Rafik Abdessalem ne devrait-il pas rendre des comptes ?
Il fanfaronne et nous nargue, Rafik Abdessalem, ministre des affaires
étrangères, à la tribune de l'Assemblée nationale constituante devant
- c'est bien commode - un parterre d'élus acquis. Il prétend
que l'actuel gouvernement est « le plus fort » que la Tunisie
ait connu depuis l'indépendance.
D'abord c'est faux. Connaît-il seulement l'histoire de son pays ?
Sait-il le délire avec lequel fut accueilli Bourguiba à son retour et de
quelle adhésion populaire, de quelle légitimité bénéficia alors le Zaïm
pour installer une gouvernance en mesure d'accomplir les réalisations et
les réformes profondes donnant à la Tunisie le statut d'État moderne,
phare du monde arabo-musulman ? Nous ne faisons pas partie des
inconditionnels de Bourguiba (cf. notre article du 10 avril 2011, « La mort du
loup ») mais cela est indiscutable au moins pour les premières
années de son pouvoir. Quand le gouvernement auquel appartient Rafik
Abdessalem aura passé un premier cap équivalent, alors on en reparlera.
Rafik Abdessalem ne va tout de même pas nous pousser à nous faire
l'avocat du diable. En effet, le premier gouvernement de Ben Ali, les
premières années de son pouvoir, bénéficia aussi d'un grand assentiment
de la population et de la classe politique, au moins jusqu'aux élections
de 1989. Nous les avions couvertes au nom du journal Le Maghreb
et nous avons suivi la campagne Banafsaji, le mauve étant alors
la couleur d'Ennahdha. En dépit des fraudes qui pénalisèrent Ennahdha et
le MDS d'Ahmed Mestiri, les deux tiers de la population au moins ont
bien voté pour Ben Ali et son parti. Et surtout, que les Pasdaran
d'Ennahdha ne nous soupçonnent pas de relégitimer le régime déchu, nous
qui l'avons toujours ouvertement combattu, qui n'avons jamais négocié
quoi que ce soit avec l'ancien chef de l'État, et qui ne nous sommes
jamais acoquinés avec le gendre idéal de celui-ci, Sakhr El Matri !
Qui est donc Rafik Abdessalem pour offenser avec une telle arrogance des
journalistes indépendants qui aujourd'hui tentent du mieux qu'ils
peuvent de faire leur métier ? Peut-il arguer d'une objectivité
au-dessus de toute critique, du temps où il officiait du Qatar sur la
chaîne Al Jazira, voire autrement ! Pourquoi donc ne
sommes-nous pas informés du détail du parcours de celui qui, ayant un
beau-père idéal, se retrouve aujourd'hui en situation de porter l'image
et la voix de notre pays dans les plus hautes instances
internationales ?
Il semble le faire d'ailleurs en famille, aux frais du contribuable si
l'on en croit de nombreux commentaires, tel cet appel du communicant
tunisien Anouar Moalla (sur RTCI le 2 mars à 13h20) à ce que « la
Cour des comptes vérifie mensuellement les dépenses d'un ministre et de
ses trois secrétaires d'État ».
Rendre des comptes au sujet de la dépense de l'argent public est
d'autant plus urgent qu'un autre ministre, Mohamed Abbou, s'apprête, du
fond d'un fauteuil d'un hôtel de Djerba, à amputer le salaire des agents
de la voirie municipale de quatre jours de grève auxquels ils furent acculés
pour bénéficier de la minable prime promise ! Concernant les
deniers publics, la loi vaut pour tout le monde.
Mais si le ministre des affaires étrangères doit rendre des comptes ou
au moins s'expliquer, c'est surtout au sujet d'une information parue
dans l'hebdomadaire français Le Canard Enchaîné du 29 février
2012. Ce journal, très souvent dans le secret des dieux et même des
officines du pouvoir, qui a plus d'une fois levé des lièvres et provoqué
des scandales d'État, affirme en effet qu'en marge de la rencontre des
« amis de la Syrie », se serait tenue également à Tunis une
rencontre parallèle et très opaque des services secrets des États-Unis,
France, Royaume-Uni, Turquie, Qatar et Royaume d'Arabie Saoudite, aux
fins de provoquer un coup d'État contre le régime syrien.
Évidement le sujet n'est pas ici de défendre ce régime immonde mais de
vérifier si, à l'insu du peuple tunisien et de ses élus de l'Assemblée
nationale constituante, il s'est véritablement tramé en terre souveraine
tunisienne un complot contre un autre État souverain, à l'initiative
d'États étrangers.
Nous voulons juste savoir si « le gouvernement le plus fort que la
Tunisie ait connu depuis l'indépendance » s'est senti en effet à ce
point fort et en mesure de rouler des mécaniques pour abriter et
partager une initiative subversive contre un autre État sans en référer
à la légitimité nationale ni en passer par la légalité internationale.
Nadia Omrane
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