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Le 13 décembre marchons pour la paix civile en Tunisie
Dans la suite de sa conférence de presse et après la déclaration de
grève générale de l'UGTT, Rached Ghannouchi a fait la tournée des
plateaux de radio et télévision, pour disculper le mouvement Ennahdha
dont il est le leader de toute responsabilité dans les graves incidents
de la place Mohammed Ali le 4 décembre et pour railler la réaction du
puissant syndicat tunisien.
En substance, il a déclaré que l'organisation des travailleurs, si elle
a bien joué un rôle éminent dans la lutte pour l'indépendance et dans
l'éviction de la dictature, devrait revenir à sa vocation initiale
syndicale de défense exclusive des droits des travailleurs, aujourd'hui
que nous voilà (selon lui) en démocratie. Il a déploré la politisation
de ce mouvement, particulièrement dans cette décision de grève générale
qui n'a eu de précédent que le 26 Janvier 1978, en réaction contre un
libéralisme effréné imposé aux travailleurs tunisiens. Tout en faisant
des ligues de protection de la révolution l'incarnation même de cette
révolution du 14 Janvier 2011 et tout en soutenant que, même si aucune
photo
selon lui ne porte témoignage de leur agressivité, nul n'est au-dessus
de la loi. Dès lors, pour lui, une plainte devant les tribunaux serait
suffisante pour juger des responsabilités dans ces incidents. Aussi la
grève générale est-elle à ses yeux une réponse démesurée, forcément
politique, de nature à porter une grave atteinte à la situation
économique et sociale déjà bien fragile de la Tunisie, ce qui serait
d'après lui une responsabilité historique de l'UGTT.
Relevant cette provocation comme un défi, le secrétaire général de
l'UGTT Houcine Abbassi a confirmé jusqu'ici la décision de grève
générale pour le 13 décembre, en mettant jusque dans son ton
l'expression d'un point d'honneur. Qu'Ennahdha, qui tient réellement la
barre du pays depuis les élections, balaie d'abord devant sa porte car
parlons-en, de la situation économique en Tunisie ! Ce même jour,
l'inflation s'envole à 5,5 % tandis que le panier de la ménagère
ainsi que les factures de Télécom, STEG et SONEDE, enregistrant une
hausse des prix bien supérieure, trahissent la supercherie des moyennes.
Notre balance commerciale supporte un déficit de 10 milliards de dinars
puisque nous devons importer ce que nous ne produisons plus. Quant aux
prévisions de croissance, elles sont portées au mieux à 2,7 % pour
cette année, loin de l'imbroglio des chiffres produits par le
gouvernement : un exemple édifiant de cette confusion est donné par
les chiffres des emplois créés, jamais les mêmes (variant entre
60 000 et 100 000) et guère en conformité avec le rythme
convenu d'environ 15 000 emplois créés par point de
croissance !
Certes une grève générale ne fait jamais du bien à une économie. Mais ce
qui fait encore plus de mal, c'est la confiance que les travailleurs
tunisiens, que les syndicalistes et pour tout dire que le peuple
tunisien retire à la gouvernance d'Ennahdha. Prendre à partie l'UGTT par
milices interposées, dans une forme de « sous-traitance » par
Ennahdha de ses attaques contre l'UGTT, voilà ce qui est pire qu'un
crime, une faute politique, une faute historique. Car l'UGTT est
l'incarnation même de notre trajectoire de la liberté, depuis l'origine
du mouvement syndical avec Mohamed Ali El Hammi en passant par Farhat
Hached pour l'indépendance nationale, puis Habib Achour pour l'autonomie
de l'UGTT en 1978 (et non pas seulement contre le libéralisme), enfin
avec tous ses cadres, tous ses militants, le peuple rassemblé dans ses
locaux, sous sa protection, dans son engagement contre la
dictature : ceux qui ont fait et vécu la révolution du 14 Janvier
2011, en chair et en os, dans leur sang et qui l'ont vue de leurs
propres yeux et non pas de Londres à la télé, savent que la révolution a
été encadrée par l'UGTT.
Dès lors, la première force syndicale du monde arabe et africain n'est
pas seulement une simple organisation de défense des travailleurs, sur
le modèle actuel anglo-saxon, dans des pays où le jeu démocratique
fonctionne normalement entre forces politiques. Dans notre pays l'UGTT
structure notre histoire et protège la nation contre toute dépossession
de soi, contre toute acculturation qui sont d'autres déclinaisons de
l'occupation. Les responsables syndicaux n'ont pas tort de répondre:
« El Ittihad idèfaa aala Tounès », l'UGTT défend la Tunisie,
elle défend le modèle tunisien contre tout modèle importé et surtout
remonté du passé, elle nous permet de demeurer nous-mêmes, chez nous.
Ces milices que sont les ligues dites de protection de la révolution
- quand seules la police et les institutions républicaines sont
chargées de cette mission - auront beau crier « Fonce, fonce
Ennahdha », tant que ce mouvement restera étranger à notre langue,
à nos moeurs, à nos codes, à notre art de vivre ensemble, tant qu'il
tentera d'introduire des réformes contraires à nos traditions et à nos
usages, tant qu'il essaiera de réorienter notre géopolitique et notre
culture vers un arabo-wahhabisme tournant le dos à notre patrimoine
pluri-civilisationnel, ce mouvement, ses sbires et ses supplétifs seront
perçus par la population comme étrangers à notre histoire et à notre
nation.
Bien au-delà d'une simple plainte à déposer contre une milice à
dissoudre - milice comparée aux SS sur Express FM par un
journaliste en présence même de Rached Ghannouchi qui ne le relèvera
pas - voilà le vrai combat que hisse l'UGTT comme elle hisse le
drapeau tunisien, et qu'endosse derrière elle le peuple tunisien :
dans ce combat, ce qui est en jeu, c'est une civilisation.
Sans doute vers la fin de sa tournée des plateaux, en ce jeudi 6
décembre, le chef du mouvement Ennahdha en avait-il compris le sens et
identifié la ligne rouge à ne pas dépasser. Le ton plus las, comme plus
fatigué et en retrait, Rached Ghannouchi en appela à la raison et à une
forme de pacification. Qui voudrait en effet d'une destruction de son
pays ? Encore faut-il que cesse le double langage et que s'achève
le travail de sape et la violence parallèle par l'interdiction de toutes
les factions qui semblent autorisées à le faire.
Le président de la République et Ahmed Ben Salah, le plus ancien
secrétaire général de l'UGTT après Farhat Hached, s'entremettent pour
apaiser le conflit. Aux assises de l'Institut Arabe des Chefs
d'Entreprises, peut-être les patrons tunisiens parviendront-ils de leur
côté à rassembler autour d'une même table, pour un débat, le secrétaire
général de l'UGTT, le chef du gouvernement et le leader
d'Ennahdha ?
En attendant une grève générale que personne véritablement ne souhaite,
le 13 décembre, jour de la visite de Hillary Clinton qui vient observer
le processus de démocratisation dans ce laboratoire du monde arabe
qu'est la Tunisie, il restera peut-être à la société civile rassemblée
d'engager une marche citoyenne pour la paix civile en Tunisie.
Nadia Omrane
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