Alternatives citoyennes
Numéro 0 - 20 mars 2001
Société
Urbanisme
Tunis, ville ouverte

 

Depuis le mois de décembre 2000, Tunis offre sa béance : chaussées décomposées, trottoirs sous les gravats, montagnes de détritus et, en arrache-coeur, le déracinement de deux rangées de ficus, arbres centenaires.
Car c'est un siècle d'histoire qui s'écroule sous les pelleteuses préposées par la municipalité de Tunis à la fin d'une époque, celle de l'avenue Bourguiba que les édiles avaient laissée longuement agoniser dans une déchéance honteuse et délibérée, soutiennent les citadins qui ont pris la peine de sonner l'alarme à plus d'une reprise.

Voilà donc qu'à l'approche des Jeux méditerranéens, le nouveau conseil municipal se précipite à refaire la vitrine d'un pays, avant l'août, foi d'animal, intérêt de la capitale.

En août 1999, subrepticement, la presse gouvernementale apprenait aux Tunisois à qui personne n'avait demandé leur avis, que l'avenue méditerranéenne la plus ombragée et célèbre pour ses quatre rangées d'arbres monumentaux allait être éventrée et dépouillée de sa tonnelle.

Dans le seul journal Réalités, qui voulut bien accueillir la résistance à ce saccage, une architecte et une journaliste multiplièrent les protestations jusqu'à un appel aux représentants de la nation, tandis qu'une pétition (décembre 1999) de plus de 200 personnalités et autres citadins portaient haut et enfin, l'expression d'une citoyenneté qu'il eût fallu convoquer de manière exemplaire à la discussion de ce projet et qu'on avait, selon l'usage, oubliée. En novembre 1999, une quarantaine de professionnels d'une grande compétence se voyaient élégamment opposer par l'ancien maire de Tunis, une fin de non-recevoir tandis que l'ASM (Association de la Sauvegarde de la Médina) gardait comme un secret-défense les plans de la future avenue.

Une année plus tard, devant ce chahut, le chef de l'État prenait une décision intermédiaire entre l'éventration et la seule restauration. En décembre 2000, le coup d'envoi des travaux était donné de façon à élargir les trottoirs latéraux et les deux artères et à réduire le terre-plein central, lieu historique de toutes les retrouvailles et de toutes les convivialités.

Aussitôt rebondit le désagrément. D'abord, dans le détail d'un chantier où s'ouvrent et se ferment des abîmes, se barrent les routes, se coupent l'eau, le gaz et le téléphone de temps à autre sans préavis, dans le bruit, la poussière et la fureur de riverains et de commerces, de banques, de lieux de vie, perturbés dans leur quotidien, maltraités dans leurs revenus.

Rien n'illustre mieux l'empoisonnement que ces rares touristes japonais, traversant l'apocalypse au pas de course, un masque sur le nez.

Comment se justifie ce désordre urbanistique d'un coût de 18 milliards de nos millimes (100 millions de FF) ?

Si chacun convient qu'il fallait restaurer un délabrement toléré pendant une décennie, n'aurait-on pas pu se contenter d'assainir et d'embellir, en soutenant les propriétaires des immeubles riverains et autres tenanciers de commerces ? Que n'a-t-on convié les professionnels à donner leur avis, les citoyens à dire leur Tunis ?

En dehors de la revue Réalités, qui à de multiples reprises hébergea l'expression d'une éco-citoyenneté indignée, peu de supports ni de lieux se font l'écho de cette privation du droit du citoyen à concevoir l'espace approprié à une réelle qualité de vie.

Des professionnels et semble-t-il, des décideurs de l'intérieur même de l'État, font remarquer les incohérences d'un projet qui ne résoudra pas le problème d'une circulation pléthorique, dont n'est pas envisagé le plan d'ensemble.

Tel est l'avis de M. Jalel Abdelkafi, grand artisan des changements urbanistiques depuis qu'il eut à concevoir la restauration inachevée de la Médina, et qui fait valoir sa perplexité devant une métamorphose de Tunis, de sa porte de la mer (Bab Bhar) jusqu'aux Berges du Lac, ouvrant cette capitale à la Méditerranée.

Un autre grand architecte, M. Wassim Ben Mahmoud, est à l'inverse partisan de ce mouvement qui installerait sur la rive nord du lac, puis sur la Petite Sicile et jusqu'à la septentrionale Radès, une façade prestigieuse et lustrée, mais, objecte-t-on, miroir aux alouettes de toutes les vanités.

Identifié à la restructuration du Beyrouth d'après-guerre, cet ambitieux mais dispendieux projet nourrirait, selon les experts - reprenant l'analyse du libanais Georges Corne - des « rêves mégalomanes » et « de solides appétits financiers ».

L'avenir dira prochainement quel est le véritable dessous des cartes de ce Tunis du XXIe siècle.

 

Nadia Omrane
Journaliste. Tunis.
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