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9 avril, Ennahdha ne reconnaît pas l'histoire de la nation

Sa première interview, à peine sorti des geôles de Ben Ali en 2005, avait arraché des larmes aux lecteurs. Ce 9 avril 2012, il fait encore pleurer à chaudes larmes mais à force d'avoir fait pleuvoir des grenades lacrymogènes sur le peuple de Tunis. Ali Laarayedh ministre de l'intérieur après quinze ans d'emprisonnement, serait-il victime du syndrome de Stockholm qui transforme la victime en bourreau ? À moins qu'il n'ait fait l'objet d'un coup fourré d'une police encore marquée de réflexes de l'ancien régime, qu'il projette de soumettre à des normes plus démocratiques mais qui serait encore en partie incontrôlable et rebelles à son pouvoir... En procédant à l'extension du domaine de la répression de toute manifestation interdite seulement sur l'avenue Bourguiba, les forces de l'ordre ont élargi le carré sécuritaire du non droit, à une périphérie débordant même le périmètre autorisé autrefois par Ben Ali pour des marches très encadrées sur l'Avenue Mohamed V.

Jamais depuis la révolution les moeurs de l'ancien régime ne se sont autant rappelées à notre désolant souvenir. Tous les témoignages de journalistes, d'élus de la Constituante, d'avocats et de médecins, de militants politiques et des droits de l'homme, et de manifestants de tous âges et toutes catégories sociales venus commémorer cette fête des martyrs, confirment la bastonnade brutale accompagnée d'une couverture opaque et toxique des pires bombes à gaz qu'il nous ait été donné à inhaler de mémoire de résistant à l'oppression (et de riverain de l'avenue Bourguiba empoisonné pendant plusieurs heures jusque dans la profondeur de son domicile !).

Sous les yeux d'observateurs étrangers, un couple d'experts français en évaluation des politiques publiques et surtout l'éditorialiste de New-York Times Roger Cohen pris dans le tumulte en compagnie de sa jeune fille, s'est affiché l'inquiétante dérive au bout de seulement cent jours de gouvernance, d'un pouvoir qui apparaît désormais en contradiction avec les revendications de la révolution et plus soucieux d'imposer SA loi que de faire respecter l'État de droit dont aujourd'hui les Tunisiens se réclament.

Le ministère de l'intérieur se défend de ces accusations en rappelant que depuis le 28 mars 2012, il avait interdit sur l'avenue Bourguiba toute manifestation dont les commerçants et les riverains se seraient plaints des retombées négatives sur leurs intérêts spécifiques, leur sécurité et leur tranquillité.

Une enquête de journaliste devrait pouvoir vérifier la véracité de ces plaintes. Néanmoins, le 9 avril étant un jour férié, boutiques et banques étaient closes et les cafés de l'avenue ont plus souffert du gaz que du chant national des manifestants. Nous attestons que ces cafés n'ont jamais autant de clients que le jour des grandes marches commémoratives pacifiques au cours desquelles aux tables des cafés les curieux et sympathisants se retrouvent au premières loges.

Mais c'est d'abord un point de droit que font valoir des juristes avertis. Ainsi l'animateur du réseau Dostourna Jawhar Ben Mbarek, furieusement battu ce 9 avril, avertit que l'interdiction de manifestation sur l'avenue Bourguiba n'a fait l'objet que d'un communiqué du ministère de l'intérieur et non pas d'une loi (comme le dit ce ministère) qui doit obéir à des dispositions de l'Assemblé nationale constituante et être publiée au Journal Officiel. D'autres juristes rajoutent que ce type d'interdiction est du ressort du gouvernorat de Tunis et rappelle l'article 4 de la loi de 1969 garantissant l'expression publique pacifique. Une bataille juridique devrait s'engager devant le tribunal administratif pour faire annuler cette interdiction scélérate.

Dés lors, sur ordre du ministre de l'intérieur -&nbp;peut-être dépassé par ses agents mais il en est le premier responsable - le peuple de Tunis venu célébrer pacifiquement les martyrs du mouvement national et ceux de la révolution a été victime d'une véritable « voie de fait », délit pénal, comme l'identifie Jawhar Ben Mbarek. Pire encore, des milices ayant été vues sauvagement à l'oeuvre, au coté des forces de l'ordre selon des témoignages concordants et dans les usages de l'ancien régime, une enquête est réclamée à la Constituante, parfois même par des élus de celle-ci victime de la répression. Au lieu de présenter ses excuses à la Nation et de verser des dommages aux blessés, le ministère de l'intérieur a l'aplomb de déclarer poursuivre en justice Hamma Hammami, chef du POCT, qui a dénoncé ces accointances délictueuses. Le désaveu de l'illégalité, de la démesure et de la violence de cette intervention policière fait l'unanimité de la société civile et de la classe politique jusque dans les rangs des deux partis solidaires d'Ennahdha dans la Troïka gouvernementale, le CPR fondé par le président de la République Moncef Marzouki et Ettakatol du président de l'Assemblée constituante Mustapha Ben Jaafar.

