es premiers résultats de l'enquête nationale sur les revenus
et les dépenses des ménages ont été rendus
publics, ces derniers jours à Tunis. Les premiers chiffres et les
premières projections (établies à partir d'un
échantillon de 5000 ménages et sur les premiers mois de l'année 2000)
attestent d'une évolution positive de la
consommation et d'une régression de la pauvreté. Ainsi, la dépense
moyenne des ménages connaît une
croissance de 5,5% par an en moyenne, mais la taille moyenne des
ménages ayant baissé, l'évolution de ce taux
apparaît supérieure : le taux de progression serait de 7% par
personne et par an en moyenne pour ces cinq
dernières années.
La progression des dépenses des ménages est encore plus
frappante pour les populations rurales dont la
progression de la consommation se ferait à un taux de 10% par an
entre 1995 et 2000 (contre 5% d'augmentation
des dépenses par an entre 1990 et 1995). C'est là l'effet des
différents projets publics et privés de
développement rural.
Selon les mêmes statistiques provisoires, le recul de la
pauvreté est édifiant. Ainsi, seuls 9,2% de la
population (contre 16% en 1995) ne peuvent dépenser que 400 Dinars
(2000 FF) par personne et par an et seuls 28% de la population contre
33% en 1995 ont un revenu de 400 à 800 Dinars par personne et par an
(entre 2000 et
4000 FF).
Les conclusions concernant les dépenses santé, éducation
etc. sont attendues, comme on pourrait
attendre quelques chiffres sur le taux d'endettement des ménages et
quelques statistiques sur les chèques sans
provision accompagnant la frénésie consumériste des Tunisiens.
Voici, à l'inverse, un point de vue de George Adda, une
grande figure, le doyen sans doute, du
mouvement démocratique et syndical tunisien. Cet article a été publié
récemment dans le journal Echaab, organe de
l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT). Georges Adda nous
en a confié la version française.
La baisse du pouvoir d'achat
es chiffres de l'Institut National des Statistiques pour l'an 2000 sont sortis et indiquent un
taux d'inflation de 2,9%. Sur cette base, nous avons pu faire les calculs d'actualisation et de
mise en « Dinars constants » de tous les éléments en notre possession pour pouvoir déterminer,
comme nous le faisons depuis quelques années, la situation exacte et l'évolution du salaire minimum industriel garanti (SMIG), des
allocations familiales (AF), du salaire minimum agricole garanti (SMAG), de l'indemnité de salaire unique (SU), etc.
Ci-après, nous présentons en « Dinars courants » et en « Dinars constants » la situation pour
les années 1983 et 2000 du smigard ayant 3 enfants à charge et dont l'épouse ne travaille pas.
Revenu d'une famille de cinq personnes bénéficiant d'un SMIG
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|
En Dinars Courants |
En Dinars Constants |
|
SMIG/48h (ICP inclus) |
AF+ SU |
Totaux |
SMIG/48h (ICP inclus) |
AF+ SU |
Totaux |
1983 |
95,056 |
19,345 |
114,401 |
242,069 |
49,264 |
291,333 |
2000 |
186,992 |
27,344 |
214,336 |
186,992 |
27,344 |
214,336 |
Avec ce tableau, il est facile de constater qu'entre 1983 et 200, en Dinars constants, il y a eu :
- 22,76% de perte du pouvoir d'achat du SMIG ;
- 44,50% de perte du pouvoir d'achat des allocations familiales et de la majoration de salaire
unique ;
- 26,43% de perte du pouvoir d'achat de l'ensemble de la rémunération du smigard.
