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n ce 8 décembre, tandis que s'annonçait une menace d'attentat terroriste contre des intérêts américains en Tunisie
ou (élargissant la mise en garde américaine) en d'autres pays arabes, c'est à Jeddah qu'une explosion soufflait le
consulat des États-Unis. Une dizaine de morts américains et arabes grossit le nombre de victimes de la dite
organisation Al Qaïda, les dernières en date étant celles tombées en mai dernier sur les gisements pétroliers d'Al
Khobar.
Depuis deux ans, une forte turbulence agite le royaume wahhabite, en dépit de quelques accalmies et avec des degrés
divers sur l'échelle de ces conflagrations, jalonnées de fusillades et affrontements en plein coeur de la capitale
ainsi que de vagues d'arrestations, par centaines de suspects et autres hors la loi. Toutefois, insinuent les
observateurs, c'est dans l'environnement immédiat de la maison des Saoud, voire parmi les princes de sang et entre
les clans et les tribus que la consanguinité royale rapproche et oppose, qu'il faut chercher les meneurs de cette
déstabilisation d'une monarchie absolue de droit divin que tout rend caduque.
Les risques d'implosion y apparaissent d'ailleurs si fortement que l'International Crisis Group (ICG) a
rendu public il y a quatre mois, sous la signature d'un ancien conseiller de Bill Clinton, Robert Malley,
spécialiste des questions moyen-orientales, un rapport suggérant un panel de réformes à cet état d'obsolescence.
En background, le projet d'une tripartition du Royaume avait fait frémir les autorités, prises désormais entre
le marteau de Washington et l'enclume de l'islamisme radical.
Du côté américain, l'identification du foyer du 11 septembre dans le voisinage des lieux saints de l'islam qu'une
ancienne « tempête du désert » contre l'Irak avait souillés avec l'aval du monarque, détermine une opération
d'assainissement, c'est-à-dire au moins, de réformes institutionnelles et culturelles menées au pas de charge.
Aussi, le royaume des Saoud est-il une pièce maîtresse dans la géopolitique du grand Moyen-Orient, projet de
l'administration américaine qui vient d'en ébaucher une vague esquisse à Rabat, au cours de la première session du
Forum de l'avenir ce 11 décembre 2004.
Ce royaume est d'autant plus un enjeu qu'il est aussi celui de l'or noir dont les revenus, par la hausse
spectaculaire du prix du baril, avoisineront cette année le record de 100 milliards de dollars, soit 30% de plus
que le revenu annuel moyen de ce label de la monarchie. Cette fortune, contre toute attente (on prévoyait en effet
un déficit budgétaire cette année), va relancer la croissance à plus de 3%, dégager un surplus pour régler la dette
et pour financer des projets de développement.
La résorption de la pauvreté et celle d'un chômage supérieur à 10% selon les chiffres officiels, s'impose avec
d'autant plus d'urgence que la démographie incontrôlée est explosive.
Toutefois, le désamorçage des tensions sociales exacerbées par l'arrogance de la richesse et la visibilité de la
corruption suffira-t-elle à dégonfler une hydre terroriste sur l'enclume de laquelle un pouvoir délabré, contraint
de l'extérieur et miné par des appétits successoraux, pourrait se fracasser ?
Le rapport Malley prévoit des réformes
culturelles tout autant qu'institutionnelles. Ainsi, il propose une évolution vers une forme de monarchie
constitutionnelle et parlementaire où le Majliss echoura aurait plus de pouvoirs législatifs et un statut de
conseil économique.
Un cadre légal permettrait également de structurer en une société civile le lobby réformiste qui prend de
l'initiative et cherche des brèches.
Dans les médias, les journalistes ruent aussi dans les brancards et le paient en retour.
Il est demandé de plus
aux autorités une réforme profonde des programmes scolaires qui s'élabore par petites touches. L'analphabétisme
devrait être un des archaïsmes à lever et les femmes, qui en sont les premières victimes, devraient, par le biais
d'une instruction élargie au genre (on ne parle pas encore de mixité), être à même d'aspirer à une présence plus
visible dans les services publics ou le secteur privé.
Car c'est ce dernier qui est dans la ligne de mire : l'État saoudien qui nécessairement devrait finir par intégrer
l'OMC, doit se montrer plus attractif pour l'investissement privé, surtout étranger. Celui-ci regarde davantage
vers le pétrole, domaine de souveraineté du Royaume qui entendrait convertir la rente pétrolière trop longtemps
gaspillée en développement de structures industrielles connexes.
Toute une politique immobilière ferait tourner l'industrie du bâtiment dans une stratégie du logement social.
Enfin, l'implantation de banques étrangères impliquerait une plus grande transparence dans le système financier et
appellerait, à terme, l'institutionnalisation de la comptabilité publique.
Il est clair qu'on s'achemine vers un programme de bonne gouvernance selon les termes des institutions financières
internationales, mis en oeuvre en royaume d'Arabie sous la pression extérieure et sous des impulsions intérieures.
Un tel programme, une vraie révolution, ferait de l'Arabie Saoudite la clef de voûte et le nerf du projet grand
moyen-oriental.
Le Royaume en a les moyens financiers mais le conservatisme wahhabite d'un autre âge qui le travaille et le leste en
profondeur depuis si longtemps lui laisse-t-il la moindre chance pour cette transition tranquille, dans le sillage
des normes occidentales auxquelles résiste précisément une coalescence d'obscurantismes grouillant dans la matrice
même de la maison des Saoud ?