Alternatives citoyennes
Numéro 10 - 15 septembre 2004
Actualité
Élections
UGTT : la brèche

 

Au cours de la Commission administrative (C.A.) de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), décisive pour l'adhésion à la candidature de Ben Ali, quelle fut au juste la part des oui, des non et des abstentions ? Salah Zeghidi fait le décompte. La position de M. Ali Romdhane, Membre du Bureau exécutif (B.E.) de l'UGTT et du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL) est ambiguë : il aurait voté oui, comme l'ensemble du B.E. d'où émane la résolution ; du côté du FDTL, on soutient qu'Ali Romdhane aurait gardé les bras croisés pour ne pas voter, comme d'autres (Briki) étaient absents. Curieuse manière de choisir, tout de même !

La rédaction

 

Ce qui vient de se passer à l'UGTT constitue un événement. Au sens littéral du terme : c'est la première fois depuis les élections de novembre 1981, que l'alignement de l'UGTT sur le pouvoir au niveau du choix électoral est mis en cause de l'intérieur des structures de direction de la centrale syndicale. La réunion tenue le 31 août par la C.A. regroupe près de 70 membres : 13 membres du B.E., 24 secrétaires généraux des Unions régionales, et plus de 30 secrétaires sénéraux des Fédérations et des Syndicats sectoriels.

L'Exécutif présente à la C.A. un projet de résolution qui stipule que « l'UGTT soutient la candidature du président Ben Ali pour un nouveau mandat présidentiel et appelle tous les syndicalistes, tous les travailleurs manuels et intellectuels à voter pour lui [le 24 octobre] afin qu'il poursuive la direction de la marche du pays dans la cohésion et pour la concrétisation des objectifs nationaux en matière de développement, de justice et de démocratie ».

Un débat, bref mais réel, s'engage. Lors du vote final sur la résolution proposée par le B.E., près de 25% des membres vote contre ou opte pour l'abstention. C'est une première : 17 dirigeants syndicaux, régionaux ou sectoriels, refusent que l'UGTT s'engage aux côtés du président sortant. 17 responsables, et non des moindres : 4 Unions régionales (Sfax, Kairouan, Mahdia et Jendouba) votent contre, deux autres (Le Kef et l'important bastion ouvrier de Ben Arous) s'abstiennent. Au niveau des secteurs : c'est le cas de tous les niveaux de l'enseignement (primaire, secondaire et supérieur), de la santé publique (la Fédération de la santé, le Syndicat national des médecins de la santé sublique, le Syndicat national des médecins hospitalo-universitaires), le secteur des banques, celui des travaux publics, celui des postes..., ils ont tous voté contre.

Ce n'est certes pas un cataclysme, mais c'est bel et bien une brèche, une brèche dans la machine généralement bien huilée qu'est l'UGTT...

Brèche, avons-nous dit. Et c'est le maître-mot de l'Initiative démocratique (I.D.). Celle-ci, depuis quelques semaines, a mis les bouchées doubles. L'Université d'été qu'elle a organisée les 13 et 14 août a constitué un très grand succès. Par la présence qualitative et quantitative importante. Par la qualité des thèmes traités et celle des intervenants : Yadh Ben Achour, Mahmoud Ben Romdhane, Ahmed Ounaïes, Mohamed Charfi, Slim Loghmani, Mongi Boughazala, Mohamed Mahfoudh, Hafidha Chekir...

Et la brèche alors ? Ah, « la brèche » à l'UGTT, l'initiative démocratique y est pour quelque chose. La lettre adressée le 25 juillet par M'Hamed Ali Halouani, candidat de l'I.D. aux présidentielles d'octobre, à la direction de l'UGTT et qui demande simplement (même si c'est une lettre longue de 7 pages !) que la centrale syndicale reste neutre dans la bataille électorale, par respect pour la pluralité de ses mandats et la nécessaire autonomie du syndicat. Une véritable campagne de lobbying a été menée par de nombreux responsables nationaux et régionaux de l'I.D. (qui compte dans ses rangs des dizaines de syndicalistes) auprès des 70 membres de la C.A. de l'UGTT tout au long de la semaine qui a précédé la réunion de cette instance. La lettre de Halouani à l'UGTT (des lettres dans le même sens ont été adressées à l'UTICA, à l'UNFT, et à l'UTAP) a été massivement diffusée (plusieurs centaines d'exemplaires) à Tunis, Sousse, Monastir, Mahdia, Sfax, Kairouan, Gafsa, Tozeur, Bizerte...

