À
la nouvelle de son incontestable élection, George Walker Bush se serait écrié : « Dieu habite la
Maison blanche ». Cela fait déjà quelques années que l'esprit divin hante ce mécréant récemment converti
qu'est le président des USA, trame ses discours, oriente sa politique, depuis qu'en visite dans son ranch du Texas,
un pasteur évangéliste réussit à ramener au sein de ses ouailles ce fils de famille dévoyé, flambeur, alcoolique et
inculte. Désormais armé de la Bible comme livre de chevet et à l'école de son « philosophe préféré,
Jésus », il en interprétera le message dans une croisade manichéenne contre le mal, un fondamentalisme dressé
contre un autre. Aussi était-ce vraiment un coup de génie, un tour de force, que cette manoeuvre électoraliste de
Karl Rove son conseiller, manipulant comme autant de périls en l'ordre moral la question de l'avortement ou du
mariage homosexuel, pour gagner le « bonus » des 4 à 5 millions de votes très conservateurs, ceux-là
mêmes qui avaient manqué à Bush à la précédente élection présidentielle ?
Non, il ne s'agit que d'une rencontre prévisible, depuis longtemps travaillée, entre le nouveau pasteur et
l'Amérique d'un peuple « élu ».
L'histoire des USA pourtant, en dehors de quelques périodes de ferveur religieuse, ne prédisposait pas à
l'évolution de la plus grande démocratie du monde vers ce que quelques provocateurs dénoncent comme les symptômes
d'une nouvelle théocratie, en tout cas vers une approche évangéliste intégriste de la population américaine, car
les USA, fondés par des boat-people de religions diverses fuyant les persécutions, sont le berceau, sinon
de la laïcité, du moins de la tolérance de l'exercice des cultes. À cet égard, le Premier amendement de la Constitution est
clair. Il est au principe même de la coexistence des religions du Livre, de différents schismes et jusqu'aux sectes
qui fleurissent librement aux USA.
En dépit de cette garantie de séparation du religieux et du politique, différents dépassements ont implanté d'abord
une forme de religiosité dominante, confirmée par l'écrasant pourcentage de croyants dans la population américaine
et, à peine moindre, de pratiquants qui donnent l'image d'une Amérique bigote, rigoriste. Le zèle des ouailles les
plus carrées, essaimant des églises évangélistes baptistes, pentecôtistes, plus actives dans le Sud ou dans
l'Amérique profonde que sur les côtes plus cosmopolites et iconoclastes, a fini par empiéter sur l'espace public.
Non seulement tout Américain signale par sa monnaie qu'il croit en dieu, mais les séances du Congrès commencent par
la prière d'un pasteur. Les USA n'auront pas attendu George W. Bush pour autoriser une évangélisation rampante de la
vie politique tout au long du XXe siècle. Certes, on pense aux descentes musclées contre les cliniques pratiquant
l'avortement, mais la remise en question de l'enseignement du darwinisme est bien plus ancienne : une décision
de la Cour suprême a dû suspendre la propagation d'enseignements créationnistes substituant à la loi de l'évolution
une filiation directe de l'humanité à partir de l'accouplement d'Adam et Eve. Des écoles de Louisiane tentèrent
même de maintenir un enseignement mixte évolutionniste et créationniste.
Les exemples seraient longs du paradoxe de cette grande nation, où l'intelligence la plus créative cohabite avec
l'étroitesse d'esprit et les préjugés les plus archaïques : en mai 2003, des collèges du Texas prohibaient la
mixité dans les salles de classe et l'on prétend interdire la fabrication de cellules souches à usage thérapeutique
quand les marchands de l'agroalimentaire déversent les OGM et que des cliniques privées s'enrichissent de
l'expérimentation clandestine de la conception par clonage humain.
Dans ce pays où le protestantisme libéral a fondé un capitalisme ouvert et conquérant, les sectes des Mormons,
Amish ou témoins de Jéhovah ont beaucoup moins de capacité de nuisance que les télévangélistes. Des orateurs
flamboyants comme le pasteur Pat Robertson soulèvent des vagues émotionnelles auxquelles répondent en écho les
choeurs des églises. Mais ce prosélytisme religieux se structure aussi en une droite chrétienne fondamentaliste.
Fondateur du mouvement appelé Coalition unitaire chrétienne, le pasteur Ralph Reed considérait en 1996 que
son organisation évangéliste ou apparentée représentait le tiers de la convention républicaine au Congrès.
Ce mouvement s'est appuyé sur le dispensionalisme, une théorie, une interprétation des saintes Écritures par
lesquelles le peuple juif, adhérant aux Dix commandements, aurait reconnu Jésus comme prophète avant l'arrivée du
Messie. Une telle rencontre aurait infléchi un christianisme plutôt hostile aux juifs avec Pie XII, vers plus de
connivence avec le sionisme. La coalition unitaire chrétienne serait à l'origine d'une « ambassade
américaine » à Jérusalem qui fonctionnerait comme une fondation d'appui au sionisme.
Il y a des chances toutefois pour que les liens entre les USA (dirigés par des républicains ou des démocrates) avec
Israël, son bras armé et son avant-poste au Moyen-Orient, soient plutôt de nature économique, stratégique,
politique.
La religion peut aider à un moindre niveau, par un système d'alliances entre ultradroites fondamentalistes de ces
deux pays contre le monde musulman, surtout quand celui-ci n'avance comme autre argument, comme autre défense, que
le Jihad salafiste.
La mandature de Bush pourtant ne s'est pas trouvée acquise au départ corps et biens à l'État d'Israël, à telle
enseigne qu'il tomba sous la pression d'une coalition christiano-sioniste dont les évangélistes furent les fers de
lance.
Des tonnes de missives menaçantes tombèrent sur la Maison blanche lorsque George W. Bush se dit prêt à reconnaître un
État palestinien : « Is Bush boxing with God ? » interpella le révérend Hutchens et le
lobby d'extrême-droite prit plaisir à rappeler le pedigree familial de Bush, particulièrement un grand-père suspect
de s'être enrichi avec de l'argent nazi et un père très lié aux pétrodollars arabes.
La tragédie du 11 septembre, la guerre d'Afghanistan, la destruction de l'Irak, la lutte contre le terrorisme,
réinterprétées à la faveur du choc des civilisations comme un conflit entre l'Occident judéo-chrétien et l'Orient
musulman, ont apaisé des esprits échauffés, dont le sectarisme a vite fait de comprendre que George W. Bush était bien
« leur homme » et devrait rester leur otage.
Une grande partie de l'équipe de Bush, parmi laquelle son porte-parole Harry Fleisher, Paul Wolfowitz et
l'inquisiteur suprême John Ashcroft, sans parler du dernier converti Dick Cheney, fait bloc autour de ce nouveau
guide suprême, parangon de l'ordre moral autant que mondial ordonnateur de la dernière croisade ouvrant la plus
mirifique perspective pour le nouveau siècle américain : un grand Moyen-Orient qui, suivant l'arc du pétrole,
se déploierait des montagnes de l'Afghanistan jusqu'en Mauritanie et au golfe de Guinée.
Porteur du messianisme d'une nation conquérante « mue par la foi », George W. Bush prêche au nom d'un pays
dont il dit qu'« il a l'âme d'une église ». Aussi, quoi d'étonnant que dieu occupe désormais son cloître,
la Maison blanche ?