Alternatives citoyennes
Des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
Mars 2012
Rafik Abdessalem ne devrait-il pas rendre des comptes ?

Il fanfaronne et nous nargue, Rafik Abdessalem, ministre des affaires étrangères, à la tribune de l'Assemblée nationale constituante devant - c'est bien commode - un parterre d'élus acquis. Il prétend que l'actuel gouvernement est « le plus fort » que la Tunisie ait connu depuis l'indépendance.

D'abord c'est faux. Connaît-il seulement l'histoire de son pays ? Sait-il le délire avec lequel fut accueilli Bourguiba à son retour et de quelle adhésion populaire, de quelle légitimité bénéficia alors le Zaïm pour installer une gouvernance en mesure d'accomplir les réalisations et les réformes profondes donnant à la Tunisie le statut d'État moderne, phare du monde arabo-musulman ? Nous ne faisons pas partie des inconditionnels de Bourguiba (cf. notre article du 10 avril 2011, « La mort du loup ») mais cela est indiscutable au moins pour les premières années de son pouvoir. Quand le gouvernement auquel appartient Rafik Abdessalem aura passé un premier cap équivalent, alors on en reparlera.

Rafik Abdessalem ne va tout de même pas nous pousser à nous faire l'avocat du diable. En effet, le premier gouvernement de Ben Ali, les premières années de son pouvoir, bénéficia aussi d'un grand assentiment de la population et de la classe politique, au moins jusqu'aux élections de 1989. Nous les avions couvertes au nom du journal Le Maghreb et nous avons suivi la campagne Banafsaji, le mauve étant alors la couleur d'Ennahdha. En dépit des fraudes qui pénalisèrent Ennahdha et le MDS d'Ahmed Mestiri, les deux tiers de la population au moins ont bien voté pour Ben Ali et son parti. Et surtout, que les Pasdaran d'Ennahdha ne nous soupçonnent pas de relégitimer le régime déchu, nous qui l'avons toujours ouvertement combattu, qui n'avons jamais négocié quoi que ce soit avec l'ancien chef de l'État, et qui ne nous sommes jamais acoquinés avec le gendre idéal de celui-ci, Sakhr El Matri !

Qui est donc Rafik Abdessalem pour offenser avec une telle arrogance des journalistes indépendants qui aujourd'hui tentent du mieux qu'ils peuvent de faire leur métier ? Peut-il arguer d'une objectivité au-dessus de toute critique, du temps où il officiait du Qatar sur la chaîne Al Jazira, voire autrement ! Pourquoi donc ne sommes-nous pas informés du détail du parcours de celui qui, ayant un beau-père idéal, se retrouve aujourd'hui en situation de porter l'image et la voix de notre pays dans les plus hautes instances internationales ?

Il semble le faire d'ailleurs en famille, aux frais du contribuable si l'on en croit de nombreux commentaires, tel cet appel du communicant tunisien Anouar Moalla (sur RTCI le 2 mars à 13h20) à ce que « la Cour des comptes vérifie mensuellement les dépenses d'un ministre et de ses trois secrétaires d'État ».

Rendre des comptes au sujet de la dépense de l'argent public est d'autant plus urgent qu'un autre ministre, Mohamed Abbou, s'apprête, du fond d'un fauteuil d'un hôtel de Djerba, à amputer le salaire des agents de la voirie municipale de quatre jours de grève auxquels ils furent acculés pour bénéficier de la minable prime promise ! Concernant les deniers publics, la loi vaut pour tout le monde.

Mais si le ministre des affaires étrangères doit rendre des comptes ou au moins s'expliquer, c'est surtout au sujet d'une information parue dans l'hebdomadaire français Le Canard Enchaîné du 29 février 2012. Ce journal, très souvent dans le secret des dieux et même des officines du pouvoir, qui a plus d'une fois levé des lièvres et provoqué des scandales d'État, affirme en effet qu'en marge de la rencontre des « amis de la Syrie », se serait tenue également à Tunis une rencontre parallèle et très opaque des services secrets des États-Unis, France, Royaume-Uni, Turquie, Qatar et Royaume d'Arabie Saoudite, aux fins de provoquer un coup d'État contre le régime syrien.

Évidement le sujet n'est pas ici de défendre ce régime immonde mais de vérifier si, à l'insu du peuple tunisien et de ses élus de l'Assemblée nationale constituante, il s'est véritablement tramé en terre souveraine tunisienne un complot contre un autre État souverain, à l'initiative d'États étrangers.

Nous voulons juste savoir si « le gouvernement le plus fort que la Tunisie ait connu depuis l'indépendance » s'est senti en effet à ce point fort et en mesure de rouler des mécaniques pour abriter et partager une initiative subversive contre un autre État sans en référer à la légitimité nationale ni en passer par la légalité internationale.

Nadia Omrane

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