Alternatives citoyennes
Numéro 1 - 28 avril 2001
International
Politique
Les deux journées d'avril tuniso-palestiniennes

 

Plus que nulle part ailleurs sans doute, la lutte du peuple palestinien pour ses droits nationaux est une lutte qui a dans une large mesure la mémoire pour enjeu ; et c'est sur ce terrain aussi que doit se manifester notre solidarité avec lui.

Tunisie 9 avril 38 - Palestine 9 avril 48

C'est ainsi que lorsque nous autres Tunisiens nous honorons le souvenir de nos martyrs du 9 avril, nous ne devons pas oublier que cette journée coïncide exactement avec la commémoration par les Palestiniens du massacre de Deir Yassine, dont la portée symbolique est aujourd'hui autrement plus tragique et l'actualité politique autrement plus poignante.

Ŕ l'aube du 9 avril 1948, un commando de l'Irgoun, organisation terroriste dont le chef n'était autre que le futur premier ministre Begin, fit irruption dans ce petit village palestinien de 750 habitants qui se trouvait alors hors de la zone attribuée par la décision de partage de l'ONU à l'État juif, mais qui avait le tort d'être situé dans le couloir entre Tel-Aviv et Jérusalem et de gêner les plans des stratèges de la Haganah. Plus de cent personnes, en majorité des vieillards, des femmes et des enfants qui n'avaient pas eu le temps de fuir furent massacrés. Des maisons habitées dynamitées, des prisonniers sommairement exécutés, des jeunes filles violées, des femmes enceintes éventrées à la baïonnette : autant d'actes de barbarie consignés dans un rapport des autorités britanniques de l'époque et confirmés plus tard par les enquêtes de journalistes de Paris Match, de Newsweek et du New York Times auprès de survivants dispersés dans les camps de réfugiés.

Dans ses mémoires de 1952 (La Révolte), Begin écrivait : « Sans Deir Yassine, il n'y aurait pas eu d'Israël. Après DY, les forces israéliennes pouvaient avancer comme un couteau dans du beurre ». Un autre dirigeant sioniste, Haïm Weizmann, lui faisait écho : « Ce fut un nettoyage miraculeux de la terre ». Et de fait, ce massacre ouvrait une longue série d'actions de « nettoyage ethnique »,en même temps qu'il constituait le début de l'expulsion de plus de 700.000 Palestiniens et de la destruction de 537 villages en 1948 pour rendre impossible tout retour des réfugiés et faire de la place entre autres aux survivants de l'Holocauste...

Et, comble de l'ironie ou provocation, c'est bien en vue, en face des ruines de ce village qu'est érigé le monument de Pad Vashem, le plus grand mémorial dédié en Israël aux victimes de la Shoah, dont la construction commença en 1953, quelques années après le carnage de Deir Yassine !

Des innocents égorgés ce 9 avril 1948 pour faciliter l'expansion et élargir l'espace vital de ce qui allait devenir officiellement quelques semaines plus tard l'État d'Israël, pas une plaque, pas une pierre qui marque le souvenir. C'est que la bonne conscience des dirigeants et des élites de cet État et de leurs amis ne semble pas avoir de limite : leur conception de la justice et de la morale veut que la Shoah subie jadis par les uns en Europe justifie la Nekba continue imposée aux autres en Palestine !...

Tunisie - Palestine 13 avril 88

Treize ans après la mort d'Abou Jihad sur notre sol, nous attendons toujours que la lumière soit faite sur les conditions dans lesquelles un commando israélien avait pu traverser avec une telle facilité nos frontières et assassiner le principal dirigeant politique de la première Intifadha dans sa résidence à Sidi Bou Saïd.

Selon le journaliste britannique Robert Fisk (The Independant, 13/04/01), il avait fallu aux Israéliens et à leurs amis américains mobiliser pas moins de 4000 hommes pour mener à bien leur sale besogne : un avion Awacs au-dessus de Tunis, une escadrille de chasseurs pour protéger cet avion, 2 bâtiments de guerre au large des côtes, un sous-marin pour les protéger, un appareil de ravitaillement 707, 40 hommes pour débarquer et encercler la maison et 4 hommes plus un officier pour procéder à l'exécution.

Qu'est devenue la commission d'enquête internationale constituée à l'époque à la demande de la Tunisie ? Avait-elle pu mener à terme ses investigations et si oui, pourquoi ses conclusions n'ont-elles pas été rendues publiques ?

Autant de questions et d'autres qu'on ne posera pas ici attendent une réponse mais, quoi qu'il en soit de la réalité des faits, il est un geste symbolique qu'il est permis de suggérer aux autorités : c'est de transformer la maison où tomba le martyr Abou Jihad en une Maison de la solidarité tuniso-palestinienne, avec un musée vivant de la Résistance, des expositions périodiques de photos et de documents et des projections vidéo sur les exactions israéliennes, la lutte des jeunes de l'Intifadha et la solidarité continue du peuple tunisien.

 

Ahmed Brahim
Universitaire. Tunis.
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