Cette perte de pouvoir d'achat ne peut pas être négligée ni escamotée. Elle s'explique facilement, si entre le 31 décembre 1983 et le 31 Décembre 2000 (17 ans), le SMIG est passé (après 20 augmentations successives) de 95,056 DT à 186,992 DT (soit une augmentation globale du SMIG de 96,71%), de leur côté les indices des prix à la consommation
(base 100 en 1962) sont passés de 324,7 en 1983 à 826,9 en 2000, soit une bien pesante
inflation de 154,66%. Le SMIG a ainsi accumulé un grand retard qui se perpétue jusqu'aujourd'hui. Il a ainsi perdu 22,76% de son pouvoir d'achat.
Pour bien comprendre cette situation, prenons encore quelques chiffres. En 6 ans, entre le 31
Décembre 1983 et le 31 Décembre 1989, le SMIG est passé (après 4 augmentations) de 95,056 DT à 113,032 DT (soit plus 18,91%), alors que pendant cette même période de 6 ans les indices des prix nous ont indiqué une inflation de 54,91%. Conséquence inévitable : baisse du pouvoir d'achat.
Mais nous ne pouvons nous arrêter à ce stade. Comme tous les travailleurs, le smigard, et lui en particulier, vit et fait vivre sa famille avec sa paie, mais aussi avec les allocations
familiales qui sont de véritables compléments des salaires modestes. En ramenant les chiffres de ces allocations en « Dinars constants », la perte du pouvoir d'achat apparaît dans toute sa grandeur et elle est de taille. Parce que non revalorisées et non actualisées, ces allocations et indemnités, ont perdu 44,50% de leur pouvoir d'achat de 1983.
D'ailleurs, ces allocations perdaient d'année en année de leur substance. En 1962, les
allocations familiales représentaient, pour 3 enfants à charge, 45% du SMIG. En 1983, les
allocations familiales et indemnités de salaire unique représentaient 20,35% du SMIG et en 2000, elles ne représentaient plus que 14,62%. Voilà un autre et important élément de la dégradation du pouvoir d'achat du smigard.
Les allocations familiales et l'indemnité de salaire unique ont toujours tenu une grande place
dans la vie des travailleurs, à tel point que dès l'indépendance, les législateurs ont créé une
juridiction spéciale (loi n° 58/48 du 11 avril 1958) pour juger les affaires des allocations
familiales.
En additionnant tous les chiffres du SMIG et des allocations familiales, nous arrivons (nous ne
le répéterons jamais assez) à une perte du pouvoir d'achat global du smigard de 26,43%.
Je crois qu'il est inutile d'ajouter des commentaires, car les chiffres nous disent d'eux-mêmes
que le smigard vit actuellement moins bien qu'en 1983, ce qui est très grave. C'est ce que nous
démontrons depuis des années. Rappelons une fois encore que tous les chiffres avancés trouvent leurs sources dans les documents les plus officiels de nos ministères.
Mais le smigard n'est pas seul à vivre de telles grandes difficultés.
L'examen de la situation des ouvriers agricoles (voir tableau ci-dessous) montre là encore, une perte de pouvoir d'achat, qui se monte à 13,60%.
SMAG journalier au 31 décembre
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En Dinars Courants |
En Dinars Constants |
1983 |
2,640 |
6,723 |
2000 |
5,809 |
5,809 |
Les pensions de retraite des cadres du secteurs privé ont aussi retenu notre attention. Il s'agit d'un régime complémentaire où l'adhésion dépend de la décision de l'employeur. Le tableau ci-dessous montre l'évolution de la valeur du point de retraite en 20 ans. La perte de pouvoir d'achat dépasse tout ce qu'on peut imaginer : en 20 ans, elle est de 53,58%.
Valeur du point de retraite au 31 Décembre
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|
En Dinars Courants |
En Dinars Constants |
1980 |
0,181 |
0,629 |
2000 |
0,292 |
0,292 |
Le problème est réellement angoissant et doit donc, d'une façon ou d'une autre, être résolu et
il ne peut l'être que par un rapide et urgent rattrapage. On ne peut pas rester encore et
toujours indifférent ou insensible devant cette situation. Il faut que quelque chose de
substantiel et d'important soit fait. C'est l'affaire de tous.