L
e cadeau de Noël de l'Institut français de coopération à l'intelligentsia de Tunis, c'est un grand événement
culturel baptisé Translittéraires, comme Céline célébrait le Transsibérien, comme l'Europe redoute le
transatlantisme, comme on ne parle de transnationales qu'à propos de puissantes holdings et non de migrants
dérivant de port en port, sur leurs felouques.
Mais, si la France a tendance à se barricader derrière d'inaccessibles visas, la transmission est bien la vocation
de l'Institut français de coopération (IFC), celle de donner à partager ses Lumières au Landerneau éclairé, seul
susceptible de les capter.
Qu'importe car c'est bien de grands débats d'idées que nous manquons le plus, d'autant que, plutôt que dans
l'imposition brutale de ses valeurs, à l'américaine, c'est au discret essaimage de son référentiel que l'on
reconnaît la distinction de la France et que l'on y consent. Loin d'un bombardement, c'est par les petites bulles
légères de la bande dessinée que se livre d'abord le message, d'expositions en ateliers, relayé aussitôt par les
correspondances de Carthage qui déclineront l'art épistolaire, en marge du texte classiquement littéraire. Toutes
les formes de l'altérité seront conjuguées.
Force d'abord est de convier la psychanalyse : enfin, Malek Chebel vint au secours de Abdelwahab Bouhdiba qui
décoda le premier la grammaire de la sexualité en islam, obscur objet de désir, inspirant désormais
- ô hérésie -
l'écriture érotique des femmes de culture musulmane. De proche en proche, la religion soumise à discours critique
émerge de sa gangue et l'on verra sans doute mourir le monde ancien à Beit Hikma sur ce chapitre où des
noms d'experts sont sur la liste de ceux qui en d'autres temps auraient été traités d'apostats et se banalisent
aujourd'hui parmi les intellectuels réformateurs bien qu'il pousse la hardiesse critique à des degrés divers.
Transdémocratiques obligent !
Chaude sera sans doute la passe d'armes (cérébrale) entre Hamadi Redissi qui redira combien il juge « le
fondamentalisme consubstantiel à l'islam » face à Jean-Louis Schlegel plus à l'écoute des grandes respirations
de l'histoire et des variations de rythme des sécularisations. La salle répondra. Dieu, bien certainement,
pardonnera à tous de concevoir désormais l'espace public sans lui. Mais les hommes, eux, des profondeurs de leur
culture, comme prisonniers d'une histoire suspendue loin de la course de la planète, auront-ils une équivalente
clémence envers ces donneurs de leçons quand déjà, pour eux, tout est écrit ?
Achevant le cycle, la recherche de la civilité au Collège international de Tunis situera ce nouveau concept dans la
généalogie de la tolérance, de la convivialité et de l'hospitalité. De brillants esprits se donneront la réplique
et certains noms, bien sūr, ont un effet magnétique, à coup sūr celui de Régis Debray. Mais d'autres agiront en
repoussoir.
On ne dira rien du glissement d'Albert Memmi, présent parmi nous avec son Portrait du décolonisé et à qui
forcément, pour l'ensemble de son oeuvre, beaucoup sera pardonné [NDLR. Voir pour éclaircissements, dans ce
numéro, l'article de Meryem Marzouki en rubrique culture].
Renaud Camus officiera en déchiffreur de la syntaxe de l'Autre mis en jeu et parfois, dans l'ambivalence du moi,
lové en Je. Mais, à Tunis, sera-t-il aussi en Campagne de France, transpirant, selon les termes de Michel
Tubiana, président de la Ligue française des droits de l'homme (LDH) « une conception élitiste fleurant bon
une France mythifiée et dont la substance n'aurait pas évolué depuis le baptême de Clovis » ?
Le président de la LDH, s'exprimant en juillet 2000 suite à la republication de l'ouvrage de Renaud Camus après
suppression de passages contestables et contestés, dénonçait, plus que le schéma de pensée de l'auteur « où
l'altérité et la diversité sont une tare », sa propension à « distinguer "pensée juive" et "culture
française", opposer les "musulmans de souche" et les "Français de souche" (les deux ne pouvant appartenir à la
même nation), nier le droit à des "juifs, français de première ou de deuxième génération" de s'exprimer de
l'intérieur de la culture française puisqu'ils se situeraient à l'extérieur de celle-ci » (Hommes et
Libertés, juillet 2000).
Renaud Camus viendra-t-il, parmi d'autres, illustrer la thèse du spécialiste de littérature comparée Gil Anidjar,
selon laquelle le Juif et l'Arabe seraient « les deux faces - l'une invisible quand l'autre est perçue - d'un
ennemi impensé et impensable [...], l'ennemi, tour à tour théologique ou politique, mais aussi économique et
militaire, religieux et ethnique, face auquel l'Occident échoue » (Le Monde, 17 aoūt 2004) ?
Claude Imbert, éditorialiste du Point (groupe Pinault-TF1), a le verbe brillant mais la glose irrecevable.
Car non content de s'être réclamé publiquement « islamophobe » (sur la chaîne LCI le 24 octobre 2003), il
était dénoncé par le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), qui l'accusait de
« revendiquer haut et fort son racisme antimusulman ». Le MRAP demandait alors, dans un communiqué publié
le 3 novembre 2003, que Claude Imbert ne compte plus parmi les membres du Haut Conseil à l'intégration où il
siégeait déjà depuis un an, s'il ne s'en retirait pas de lui-même. À ce jour, Claude Imbert fait toujours partie de
cette institution directement rattachée aux services du Premier ministre français.
Enfin, nous ne voulons pas non plus chez nous d'Alain Finkielkraut, du moins en tant qu'invité de marque et non en
touriste individuel - c'est son problème et la Tunisie est un pays ouvert. Cependant, depuis une poignée d'années,
il est un modèle d'incivilité et, pire, sur les plateaux des télévisions françaises, particulièrement celui de
Ripostes, sa mauvaise foi n'a d'égal que son arrogance et l'aplomb avec lequel il refait l'histoire et le
droit international. Sa contrefaçon ne serait que mensonges de plus si un peuple sous occupation, dépossédé et
meurtri, n'était aussi par lui désigné comme coupable.
D'une émission à l'autre, il rempile ses perfidies, Sharon en homme de paix, Arafat en terroriste dont il pleure
les victimes comme il proscrit le droit de retour des Palestiniens. Car sa sensibilité s'arrête à l'Autre,
l'infra-humanité à laquelle il réserve, en grand seigneur, l'acceptation d'un État palestinien c'est-à-dire d'une
prison à ciel ouvert, encerclée d'un mur infâme et dont tous les accès sont contrôlés par Israël.
Enfin, il oppose à ses contradicteurs la grimace, métaphore du rictus de son âme et de la défaite de sa pensée. Car
n'émerge de sa philosophie que cette seule casuistique qui inverse contre lui le racisme né pourtant et vécu de
l'intérieur de sa « Prison Juive » dont Jean Daniel a si bien démonté le mécanisme. Et c'est ça que l'IFC
voudrait nous proposer en maître es civilité, au lieu d'un Michel Warschawski, d'un Edgar Morin ou d'un
Charles Enderlin ?
- Calendrier des manifestations :
www.ifctunisie.org/calendrier/Caltxtnov.htm#translitt
- Présentation par l'IFC des auteurs participants:
www.ifctunisie.org/calendrier/translitterairesauteurs.htm