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Hamadi Jebali rappelle les touristes en Tunisie : dans ce climat d'insécurité et d'inquisition ?!
« Nous ne sommes pas au Katanga ni à Kandahar » s'exclame ce
vendredi 18 février dans l'après-midi, sur une radio privée, Mustapha
Ben Jaafar président de l'Assemblée nationale constituante, visiblement
agacé de la manière dont les médias montent en épingle l'insécurité.
C'est vrai, la Tunisie n'est pas la Libye où les seigneurs de la guerre,
des factions Kadhafistes et des groupes appartenant à la nébuleuse d'Al
Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) terrorisent la population, munis
d'armes lourdes abandonnées par l'OTAN. Pourtant, n'est-ce pas le
ministre tunisien de l'intérieur qui, quelques heures plus tôt, appelle
les frontaliers tunisiens de la Libye à informer les autorités de tout
mouvement suspect dans leur région tandis que l'armée opère un ratissage
à la recherche de commandos terroristes ?
Dans une déclaration à l'AFP, le même ministre Ali Laraeydh précise que
la Tunisie est menacée par des infiltrations, probablement d'AQMI, après
avoir quelques jours plutôt révélé que le commando de Bir Ali Ben Khlifa
projetait l'instauration d'un émirat en Tunisie.
Cependant toujours ce même vendredi sur France 2, avant de lancer
un petit sujet sur le tourisme en Tunisie, le producteur de Télématin
William Leymergie appelait à soutenir la première industrie tunisienne
en crise en rassurant le Français moyen cible de ce tourisme de ce que
« la situation était calme en Tunisie ». L'émérite
journaliste de France 2 ne doit pas être bien informé, en une
semaine particulièrement grave de désordres multiformes.
Il n'est que d'écouter n'importe quel bulletin d'information pour
enchaîner les nouvelles de protestation, sit-in, grève : ainsi le
correspondant de la radio nationale à Gafsa, rapportant au fil des
journaux la confusion qui y règne, s'étrangle dans la fumée des pneus
brûlés de ce que « l'État est absent », tandis qu'à Sfax,
Gabès, Béja, et on en oublie, des protestations et des blocages
d'entreprises et d'hôpitaux rajoutent à la confusion.
À Mateur, l'entreprise allemande LEONI arrête sa production, la reprend
puis voit le leader syndicaliste, menacé d'arrestation, s'arroser
d'essence et mettre le feu à sa personne tandis que pour finir samedi,
les responsables de l'entreprise sont séquestrés. Quoi d'étonnant que
l'ambassadeur d'Allemagne intervienne pour appeler les autorités
tunisiennes au respect de la loi dans le pays, mettant en garde contre
l'image très dégradée de la Tunisie en Allemagne. Et cerise sur le
gâteau, à partir de lundi 20 février une grève de quatre jours des
agents des municipalités va couvrir le pays des poubelles de la
nation !
La cherté de la vie, la baisse du pouvoir d'achat, le chômage poussent à
des manifestations sociales tandis que les intempéries dans le
Nord-Ouest jettent les démunis sur les caravanes de solidarité quand
celles-ci ne sont pas braquées en route !
Samedi 18 février, le ministère du commerce est intervenu pour demander
aux hypermarchés la fixation de prix de référence des denrées
alimentaires indispensables. Il y a de plus en plus de manques et ce
ministère a décidé d'importer 50 millions d'oeufs. À croire que nos
belles poules pondeuses sont devenues infertiles ; peut-être
ont-elles été excisées ?
Car le champion de l'excision est dans nos murs, allant d'une mosquée à
l'autre, escorté de militants barbus en treillis militaires en
« hôte allant librement dans un pays ouvert », avertit le
ministre des affaires étrangères tout en précisant que ce Wajdi Ghonim
ne parle pas au nom de l'État tunisien : encore heureux !
S'il n'appelle pas à l'excision, il insulte le drapeau et l'hymne de
notre pays, jette l'anathème sur les laïques tunisiens traités de
mécréants et proclame l'application prochaine de la Chariaa en Tunisie
où ce charlatan, semble-t-il persona non grata dans son propre pays pour
des motifs peu glorieux, aurait décidé de s'installer. Voilà qui ne
devrait pas améliorer la position de la Tunisie dans le classement de
Transparency International, où la Tunisie a reculé en 2011 de 14
places ! Et l'on croyait que la révolution s'était faite contre la
corruption...
Pire que cela, les ouailles de ce prédicateur - qui n'est pas le premier
en Tunisie - présenté comme salafiste défient les autorités :
vendredi après la prière de dhohr, conduits par leur chef Abou Iyadh,
des fidèles salafistes manifestent, obligeant la police à tirer des
grenades lacrymogènes en plein centre ville de Tunis. Ils menacent et
vouent au diable le président de la République Moncef Marzouki qui
l'avant-veille avait, dans une métaphore médicale trop rapide, qualifié
de « microbes » un phénomène fondamentaliste régressif qui
gangrène le lien social, pourrit la vie des Tunisiens et ronge les
valeurs de notre République. Le chef de l'État avait même dû présenter
sur le site de la présidence de la République - c'est le
comble ! - des excuses refusées par les manifestants. Et voilà
qu'à Béjà où le ministre de la culture avait donné ordre de laisser le
centre culturel à ses fonctions, c'est-à-dire hors de portée d'un prêche
politico-religieux, les responsables de ce centre culturel sont menacés
de mort. Toujours à Béjà, l'ex-secrétaire d'État à la sécurité nationale
est aussi agressé ce samedi par des militants islamistes qu'il croit
identifier comme étant d'Ennahdha.
