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eçue en Tunisie et très suivie, parfois plus qu'Al-Jazira pour sa diffusion de l'islam et son « incomparable
lecture du Coran » - soutiennent ses amateurs - la chaîne de télévision El Manar est baptisée « chaîne de
la haine » en France où elle est dénoncée notamment par les organisations communautaires juives et par
les responsables de partis politiques comme le PS ou l'UMP, mais aussi par des organisations de défense des droits
de l'homme et de lutte contre le racisme. La diffusion au cours du mois de Ramadhan 2003 d'un feuilleton inspiré
par le protocole des sages de Sion (document apocryphe diffusé dans la Russie tsariste au début du XXe
siècle) et co-écrit par deux universitaires d'Alep (Syrie), scandalise l'opinion publique. Il montre en particulier
un rabbin égorgeant un enfant chrétien pour faire de son sang du pain azyme.
Mais les émissions aussi seraient truffées de propos négationnistes, et l'antisionisme de cette chaîne du
Hezbollah, mouvement islamiste engagé dans la résistance palestinienne, serait le masque politique d'un fort
antisémitisme.
Voilà donc le dossier qui embarrasse l'autorité audiovisuelle française, le Conseil supérieur de l'audiovisuel
(CSA), car comment empêcher la diffusion d'une chaîne intégrée à un bouquet de 10 chaînes arabes portées par le
satellite Arabsat et retransmises en France via Eutelsat ?
La procédure d'empêchement de nuisance se fait par étapes et commence par l'élaboration d'un cadre juridique à
l'été 2004, puis en automne par l'octroi au CSA d'une possibilité de contraindre El Manar en (paradoxalement) la
conventionnant.
Un cahier des charges fixe les obligations d'expurger toute image litigieuse dûment visionnée et identifiée par un
comité de veille du CSA. Dès lors, la direction d'El Manar se plie à la règle française et diffuse une version soft
de ses programmes tout en réservant sa version hard aux publics arabes et américains !
Enfin « soft », c'est beaucoup dire, car au bout d'une semaine d'ascèse, voilà qu'El Manar reprend ses fadaises
racistes, accusant par exemple Israël - ou plutôt, car El Manar le nomme rarement, l'« ennemi sioniste
» - de diffuser le virus du sida dans les pays arabes.
Le Conseil d'État continue pourtant de reconnaître droit de cité à cette chaîne, au grand dam d'esprits indignés de
tant d'insanités passant en contrebande sous le langage de la résistance légitime à l'occupation de la Palestine.
Que redoute en fait la France du Hezbollah, elle dont les deux ministres des affaires étrangères successifs
(Dominique de Villepin et Michel Barnier) ainsi qu'un procureur de la République, sont implicitement accusés par le
journal Le Point d'avoir laissé traîner ce dossier avant que le CSA ne prenne le taureau par les cornes ?
Certes, en « représailles », la diffusion de médias français (particulièrement RFI) au Liban relayés par Arabsat
pourrait être interrompue. Mais un chroniqueur de RFI risquait cette hypothèse : le Hezbollah, qui s'était déjà
interposé dans des négociations délicates entre la France et des preneurs d'otages, aurait bien pu à nouveau servir
de médiateur à propos des journalistes enlevés en Irak, Christian Chesnot et Georges Malbrunot. La libération des
deux otages, enfin survenue ce 21 décembre 2004, dément cette hypothèse.
L'État a-t-il ses raisons que l'éthique audiovisuelle ne reconnaît pas ? En dépit de toutes ces conjectures, un
épilogue de cette affaire survient le 13 décembre : le Conseil d'État décide l'arrêt des émissions d'El Manar
sur la France. Fair-play et se préparant à négocier avec le CSA, le directeur de la chaîne décide le 14 décembre
d'interrompre la diffusion d'El Manar sur la France.
