haque été, à Sousse, le festival d'Aoussou, que le chef de l'État inaugurait cette année le 24
juillet, veille de
la fête de la République, promène un carnaval bariolé et fleuri qui expose les performances de la Tunisie. Sur la
grande plage de Boujaâfar se perche en plus une marionnette géante à l'effigie d'Aoussou, le dieu de la mer
- Neptune ou Poséidon - et ci-devant mascotte de L'Étoile, club de foot-ball cher à tout
Sahélien. Pour les Berbères, le 23 juillet ou
1er Aoussou est le jour du rituel d'ablution et de baignade, censé tenir la maladie à distance,
une tradition à laquelle on sacrifie toujours en Tunisie, comme l'attestent
le proverbe et tous ceux de nos anciens prenant ce jour-là et tout habillés leur unique bain de mer annuel.
La vision de cette baudruche trônant sur la plage n'aurait fait que nous remplir de joyeux souvenirs d'enfance,
si elle n'avait été flanquée d'une pancarte où se lisait cette inscription en Arabe :
« Je t'aime ô Zine ».
Même Aoussou aime Ben Ali (Sousse, été 2004)
Un tel pantin, livré toute la saison aux citoyens de notre pays comme aux touristes, est-il bien digne de la
fonction présidentielle, de notre République, de son peuple, d'une Tunisie instruite et éclairée et qui a
précisément depuis le 25 juillet 1957 aboli sa monarchie ? À moins que cet emblème fétichiste ne signifie
véritablement l'état de nos institutions, le degré zéro de notre « démocratie », des moeurs infra-politiques ou ce
que le manifeste électoral de l'
Initiative démocratique (interdit jusqu'à ce jour de diffusion par le
ministère de l'Intérieur) appelle « une conception sous-développée des élections » et de la représentativité
populaire ?
Dimanche 24 octobre, les Tunisiennes et les Tunisiens seront appelés aux urnes, bien que déjà l'UGTT, l'UTICA,
l'ensemble des organisations nationales, l'Union des femmes et jusqu'à « la famille sportive élargie » ont dans un
bel élan unanime et sans ambages donné leurs voix à Ben Ali. À en croire les commentaires officiels, même Jacques
Chirac, Thabo Mbeki et Silvio Berlusconi auraient en quelque sorte voté aussi pour celui dont ils apprécient le
talent politique.
Toutefois, peut-on encore oser espérer que celles et ceux qui échappent à ce miraculeux consensus pourront aller
voter, ou s'abstenir de le faire, selon leurs convictions intimes, en toute liberté et transparence ?
Pour nous, 2004 s'est déjà refermé sur un passé imparfait, où quadrillage, répression et conditionnement
dépouillent des élections de toute signification. Regardant vers l'avenir pacifiquement et démocratiquement, pour
nous et pour nos enfants, nous rendrons effective cette protestation : nous ne sommes pas des marionnettes, mais
des citoyens.