A
vant le rendez-vous électoral d'octobre 2004, et dans le souci de refléter au mieux la position du Forum
Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL) et son refus de participer aux dernières élections, nous avons surtout
insisté sur l'importance de l'enjeu de ce rendez-vous tant pour le pouvoir que pour l'opinion publique : pour
la première fois dans l'histoire de la Tunisie indépendante, 2004 aurait dû consacrer une alternance pacifique au
sommet de l'État, si la Constitution n'avait pas été opportunément manipulée. Avec le référendum du 26 mai 2002
(manipulations de la Constitution, réinstauration de la présidence à vie et absence de liberté de candidature
pour cette élection), le pouvoir a imposé un changement radical des règles du jeu ; de ce fait, les élections
de 2004 ne peuvent ressembler à aucune autre élection précédente. Il s'agit d'un véritable coup de force, et toute
la participation à l'élection présidentielle, quelle qu'en soit la forme, ne peut que le cautionner. La gravité de
cette caution est sans commune mesure avec la mobilisation d'une partie de l'élite démocratique du pays pendant une
sorte de récréation de quinze jours sous haute surveillance.
En ce qui concerne les élections législatives, il n'y a pas un militant démocrate et honnête qui soit convaincu de
l'intérêt à siéger au Parlement dans sa forme actuelle. Le bilan des dix dernières années prouve que les quelques
sièges au Bardo, acquis par désignation, n'ont rien apporté au débat national et au processus démocratique ;
ils n'ont jamais pu influer sur la politique imposée par l'exécutif. Par contre, l'effet anesthésiant de la
députation est garanti, maquillé éventuellement par la rhétorique bien rodée de la realpolitik et de la
« démocratie consensuelle ». Ceux qui continuent à défendre la thèse des « acquis à préserver »
ne peuvent ignorer que ces acquis n'ont été consentis par le pouvoir que dans le cadre d'un contrat faisant des
avantages le prix de l'allégeance.
Les élections se sont déroulées comme nous l'avions prévu. Quelles leçons pouvons-nous en tirer ?
- Le pouvoir s'enferme de plus en plus dans sa logique opposée à toute réforme politique qui aurait dû,
nécessairement, le conduire à faire des concessions ou tout simplement à respecter le droit à la différence.
- Le divorce entre ce pouvoir et la société est de plus en plus sensible. Outre les non inscrits, des jeunes
pour la plupart, la moitié ou plus des inscrits n'a pas jugé utile d'aller voter. Un bon nombre de ceux qui ont
voté pour le parti au pouvoir l'ont fait, de différentes manières, sous la contrainte. Le boycott était
probablement passif mais réel. Personne ne peut dire quel aurait été l'impact politique d'un front commun de toutes
les forces démocratiques en faveur du boycott. Une chose est cependant sûre. Ils auraient été plus en phase avec la
majorité des citoyens.
Arrêtons de spéculer. Il ne sert plus à rien, aujourd'hui, de louer les bienfaits de la participation
« courageuse et mobilisatrice » et de dénigrer le boycott « confortable et inefficace » des
autres. L'autosatisfaction est mauvaise conseillère. Retenons que les élections ramadanesques furent, pour la
majorité des Tunisiens, une occasion historique gâchée par la faute d'un pouvoir exclusivement soucieux de se
maintenir coûte que coûte et qu'une opposition unie avait plus de chances de réaliser une brèche dans l'édifice
autoritaire.
Le problème à résoudre actuellement est de mettre fin à ce blocage aussi anachronique qu'insupportable de la vie
politique et de mobiliser des citoyens mécontents mais peu enclins à la participation et encore moins à l'action.
Pour le résoudre, le rassemblement des forces démocratiques autour d'une stratégie commune est plus nécessaire que
jamais.
Notre pays vient, sur le plan des institutions, de faire un bond de trente ans en arrière. C'est pour cela que nous
devons, le plus tôt possible, tous nous retrouver afin de construire l'incontournable Alternative
Démocratique.
Peu importe qui a participé à cette parodie électorale et qui l'a boycottée. Il nous faut organiser la lutte pour
de vraies élections démocratiques qui soient le couronnement d'un vrai pluralisme vécu au quotidien. Il nous faut
sortir de cette marginalité dans laquelle le pouvoir en place nous confine d'une manière planifiée et systématique.
Un tel projet est réalisable à trois conditions au moins :
- Rétablir les liens avec notre peuple et ses véritables préoccupations, et regagner ainsi sa confiance. La
tâche n'est pas simple, en raison des entraves que le pouvoir répressif déploie pour empêcher toute forme
d'opposition et de communication. C'est pourtant le seul moyen de contrer l'indifférence.
- Refuser sans la moindre ambiguïté le jeu fallacieux de l'État partisan et son projet destructeur. La
crédibilité de l'opposition en dépend, mais aussi sa capacité de mobiliser les citoyens excédés par les jeux en
vase clos des états-majors C'est cela le dénominateur commun de la vraie opposition. S'y dérober, au nom du
réalisme, nous renvoie au temps où la « démocratie consensuelle » était de mode.
- Se rassembler autour d'une stratégie stable et durable qui ne soit pas sujette aux fluctuations de la
conjoncture ni aux humeurs des chefs. Cela aussi est difficile car inhabituel. Différentes tendances ont coutume de
travailler ensemble et de présenter, pendant un certain temps, une façade rassurante et unie, mais quand vient la
vraie épreuve de l'examen populaire, la loi du chacun pour soi finit, hélas, par l'emporter.
Le rendez-vous gâché d'octobre doit nous inspirer et nous pousser à mettre, en toute modestie, notre énergie
militante au service de l'intérêt national.