'actuel président du Centre national d'arbitrage, Abdelwaheb El Béhi, a été désigné par le président
de la
République tunisienne, en ce début de septembre, président de l'observatoire national des élections. Depuis 5 ans
environ, Me El Béhi dirige le Centre national d'arbitrage, instance destinée à gérer les médiations entre parties
opposées dans les litiges économiques. Avant qu'il n'hérite, par désignation, de la direction de ce Centre, ce
dernier avait été organisé et animé par le professeur de droit Habib Slim qui, aidé de son équipe, lui avait déjà
donné de la notoriété et de l'avenir. Des affaires mettant en jeu de gros financements y attirent une clientèle
d'entrepreneurs, d'avocats et d'experts nationaux et internationaux. Bref, il y a dans l'air beaucoup d'argent,
différentes formes d'intérêts et des réseaux de relation. Si on a désigné Me Abdelwaheb El Béhi à ce poste, c'est
qu'on pensait sans doute que l'ancien bâtonnier du Barreau de Tunis avait le profil de l'emploi tout comme il doit
l'avoir pour être désigné comme le président, nécessairement d'une absolue intégrité et indépendance, de
l'observatoire national des élections. Son C.V. - qui nous est envoyé, accompagné des pièces justificatives, par un
avocat tunisien au-dessus de tout soupçon - le vérifie-t-il ? En tout cas, ce n'est pas ce C.V. que publie la
presse officielle.
lu bâtonnier en Juin 1992 pour un mandat de 3 ans, Me A. El Béhi briguera en 1995 un deuxième mandat qui expirera
en Juin 1998. Les six années coïncident curieusement avec les années sombres des avocats tunisiens. C'est durant
ces années que plus d'une dizaine de textes législatifs et réglementaires ont été pris dans le but de restreindre
le domaine des compétences des avocats et bafouer les principes reconnus liés aux droits de la défense.
- Ainsi, alerté par ses pairs en mai 1994 sur la parution récente au Journal officiel de la République tunisienne
d'un Arrêté du ministre de la Justice, lequel était en contradiction flagrante avec les conventions judiciaires
ratifiées par la Tunisie et surtout avec le Code de procédure civile, le bâtonnier a fait la sourde oreille.
Heureusement que l'un des avocats avait eu l'idée, mais aussi le courage, d'introduire un recours en annulation du
dit Arrêté devant le Tribunal Administratif. C'est alors que le ministre a été acculé à abroger son texte par une
décision en date du 11 janvier 1996.
- Le 29 septembre 1994, il adresse une lettre à un Haut fonctionnaire du ministère de l'Intérieur pour l'informer
« qu'à la date du 8 Juillet 1994, le Conseil de l'Ordre avait décidé de l'inscrire [N.D.L.R. il s'agit bien de ce
Haut fonctionnaire] au tableau des avocats stagiaires », alors
que l'intéressé avait produit à l'appui de sa demande une
pièce mentionnant qu'il exerçait la profession de « Gouverneur au ministère de l'Intérieur ».
- Me A. El Béhi a fait preuve de passivité éhontée alors qu'on attendait de lui qu'il exprime sa solidarité envers
ses confrères harcelés ou empêchés d'accomplir leur devoir professionnel. Certains avocats ont connu l'arrestation
et même la torture (Me Nejib Hosni). D'autres ont été soumis à des filatures agressives (Najet Yacoubi, Hachemi
Jegham, Hédi Ben Mehrez, Bochra Bel Hadj Hamida, Mokhtar Trifi, Fadhel Ghedamsi...). Me Chawki Tabib a été traduit
devant le Conseil de discipline de l'Ordre des Avocats pour avoir exercé son droit à la libre expression. La
décision disciplinaire, signée par le dit bâtonnier le 22 juillet 1994, comporte la radiation de Chawki Tabib pour
une période de six mois.
- Les confrères de Me A. El Béhi furent scandalisés par ses agissements face au dossier Hosni. Ce dernier, avocat
installé au Kef, avait fait l'objet de menaces depuis 1992 pour avoir défendu des clients lors de certains procès
politiques. Empêché de quitter le territoire, il sera soumis ainsi que sa famille à des tracasseries de toutes
sortes (coupures de téléphone, interception de courrier, calomnies...). Il finira par être arrêté en Juin 1994 et
connaîtra l'humiliation et les pires sévices corporels. Au terme d'un procès inique, il sera condamné à 8 ans
d'emprisonnement et 5 ans de privation d'exercer la profession. En décembre 1996, il bénéficiera d'une libération
conditionnelle suite à un immense mouvement de solidarité de ses confrères, des ONG internationales et d'un nombre
incalculable de Barreaux dans le monde. Amnesty International l'avait adopté comme prisonnier d'opinion. Alors
qu'il était en détention, Me Hosni reçoit plusieurs prix d'associations américaines dont l'American Bar
Association. En Octobre 1996, l'Institut des droits de l'homme du Barreau de Bordeaux lui décerne le Prix
international « Ludovic Trarieux ».
L'attribution de ce dernier prix provoqua la colère des autorités. Le 9 octobre 1996, le bâtonnier adresse un
message au président de l'Institut bordelais pour lui reprocher d'avoir omis de consulter le Barreau tunisien et
pour affirmer par la même occasion que « les chefs d'accusation à l'encontre de Me Hosni relèvent incontestablement
des délits de droit commun »...
- Dans le même esprit, en date du 10 mars 1995, sans consultation préalable des membres du Conseil de l'Ordre, le
bâtonnier avait déjà signé une déclaration dans laquelle il exprime « son étonnement » devant le contenu d'un
communiqué émanant de plusieurs ONG internationales et qui déplorait les tracasseries exercées par les autorités
tunisiennes contre un certain nombre d'avocats et défenseurs des droits humains.
- Enfin, ses confrères lui ont reproché à l'occasion de l'Assemblée générale du 13 juin 1998 sa gestion désastreuse
de l'organisation du Congrès de l'Union des avocats arabes tenu à Sousse fin mai 1997 ainsi que la gestion
financière, notamment pour la célébration du Centenaire du Barreau tunisien (pas moins de 173 000 Dinars dépensés
en quelques jours). C'est ce qui a poussé le Conseil nouvellement élu à réaliser un audit comptable couvrant les
années 1996 à 1998. Le résultat de l'expertise, établi sous forme « d'une lettre de direction » a - selon plusieurs
anciens membres du Conseil - révélé des irrégularités, l'absence de justificatifs à plusieurs dépenses, des
infractions à la loi fiscale, etc.
- Quelques mois après l'Assemblée générale de l'été 1998, il est nommé directeur du Centre tunisien d'arbitrage.
- Le 24 septembre 1999, il fera acte d'allégeance au candidat Ben Ali qui se présentait à l'élection présidentielle,
à l'instar de 21 autres avocats « loyalistes » sur les 4000 que comptaient la profession. Sa signature manuscrite
était encore lisible ces derniers jours sur le site web : www.benali.tn.
D'autres signataires d'ailleurs se
retrouvent aujourd'hui parmi les membres de l'observatoire des élections.
De l'avis d'un grand nombre de ses confrères, le Barreau de Tunis a connu sous la férule de Me El Béhi six années
noires où s'est défaite son autonomie. Les électeurs tireront d'eux-mêmes leurs conclusions quant
à l'indépendance et la déontologie du président de l'observatoire national des élections.