L
e jour où nous mettons en ligne ce numéro, nous apprenons qu'il y aura bien un Barghouti candidat à la
présidence de l'Autorité palestinienne, mais il s'agit de Mustapha Barghouti, militant
démocrate de la gauche laïque, sans lien de parenté avec son homonyme. Marwan Barghouti, quant à lui,
a annoncé le 26 novembre
qu'il soutenait la candidature de Mahmoud Abbas, et qu'il ne se présenterait pas à ces élections. Du moins pour
cette mandature.
Marwan Barghouti, achevant la trajectoire d'Arafat, donnera-t-il à la Palestine son Mandela qui, forçant l'occupant
à un véritable retrait de l'ensemble des Territoires occupés, négocierait enfin la paix ?
Les candidats à la succession de Yasser Arafat ont jusqu'au 1er décembre pour se déclarer officiellement.
Tout laisse présager que Mahmoud Abbas, resté dans l'ombre trop longtemps, prendra sa revanche sur une si longue
éclipse. Charismatique, le vieux chef de l'Autorité palestinienne, cristallisant l'éclat d'une révolution, laisse
peu de possibilités d'émergence à d'autres figures, a fortiori à celle très terne de Mahmoud Abbas, et qui plus est
entachée d'un bien encombrant aval, celui des USA sinon celui d'Israël. D'autant que le passage de ce dernier au
poste de Premier ministre a accentué auprès de la population la décrédibilisation, voire le rejet de Abou Mazen.
Dès lors, le mal-aimé numéro 2 pousserait-il l'hérésie jusqu'à occuper le fauteuil vacant du défunt président, il
n'en aura pas pour autant le statut du Zaïm. Car le peuple palestinien a déjà donné son coeur au seul
valeureux guerrier susceptible de hisser un égal flamboyant combat, dans la lignée archétypale du héros arabe, à
quelques modernisations près. De la race d'Arafat, leader historique de la résistance, et d'Abou Jihad qui lança la
première Intifada, Marwan Barghouti a repris le flambeau après l'assassinat à Tunis de ce dernier par un commando
israélien, portant à nouveau à l'ennemi les coups de l'intérieur de l'occupation. Quand il lance en 2000 la seconde
Intifada, il a déjà du lustre et le panache d'un long parcours de résistant.
Né, en effet, en 1960 près de Ramallah, il s'engage dans le Fatah à 15 ans et se fait aussitôt prendre en rétention.
Sa vie, dès lors, il la partagera entre les geôles israéliennes, l'exil et les camps de combattants où,
contrairement à la direction de Tunis baptisée « les Tunisiens », il mouillera sa vareuse et crottera ses
bottes, dans les camps de réfugiés, une pierre à la main. Peu à peu, il prend de l'étoffe et du galon, promu chef
du Fatah pour la Cisjordanie. Il n'est pourtant pas toujours en grâce auprès de l'establishment qui redoute
son immersion dans la population, sa gouaille et la séduction qu'il exerce sur les médias internationaux, enfin
jusqu'à l'embarras de ses ennemis obligés de reconnaître en lui un adversaire à leur hauteur, jeune, populaire,
cultivé, ouvert aux discussions avec la gauche israélienne et ferme dans ses positions. Car, autant il a soutenu au
départ le processus d'Oslo, autant, dès 1997, il en mesure l'imposture.
Depuis, il hisse la revendication contre un État d'occupation dont il prédit « les funérailles »,
réclamant un État pour chaque peuple.
Alors, la violence va crescendo et Israël le rend responsable de 37 morts israéliens. Lui-même fait l'objet d'une
tentative d'exécution ciblée et il est finalement arrêté en avril 2002. Sa présence irréductible et très médiatique
aux différents procès qui s'ensuivent le promeut encore davantage comme le héros-héraut de la cause palestinienne
et la jeunesse arabe se reconnaît en lui. Il finit par être condamné à plusieurs centaines d'années de prison, en
somme, il n'est pas prêt de sortir vivant de son cachot.
Mais voilà qu'on parle déjà de lui comme d'un autre Mandela et Yasser Arafat qui, tout à la fois, prenait ombrage
de sa jeunesse rebelle et devait reconnaître en lui sa filiation légitime, peut-être voterait pour lui du paradis
auquel, dit-on, il aurait accédé « direct ».
Du fond de sa nuit, riant du bon tour qu'il jouerait à son environnement d'apparatchiks pressés de lui succéder,
l'irremplaçable Raïs pourrait même, par-dessus leurs têtes chenues, transmettre la flamme palestinienne au
jeune Marwan Barghouti, en lui lançant malicieusement : « mais mon fils, cette vieille garde, elle est
caduque ! ».