En attendant d'éventuels rebondissements, qui feront encore réagir des esprits soucieux de déontologie ou jaser des
langues pernicieuses, et bien que cela apparaisse sans commune mesure, le journal Le Point ferait bien de
balayer devant sa propre porte : son éditorialiste Claude Imbert, venu prêcher ce 11 décembre à Tunis en
homme de grande civilité, n'a-t-il pas été lui-même sommé de démissionner du Haut conseil français à l'intégration
[NDLR. Voir Alternatives citoyennes numéro 12],
en raison de sa légitimation dans ses éditoriaux et sur la chaîne LCI de son
« islamophobie » ? « Cela ne me gêne
pas de le dire » avait-il même lancé dans la suite d'un Michel Houellebecq [NDLR. Voir Alternatives
citoyennes numéro
4], « j'ai le droit de penser que l'islam
- je dis bien l'islam, je ne parle même pas des islamistes - en tant que religion apporte une débilité
d'archaïsmes divers... ».
Le 30 novembre, la Ligue française des droits de l'homme en appelait, à propos d'El Manar, à « sanctionner sans
faiblesse toute manifestation de racisme et d'antisémitisme » conformément aux lois françaises qui pénalisent toute
discrimination, toute injure faite à l'Autre dans sa différence. L'association n'allait pourtant pas jusqu'à
réclamer l'interdiction totale de la chaîne, rappelant qu'« interdire un média est une mesure exceptionnelle qui
n'a frappé, depuis longtemps, aucun média français ou européen, même lorsque sont intervenues des condamnations
pour racisme ». C'est pourtant ce qu'a fait le Conseil d'État français, dans un climat de forte pression voire d'«
hystérie » comme l'ont qualifié certains observateurs des débats parlementaires.
Ce 15 décembre sur RFI, l'éditorialiste Richard Labévière rappelait que cette décision du Conseil d'État devrait
faire « jurisprudence » pour s'appliquer aussi aux médias « arabophobes et qui criminalisent la résistance
palestinienne ». Il n'a apparemment pas été entendu par le CSA qui a surenchéri sur la décision du Conseil d'État,
en résiliant le 17 décembre sa convention avec El Manar, empêchant de fait la diffusion de la chaîne dans toute
l'Europe par des canaux officiellement reconnus.
Le plus contestable demeure la justification par le CSA de sa décision : relevant que la chaîne El Manar avait
déclaré le 2 décembre dans son journal télévisé en langue française que « Israël mène une campagne sans précédent
contre la chaîne Al Manar pour l'empêcher de diffuser en Europe. C'est ce qu'a avoué ce jeudi la télévision
israélienne qui a révélé que le gouvernement israélien a multiplié ses efforts, tirant les ficelles par ci et par
là, pour empêcher la chaîne de télévision de révéler aux téléspectateurs européens, aux résidents étrangers en
Europe, la réalité des faits et de la situation, les crimes contre l'humanité perpétrés par Israël, aussi bien en
Palestine occupée que dans le monde... », le CSA a considéré que « diffusant par voie satellitaire à destination
d'un public européen et plus particulièrement français vis-à-vis duquel ses dirigeants se disent eux-mêmes
"conscients du fait que l'antisionisme militant d'Al Manar peut être interprété comme de l'antisémitisme", [les
propos d'El Manar] constituent dans ce contexte une incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de
race, de religion ou de nationalité ».
Voilà donc une simple autorité administrative qui s'octroie le privilège de qualifier ce qui est ou n'est pas un
crime contre l'humanité. Dans le souci de gérer sa surprenante et à tout le moins maladroite décision de
conventionnement d'une chaîne après que celle-ci a diffusé des programmes incontestablement antisémites, le CSA
vient ainsi tenter de justifier la résiliation de ce conventionnement par un argument spécieux. Ce faisant, le CSA
s'érige non seulement en juge, mais de surcroît en juge du tribunal de l'histoire. Pour le CSA, il semble
que celle-ci se soit arrêtée au Tribunal militaire international de Nüremberg, puisque sa suite est ignorée, qui
a conduit à la Cour pénale internationale et qui demeure en marche.
- Décision du Conseil d'État (Ordonnance du juge des référés du 13 décembre 2004
N°274757) :
http://www.conseil-etat.fr/ce/jurispd/index_ac_ld0460.shtml
- Décision du CSA (Décision n°2004-526 du 17 décembre 2004 prononçant une sanction à l'encontre de la société
Lebanese Communication Group SAL) :
http://www.csa.fr/actualite/decisions/decisions_detail.php?id=20733