Car dans un gouvernement essentiellement formé de ministres Nahdhaouis,
tout le monde ne semble pas en phase sur cette présence très
controversée du prédicateur. Si les autorités sanitaires ont mis en
garde contre toute atteinte au corps des petites filles et des femmes,
en en rappelant les dangers pour leur santé et les Conventions
internationales d'interdiction de l'excision auxquelles adhère la
Tunisie, la ministre de la femme et de la famille a tortillé du derrière
pendant six jours avant de lâcher en fin de tournée du prédicateur et du
bout des lèvres, un communiqué appelant à « la prudence »
contre l'excision !
Quant au ministre des affaires religieuses il a appelé à la neutralité
religieuse des lieux de culte d'où les imams zitouniens porteurs de
l'Islam tunisien sont débarqués et remplacés par d'autres plus
rigoristes. Toutefois, dans une interview relativement équilibrée au
quotidien Le Temps en date du jeudi 17 février, il confirme que
le port du hijab doit procéder d'une conviction personnelle tout en
enchaînant que les « safirats » s'exposent à
« un châtiment ». Voilà qui devrait pousser bien des têtes
nues à une conversion.
Enfin l'autorité suprême d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, semble soutenir
les élucubrations du prédicateur dans une forme de validation de sa
liberté de penser, d'autant que le chef d'Ennahdha considère également
que, s'il n'est pas indispensable d'inscrire la Chariaa dans la
Constitution, il faudra en revanche éliminer toute loi contraire à la
loi fondamentale islamique.
Face à ce mouvement de densification islamiste, la société civile
tunisienne oppose plusieurs formes de protestation. Si numériquement
elle ne fait pas le poids, elle occupe les médias et sa vive vigilance
exprime à haute voix l'indignation de la majorité silencieuse contre
cette dénaturation de ses traditions musulmanes. Quoi d'étonnant que la
société tunisienne, toutes classes, tous âges et toutes tendances
confondus, prodigue un accueil enthousiaste à cheikh Abdelfattah
Mourou sur la foi de ses envolées publiques sur les chaînes de radio et
de télévision, sous forme d'un plaidoyer vibrant, spirituel et
consensuel en faveur d'un Islam tunisien évolué, tolérant et bien dans
son temps, dans la généalogie zitounienne qui en posa les fondements.
Ce vendredi matin là sur France 2, c'est à ce modèle tunisien que
semblait se référer celui qui promouvait le produit touristique tunisien
à l'adresse de la clientèle française : le Premier ministre en
personne se produisait « en exclusivité » dans une tenue
« décontractée » comme le meilleur commercial pour cette offre
de vacances où - rassurait-il en réponse à l'incontournable
question de la chroniqueuse - le touriste pourrait « se
baigner comme avant » et « boire un verre d'alcool » à la
terrasse d'un café. Et récitant son couplet, tout sourire, le chef du
gouvernement évoquait forcément la modernité des femmes tunisiennes
émancipées tandis qu'à son insu passait en fond d'écran l'inévitable
scène exotique d'une danseuse du ventre. Très certainement Hamadi Jebali
n'a aucune responsabilité dans cette superposition d'images tirées du
sac à stéréotype folklorique des médias étrangers. Toutefois, dans une
chronique où d'ordinaire se produisent des voyagistes, des tour
operators, des tenanciers d'hôtels de charme mais jamais un chef de
gouvernement, la capture d'écran d'un sourire enjôleur (celui de Hamadi
Jebali) associé à un coup de reins érotique (celui du ventre nu de la
danseuse) pourrait donner, à la Une d'un quotidien, une photo
déplacée qui choquerait bien des rigoristes !
Image pour image, celle du journal Al Tounissiya également de
mauvais goût, racoleuse, vaut pourtant à son directeur d'être en prison
depuis plusieurs jours et aujourd'hui en grève de la faim. Or, la
clientèle des pays démocratiques que notre tourisme rappelle est très à
cheval sur la question de la liberté d'opinion, d'expression, de presse.
On l'aura vu à propos de tentatives de mise en procès pour des
caricatures autrement plus choquantes que la photo libertine d'un
mannequin à demi dévêtue mais la poitrine couverte pudiquement du bras
de son compagnon. Ce dernier, le joueur de football tuniso-allemand mais
bien plus allemand que tunisien, Sami Khedira évoluant au Real de
Madrid, taclera tous les inquisiteurs contre le journal Al Tounissiya
de ce cinglant commentaire : « Nous vivons au 21ème
siècle ». Et dans toute la presse européenne qui forcément fait
beaucoup de place à une vedette du Real de Madrid, cette pudibonderie
moyenâgeuse nous couvre de ridicule !
Par leur démesure, l'incident et les suites judiciaires donnés à cette
malheureuse publication sont la pire des publicités faites à la Tunisie
au moment où le Premier ministre s'ingénie à en donner l'image d'un pays
accueillant, ouvert, libre ! Inutile que Hamadi Jebali donne à
grand frais de communication extérieure un show publicitaire, les
touristes - du moins ceux des sites balnéaires qui font vivre 400
milles familles tunisiennes et soutiennent en recette en devises notre
balance commerciale - ne viendront plus dans un pays que même sa
population « ne reconnaît plus », et où des slogans
ahurissants couvrant les propos d'un Premier ministre sur France 2,
disent : « Coupez le bras et la jambe opposée des
grévistes », « Couvrez-vous d'un niqab et forniquez dans les
coins », « Cachez-moi ce sein que je ne saurais voir » et
« tranchez-moi cette foufoune ».
Nadia Omrane
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