S
ihem Bensedrine a fait circuler ces derniers jours, sous le manteau quoique auprès de nombreuses
personnes-ressources de la société civile, vectrices de communication et véritables caisses de résonance, 13 pages
d'une correspondance censément privée (!) entre elle-même et la personne destinataire. Plusieurs personnes étaient
déjà directement en copie de ces courriers électroniques.
L'essentiel de ce que l'auteur intitule « l'historique des documents
échangés », à propos des « divergences », est consacré à un petit contentieux sur les termes de la
« Déclaration de la Société Civile Tunisienne Indépendante » de janvier 2005 (voir en rubrique Dossier de ce numéro d'Alternatives
citoyennes) ainsi que sur les modalités de constitution d'une coordination ad hoc.
Nous ne publions pas cette correspondance, par souci de responsabilité politique évident que nous aimerions voir
mieux partagé, car nous ne souhaitons pas participer à divulguer des informations sur les associations de la
société civile tunisienne, dont la situation est déjà trop difficile pour contribuer à les mettre en danger
davantage. Il n'y a pourtant dans la première partie de cette correspondance, à première vue, rien de bien grave ni
de bien conséquent pour les interlocuteurs, ni pour les associations signataires, mais cela est tout de même
révélateur d'un malaise certain. Tout cela, d'ordinaire, se
discute, se négocie et se clôt par un consensus, une fois toutes les scories du débat écumées. Les seuls passages
que nous nous permettons de commenter, et par conséquent de mettre en lumière, car nous n'avons rien à cacher et
devons toute clarté à nos lecteurs, concernent notre journal et Meryem Marzouki, qui anime de Paris et en
partenariat avec moi-même, Alternatives Citoyennes, et cela depuis mars 2001. C'est d'ailleurs à ce titre que je m'exprime
moi-même ici.
Meryem Marzouki est franco-tunisienne, chercheuse au CNRS où elle s'intéresse à plusieurs des thématiques du SMSI,
présidente de l'association française IRIS (Imaginons un réseau Internet solidaire) et militante associative dans d'autres organisations européennes et
internationales... Elle est aussi, pour ce qui nous concerne présentement, responsable du caucus des droits de
l'homme dans la société de l'information, formé sous son impulsion dès juillet 2002 par des organisations de la
société civile internationale participant au SMSI. Outre ses nombreux efforts dans ce cadre en faveur d'une
amélioration de la situation des droits de l'homme en Tunisie, c'est aussi à ce dernier titre qu'elle s'est rendue
disponible pour présenter à la société civile tunisienne les enjeux du sommet (notamment à Tunis les
30 avril et 28 décembre
2004), pour lui fournir toutes les informations indispensables et lui apporter, à sa demande, sa solidarité utile,
presque privilégiée, dans l'expression de ses légitimes revendications démocratiques dans le cadre du SMSI.
Aussi, nous sommes nombreux à Tunis à ne pas comprendre l'enjeu de la hargne de Sihem Bensedrine contre Meryem
Marzouki, sauf évidemment à considérer qu'elle appréhende de se voir voler la vedette dans un cadre international
sur lequel les caméras du monde vont fixer leurs objectifs. Chacun connaît le péché mignon de notre militante de
terrain qui, en longue écharpe de soie et roulement liquide de sa voix suave, accorde son ramage à son plumage,
pour les journalistes d'ARTE ou de quelques autres télés : l'efficacité politique
n'est-elle pas d'abord affaire d'image autant que d'insertion dans des réseaux d'ONG ?
Mais il ne suffit pas de se décréter « ONG nationale ou internationale » pour mériter tout crédit, d'où
quelques réserves parfois de Meryem Marzouki vis-à-vis de certaines de ces organisations. Sihem Bensedrine ignore,
sans doute car cela ne lui a encore jamais été donné, qu'on ne s'exprime pas de la même façon dans un communiqué
publié au nom de 50 ONG internationales, parmi lesquelles les plus importantes en matière de défense des droits de
l'homme, et dans la présentation du dossier d'une revue en ligne comme Alternatives citoyennes qui, signée
de sa rédaction, permet dans un style éditorial de relever le paternalisme de certaines positions qui regardent la
Tunisie de loin voire de haut.
Toutefois, que Sihem Bensedrine se rassure, sa présumée challenger évolue ailleurs et n'a aucune
prétention à carrière politicienne, et encore moins sous nos cieux, qu'elle a d'ailleurs quittés depuis près de 20 ans maintenant,
après y avoir pris sa part, sans doute discrète, de militantisme à une époque où on n'entendait pas beaucoup parler
de Sihem Bensedrine, pourtant son aînée. Ajoutons, pour la complète tranquillité de Sihem
Bensedrine qui décidément semble bien tourmentée, que l'agenda téléphonique de Meryem Marzouki ne comporte qu'un
seul numéro tunisien, outre ceux de sa famille... Elle ne menace donc en rien Sihem Bensedrine sur son terrain
mouvant, d'autant que cette dernière y met beaucoup de vitalité et de savoir faire, elle qui
« en veut » - c'est son droit - et qui « en a » - nous lui reconnaissons ce talent.
Par ailleurs, si, informée par certains de ses homologues de la société civile internationale de
leur souhait d'inclure dans leurs débats une personne susceptible de témoigner de la volonté la plus large des ONG
indépendantes tunisiennes, Meryem Marzouki a choisi de suggérer le 23 décembre 2004 le nom de Mokhtar Trifi pour une participation
au Forum social mondial de Porto Alegre, c'est parce qu'en toute
légitimité, le président de la LTDH, première association à s'impliquer véritablement dans le cadre du SMSI, semble
être le plus habilité à représenter les associations de la société civile tunisienne. Nous disons bien
les associations, et
évidemment pas la Coordination, qui n'a été décidée que plus tard, sur une idée exprimée par l'une de ces
organisations le 28 décembre 2004, et adoptée par toutes les autres organisations présentes.
D'ailleurs Sihem Bensedrine elle-même, seulement porte-parole du CNLT (et/ou de l'OLPEC : on ne sait jamais
très bien) qui, soit dit en passant s'est bien vidé de ses courants pluralistes de départ, ne manifeste pour sa
part aucun embarras à s'auto-mandater représentante de la société civile tunisienne à Porto Alegre (étant donné ses
nouvelles prédilections, nous l'aurions mieux vue à Davos, voire à Sea Island). Au demeurant, écrit-elle de sa
plume dans cette même correspondance, n'est-ce pas chez elle qu'ont même été « arrêté[s] 12 noms » pour
coordonner l'action de la société civile tunisienne ? Bien évidemment, Sihem Bensedrine, qui s'autorise à
sélectionner et à excommunier, bénéficie d'une légitimité immanente et infuse. Elle est absolument et
personnellement la centralité de la résistance...
Dans notre landerneau, chacun(e) connaît l'histoire de l'autre. Pour questionner quiconque sur son CV
militant, encore faut-il être soi-même un modèle de fidélité, de cohérence et d'engagement sur la durée...
Voilà donc une nouvelle tentative d'exécution en douce, aussi gratuite qu'absurde et contre-productive, dans la
volonté - ratée - de porter atteinte à une universitaire indépendante qui n'est pas « du
milieu », après d'autres petits meurtres intimes. Quelle tristesse, quel gâchis, que de miner ainsi, par de
telles inélégances et manigances, l'engagement citoyen pluraliste dans la construction d'une société
démocratique !