La brèche enregistrée le 31 août dans les milieux syndicaux est importante. Elle a été possible malgré les diverses manoeuvres de l'Exécutif de l'UGTT. Pour tenter de faire passer la pilule, ce dernier a inclus dans la résolution proposée au vote de la C.A. des considérations pouvant constituer des « concessions » à l'opposition syndicale interne. C'est le cas de l'évocation de l'attachement de l'UGTT à « l'approfondissement du processus démocratique dans le sens de l'élargissement de la liberté d'expression, de la liberté de la presse et de la libération de l'information de tous les carcans qui la bloquent, du respect de l'opinion différente, des droits de l'homme, de la supériorité de la Constitution et de la loi, de la promotion d'une culture démocratique qui ouvre la voie à une plus grande évolution de la vie démocratique en Tunisie ». La résolution ira plus loin en exprimant le souhait « que les prochaines élections présidentielles et législatives constituent une occasion importante pour réaliser un tournant qualitatif sur la voie du changement démocratique, et ce à travers la garantie de toutes les conditions d'une compétition électorale crédible et honnête, du respect des droits de tous les candidats, d'une véritable neutralité de l'Administration » et la résolution de « rendre hommage à toutes les initiatives qui tendent à assurer le succès des prochaines élections, et aux efforts fournis par nombre de partis et mouvements pour défendre les options démocratiques ».

Mais voilà : ces belles paroles, même si elles constituent un langage nouveau, ne suffisent pas. Bien au contraire, tout observateur objectif ne manque pas de souligner que ce langage raisonnable, celui d'une organisation qui, sans être partie prenante dans la compétition électorale, reste concernée par la nécessité de créer le climat pour une véritable vie démocratique, ne va pas du tout avec la conclusion à laquelle il aboutit paradoxalement : l'appel à voter pour Ben Ali. En réalité, cette résolution (longue et à laquelle ses rédacteurs ont donné ce ton « didactique » qu'affectionnent les instituteurs) est un morceau d'anthologie en matière de schizophrénie politico-syndicale, disons « à la tunisienne ». Les dirigeants actuels de l'UGTT, qui savent que leur destin et leur avenir sont entre les mains de Ben Ali, sont amenés à jouer un jeu auquel « excellent » tous les opportunistes...

Bien sûr, disent en substance les auteurs de la résolution, nous nous battons pour les libertés, pour la démocratie, mais nous appelons à voter Ben Ali ! Bien sûr, nous défendons l'autonomie de l'UGTT, mais nous nous alignons sur le chef de l'État et du parti au pouvoir ! Et comme ces « didacticiens » ne sont pas à une contradiction près, voyez comment, quand il s'agit des élections présidentielles prévues pour le 24 octobre prochain, ils n'hésitent pas à appeler, au nom de l'UGTT, à voter pour Ben Ali, alors que pour les élections législatives prévues pour le même jour, ils se limitent à « appeler les syndicalistes et les travailleurs à participer activement aux prochaines élections législatives en votant en masse et en toute liberté, en fonction de leurs convictions ».

Pourquoi une consigne de vote pour les présidentielles (voter pour Ben Ali, pas pour l'un des trois autres candidats) et pas de consigne pour les législatives pour lesquelles la liberté de choix est laissée aux syndicalistes et aux travailleurs ? Ceux-ci ne sont-ils capables d'avoir des convictions que pour le choix des députés, alors que pour le choix entre les candidats aux présidentielles, ils doivent s'en remettre aux convictions de leurs dirigeants ? Ceux-ci ont-ils la naïveté de croire que le 31 août ne laissera pas de trace ? La victoire remportée par près de 75% des membres de la C.A. n'est-elle pas une victoire à la Pyrrhus ?

Le succès de l'Initiative démocratique confirme que le pays frémit, bouge, la perversion répandue partout durant 50 ans par le système de parti unique cède, cèdera du terrain. La mayonnaise a pris ! L'initiative démocratique, c'est une I.D. subversive !

 

Salah Zeghidi
Responsable de l'information pour l'ID
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