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n 1981, à propos de la Révolution Solidarnosc, le journal Le Phare titrait :
« Cette Pologne qui nous ressemble », ce qui lui valut un arrêt de mort. Qu'à propos de l'Ukraine,
Alternatives Citoyennes ne succombe pas au même sort !
Cloués dans nos fauteuils, Jeudi 25 novembre à 18 heures devant France5, nous n'en croyons pas nos
oreilles : « c'est une fraude massive, digne de la Corée du Nord ou de la Tunisie ».
Cette triste notoriété nous est prêtée par un Ukrainien d'âge moyen, s'exprimant en parfait Français, peut être un
universitaire - nous avons tant d'étudiants tunisiens à Kiev. L'homme commente le taux de participation surréaliste
à ses yeux de 98% dans le Donbass, la région minière du pays où 96% des électeurs auraient donné leurs voix à
Viktor Ianoukovitch originaire de cette région. Sur les forums Internet, des Tunisiens échangent sur le thème
« l'Ukraine et nous », s'étonnant que chez nous, il ne se fasse pas une telle mobilisation et que nos
élections ne soient pas dénoncées par l'Union européenne.
Mais d'abord, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) avait envoyé ses observateurs en
Ukraine, devenue par l'élargissement de l'Europe à 25, un État « souverain » tampon avec la Russie qui
continue à veiller au(x) grain(s) (de céréales), s'intéressant tout particulièrement aux terrils à charbon qui ne
valent plus rien, dit-on, et sont promis à privatisation. Mais qui sait, le pétrole trop cher et dont la production
est elle aussi vouée à disparaître d'ici 50 ans, redonne peut-être de l'énergie aux bassins houillers centenaires.
L'Europe donc s'inquiète bien davantage de son Est que du Maghreb, dont sa population se soucie comme de
« l'an quarante » : cette expression, du reste, ne dérive-t-elle pas de « l'Alcoran » du
Français des croisades ? Les PECO (pays d'Europe centrale et orientale) et l'Ukraine voisine de la Pologne sont eux
d'une fervente chrétienté, certes mâtinée d'orthodoxie et de laïcité soviétique, mais c'est un même fond
culturel qui les scelle à la vieille Europe, à telle enseigne que le préambule du projet de Constitution a failli
le souligner !
Mais l'intérêt de l'Union européenne n'est pas là : depuis la chute du mur de Berlin et face à un monde devenu
unipolaire, c'est la détermination des zones d'influence entre les locomotives occidentales de l'Europe (France et
Allemagne) et la Russie, nostalgique de son empire.
L'Amérique n'est pas loin, intéressée à la jeune Europe, aux États Baltes, à l'Ukraine qui lui prête ses soldats en
Irak. Tout cela se mêle dans la position de la Commission de Bruxelles jugeant d'abord « inacceptables »
les résultats, puis opérant un retrait, envoyant ses arbitres pour engager une négociation, voire un nouveau second tour
d'élections. Mais pour cela, il faut admettre que les résultats se répartissent à peu près fifty-fifty
entre les deux Viktor, 49% à Ianoukovitch, 46% à Iouchenko ; dès lors, sur suspicion de fraude, un autre
second tour en décembre vaut le détour.
Enfin, il y a dans les rues de Kiev une jeunesse en délire bravant le froid glacial, une mobilisation
ininterrompue, une vraie conscience politique dans cette population acquise à un autre
projet de société, résolument européen sur fond de libéralisme ouvrant des paradis insoupçonnés à une jeunesse et
des élites dont on espère qu'elles ne découvrent pas l'envers du décor, comme la Pologne ou l'ex-Allemagne de
l'Est.
Et puis, il y a une démocratie installée : 191 députés de l'opposition siègent au Parlement ukrainien, une
Assemblée qui a su invalider les élections frauduleuses et adopter une motion de censure à l'encontre de la
Commission électorale centrale. Il y aussi l'armée en retrait, « qui ne tirera pas contre le peuple » et
la police qui presque fraternise. L'opposition de Iouchenko entend « défendre ses droits par le Droit ».
Voilà qui déjà rend la tâche de l'Europe plus facile et sa solidarité réelle.
Et nous, sommes-nous prêts à ce code-là ? En 1989 en Tunisie, en 1992 en Algérie, c'est le mouvement islamiste
qui (en dépit des fraudes) emporta un large pourcentage et même en Algérie, se fit voler la victoire, puis
descendit dans la rue et pire encore dans l'engrenage... Cela, l'Union européenne, et nous non plus, nous ne
l'oublions pas. Mais à la radio tunisienne (RTCI), ce samedi 27 novembre, au journal parlé, le présentateur
admiratif relève que « les journalistes ukrainiens, s'élevant contre la censure, se sont mis à rendre compte
des faits, tels qu'ils étaient ». Mais lui-même dans son propre pays ?
Vendredi 26 novembre au journal du soir, le correspondant de France2 rapportait que sur la télé réprimée
de Kiev, le traducteur pour malentendants disait en langage des signes : « Citoyens, on vous ment »,
les sourds étaient mieux informés que les autres. Chez nous, quand l'entendra-t-on de cette oreille ?