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Nos gouvernants marchent-ils sur la tête, Ya Rassoul Allah ?

En déléguant par des élections démocratiques leur part individuelle de souveraineté à leurs gouvernants, les citoyens tunisiens mettent ces derniers en responsabilité quant à leur sécurité personnelle, matérielle et morale, ainsi qu'à la sûreté de leur pays et à son indépendance. Or, depuis trop longtemps et particulièrement cette dernière semaine, les citoyens tunisiens se retrouvent dans une situation de confusion et d'inquiétude, sans la moindre visibilité pour leur avenir. De telles conditions à l'évidence n'engagent pas aux investissements pas plus qu'aux crédits internationaux, ainsi que le rappelait courtoisement Christine Lagarde, directrice du FMI, en visite la semaine dernière en Tunisie.

C'est précisément la semaine dernière que se sont précipités des événements redoutables posant question.

D'abord qui est légitime à informer de la sécurité du pays ? De quel lieu parlent-ils ? De quelles informations disposent-ils ? À cet égard le ministre de l'enseignement supérieur est-il habilité à donner une déclaration à une agence de presse étrangère (UPI), surtout pour informer qu'un pays étranger trame un complot contre la Tunisie ? Il se rapporte à des données dont disposerait Interpol sans donner davantage d'éclaircissement : est-ce bien dans la mission d'Interpol, plutôt chargé de la coopération entre les polices à propos de la criminalité transfrontière, d'étendre son intervention à espionner un pays contre un autre et à rendre compte du présumé complot d'un État contre un autre ?

Ce scoop d'un ministre des universités, qui doit avoir bien des dossiers spécifiques à son ministère en suspens, est d'autant plus surprenant que le ministre de l'intérieur est le seul (avec le chef du gouvernement) en situation d'informer à propos de la grave escarmouche entre policiers et malfaiteurs à Bir Ali Ben Khlifa. Il l'a fait d'ailleurs avec mesure et réserves en attendant que l'enquête soit bien avancée. Jusqu'ici, ces informations donnent à penser qu'il s'agit d'un trafic d'armes, celles-ci étant depuis longtemps en circulation dans le Maghreb, et dans le Sahel africain à partir de la Libye où l'OTAN a déversé des tonnes de matériel militaire léger et lourd. Des consultants français liés à des services de renseignement ou à quelques observatoires du terrorisme ont depuis plusieurs mois averti du transfert de ces armes en France, par delà la Méditerranée.

Donc il s'agirait de trafic d'armes, au pire d'une circulation terroriste liée à El Qaida au Maghreb islamique (AQMI). D'ailleurs le président Moncef Marzouki se prépare à une tournée dans les pays du Maghreb pour sensibiliser à la redoutable porosité des frontières : vient-il de découvrir le plan sécuritaire de la Task Force américaine qui distribue tout le long de l'arc saharien les antennes relais du Counter Terrorism Partnership (Trans-Sahara Counter Terrorism Partnership, TSCTP, ou Partenariat Transsaharien Contre le Terrorisme) ?

En tout état de cause, rien ne nous donne à penser qu'un pays étranger menace la Tunisie et nous devons pour l'heure nous en tenir aux informations responsables de l'autorité habilitée à en donner. D'ailleurs, une autre définition juridique de cette agression à Bir Ali Ben Khlifa devrait alors en être donnée et une autre instance judiciaire devrait en être saisie. À quel titre donc, en contradiction avec ces informations, le ministre de l'enseignement supérieur sème-t-il la confusion dans les esprits ?

Du sommet de l'État aussi, parviennent d'étranges nouvelles : c'est un conseiller spécial du président de la République, un illustre inconnu (dont nous n'avons même pas le CV, pas plus d'ailleurs que celui de nos autres gouvernants et satellites de ceux-ci) émet lui aussi en conférence de presse des hypothèses sur ce grave incident et laisse percer des doutes sur la fiabilité de notre police. Il est vrai que dans le même temps, à l'appel d'un syndicat national des forces de sécurité, un sit-in et une marche ont été entrepris, découragés par un groupe de « citoyens » hostiles à cette agitation et suspendus par une intervention du procureur de la République selon les dispositions prévues par l'état d'urgence.

Tout cela est resté dans les limites de l'ordre démocratique pacifique. Pourtant des insinuations malencontreuses, du coeur du palais de Carthage mais sans qu'elles ne mettent en cause la parole du président de la République, font douter d'un des pilier de l'État, la police, au moment où elle demande elle-même qu'on lui fasse confiance et que les citoyens n'ont d'autre choix ni d'autre souhait que d'aller dans le même sens.