Comment le mouvement Ennahdha, dont le ministre de l'intérieur est l'un des leaders historiques, va-t-il se tirer de ce guêpier où il se retrouve pris, dans sa stratégie de mise au pas de la société tunisienne post-révolutionnaire qui n'admettra plus jamais une violence faite à sa liberté d'expression et de manifestation pacifique ? Dans la bataille de la communication qui s'est déjà engagée auprès de l'opinion publique nationale et internationale, le mouvement Ennahdha aux commandes de l'État pourra-t-il confirmer sa légitimité électorale en la délégitimant de manière si évidente au regard des standards démocratiques internationaux de gouvernance auxquels ce mouvement islamiste dit modéré prétend se conformer ? D'autant qu'il fait régner l'ordre de manière bien sélective, laissant courir les agresseurs de militants démocrates et laissant assiéger depuis des semaines ainsi qu'insulter les journalistes de la télévision nationale sans parler de l'extrême indulgence avec laquelle sont traités les Salafistes, « nos enfants » selon le chef d'Ennahdha ! Un tel abus de pouvoir le rendra moins fréquentable et moins susceptible de bénéficier d'une assistance internationale dans une gouvernance rendue difficile à la fois par la crise et par son inexpérience de la chose publique.

Mais c'est surtout aux yeux de ses gouvernés que le mouvement Ennahdha a perdu désormais de sa crédibilité et de sa popularité acquises par de longues années de résistance à un pouvoir arbitraire et totalitaire auquel il finit par ressembler. Plus que cela, le peuple tunisien ne lui pardonnera pas d'avoir manqué à ce point à la reconnaissance de son histoire : déjà, si la population n'avait célébré d'elle-même le 20 mars la fête de son indépendance, celle-ci n'aurait fait l'objet que d'une simple déclaration du chef du gouvernement (lequel selon le coup d'éclat d'Anonymous continue à envoyer ses mails de son adresse électronique d'Ennahdha dont il reste membre des instances dirigeantes). Les martyrs de la révolution du 17 décembre sont si peu reconnus que leurs dossiers médicaux et d'indemnisation traînent à être pris en charge, qu'ils sont battus devant le ministère des droits de l'homme et de la justice transitionnelle et qu'arrivés de Sidi Bouzid à pied après plusieurs jours de marche, ils sont reçus à la matraque ce 9 avril, Place des droits de l'homme. Car la veille, l'intox faisant son chemin, un agent de l'ordre nous expliquait, avenue Bourguiba devant Le Colisée, que ces marcheurs seraient en fait des vauriens de Sbiba venus régler leurs comptes à des revendeurs de Jelma, à Sidi Bou Mendil lieu de tous les petits trafics, en somme une guerre de petite mafia. Sans doute, à toute manifestation se mêle-il des voyous et des casseurs, mais tout de même peut-on noircir de cette manière le foyer de la révolution ?

Ainsi s'en est-on pris aux martyrs comme on s'en était pris le 7 avril aux jeunes diplômés chômeurs violemment réprimés alors qu'ils tentaient de marcher avenue Bourguiba, eux qui portèrent la révolution du 14 janvier ! En ignorant toutes ces dates et particulièrement celle du 9 avril 1938, la gouvernance d'Ennahdha s'est exclue de ce patrimoine symbolique qui cimente la nation. Voilà une faute que le peuple tunisien n'absoudra pas. Sans doute, fort de plusieurs centaines de milliers d'électeurs, ce mouvement islamiste croit en ses assises dans la population qu'il s'est acquise par son aura de résistant, désormais flétrie par des pratiques similaires à celles de l'ancien régime et surtout par sa prodigalité et par une instrumentalisation politique de la foi des tunisiens, aux fins d'installer son pouvoir. Mais plus personne n'est dupe de ces atteintes à une identité tunisienne plurielle et tolérante, inscrite dans la modernité que ce mouvement a tenté de dévoyer en faisant inscrire la Chariâa dans la Constitution, projet auquel il a dû renoncer sous la pression de l'opinion publique et de crainte de perdre le soutien international : dimanche 8 avril sur TV5, le ministre belge des affaires étrangères rappelait que l'Union européenne faisait de l'exclusion de la Chariâa la condition même de son aide à des États comme l'Égypte et la Tunisie !

Mais toute la projection idéologique d'Ennahdha n'est-elle pas de nature à ignorer l'identité historique de la petite Tunisie au bénéfice d'une grande Oumma Islamia dans laquelle elle se fondrait ? Toute sa politique surtout étrangère ne concoure-t-elle pas à réorienter notre pays dans une aire géoculturelle plus proche du désert d'Arabie que du souffle méditerranéen ? Et notre pays jusqu'ici d'une neutralité à l'écart de toute confrontation et d'une islamité bienveillante en dehors de tout schisme, n'est-il pas insidieusement poussé à se positionner d'un des côtés de la fracture moyen-orientale qui vise à endiguer et à subjuguer l'Iran chîite au bénéfice du wahhabisme saoudien et qatari et d'on ne sait quelle stratégie impériale ?

En ce 9 avril qui commémore une date symbolique s'il en est, celle de la conquête de la souveraineté tunisienne, force nous a été de constater qu'une violence s'est abattue sur la nation tunisienne par le fait d'une gouvernance indifférente et étrangère à son histoire.

Nadia Omrane

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