplication des entraves empêchant son
épanouissement. Une parole de juriste serait que l'art et la science de l'interprétation de la loi sont d'une
redoutable efficacité pour une société déterminée à se frayer un chemin vers la vraie démocratie où la vérité ne
serait l'apanage de personne.