Aucun corps de métier n'est totalement pur des stigmates de ce passé ignominieux, aucun n'est privé de sa part de culpabilité ; dans l'explicite, dans le non dit et dans l'inavoué, chacun a trahi sa patrie à sa manière. À des degrés plus ou moins graves, tout le monde est responsable de ce qui s'est passé... Aujourd'hui encore, il faudrait être très naïf pour croire que les foyers de tension prennent feu spontanément, pas plus que la révolution ne fut tout à fait spontanée.

Il a bien fallu ici et là des allumeurs de mèche pour porter l'incendie au bois sec de corps meurtris et d'âmes mortes sous des tonnes de frustrations. Que des politiciens entretiennent les braises, c'est de bonne guerre. Mais il se trouve qu'aujourd'hui, l'accusation désigne un homme, nommé jusque dans les médias, à la face de l'opinion publique, mis à l'index et cloué au pilori même par des communicateurs et des militantes associatives au long parcours dans le mouvement des droits de l'homme et qui ne peuvent pas ignorer que cette incrimination frontale de celui qui « pratique la politique de la terre brûlée » et se comporterait « en pyromane », peut conduire de proche en proche à des accusations de haute trahison, des procès pour complot et contre la sûreté de l'Etat. Ces entreprises de destruction politique et civique d'un homme, nous ne les connaissons que trop. À telle enseigne que nous nous demandons pourquoi Béji Caïd Essebsi - car c'est de lui qu'il s'agit - n'endosse pas sa robe d'avocat pour traîner ses accusateurs infâmes devant les tribunaux et leur imposer la charge de la preuve de leurs accusations.

Il faut en finir avec les coups bas, les coups tordus, et que cessent de sévir les préposés aux basses oeuvres, en relais des donneurs d'ordres, ceux qui sur les réseaux sociaux et dans les médias renouent avec la pratique de caniveau. Contre cela, il faudrait s'employer à une pédagogie de la loyauté, de la confrontation pacifique, démocratique, autour de programmes et de projets de société, autant dire un exercice plus civilisé. Sinon nous allons persister dans une image de société clanique, tribale, infra-politique.

C'est un nouveau mode de lien social et de gouvernance à mettre en oeuvre. Mais précisément, au moment où il faut raison garder, un nouveau coup de tonnerre frappe du palais de Carthage dans l'expulsion sine die, sans autre forme de procès, du chef de la mission diplomatique de Syrie en Tunisie. Certains auront trouvé cette décision « courageuse et inédite » : pour qu'elle fût courageuse, encore eût-il fallu un ennemi à affronter ; mais inédite, certainement, dans l'histoire de la diplomatie. Avec une telle mesure qualifiée par l'opposition de « précipitée », « d'irréfléchie » et d'inconsciente des enjeux en oeuvre au Proche-Orient, nous venons d'inaugurer une diplomatie de l'émotion, de la compassion et de l'emportement, tout le contraire du registre diplomatique fait de raison pratique, de distance et de retenue ouvrant la voie non à la rupture mais à la négociation.

Dans la foulée du chef de l'État, le chef du gouvernement a appelé tous les pays à suivre l'exemple tunisien. On verra. Si tel devait être le mouvement, ce serait la porte ouverte à la guerre contre la Syrie. La Tunisie joue-t-elle à nouveau, à l'incitation de pays étrangers, le rôle de laboratoire où on teste une pratique nouvelle ? Celle-ci a été initiée en dehors de la consultation de l'Assemblée nationale constituante, en principe souveraine. Elle a été prise par le même homme qui, au lendemain de sa désignation comme chef de l'État, déclarait sur France 24 qu'il était contre la guerre, contre la rupture, favorable à la négociation et à trouver une porte de sortie au chef de l'État syrien. Moncef Marzouki connaît-il la chanson : « Tu me fais tourner la tête... » ?

Non décidément, c'est trop d'improvisation, d'incohérence, de confusion des genres, des rôles, des discours et des pouvoirs. Nos gouvernants vont-ils cesser de marcher sur la tête, à l'image de ce scanner « tenu à l'envers » selon de malicieux facebookers et, pour reprendre l'exclamation de longue date favorite de Moncef Marzouki, Ya Rassoul Allah ?

Nadia Omrane

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