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La ministre Sihem Badi recommande la coucherie cachée mais « selon la coutume »

Voilà donc ce que recouvraient la persévérance dans l'occupation (mixte) de la faculté de la Manouba et la ferveur dans les iitissamèt (mixtes) sous les tentes de la protestation : confondant les débats qu'encourageait la toute neuve liberté de parole et les ébats auxquels les exposait la proximité de corps survoltés, des jeunes hommes et des jeunes femmes en sont venus à des rapprochements plus épidermiques que politiques, réprouvés par leur éducation et par la morale religieuse de notre société. Tel est du moins le témoignage livré à des quotidiens tunisiens (ou peut-être repris d'un reportage de France 24) et dans lequel quelques étudiant(e)s expliquent l'état de désordre intime, de stress et de confusion mentale suscité en eux par des signaux contradictoires : d'une part l'appel du corps, la pression du désir, la tentation de l'amour et d'autre part l'interdit religieux, la contrainte de la morale, la coercition du conservatisme social.

Toute civilisation est fondée sur la répression du désir, et celles fondées sur les religions monothéistes sont à cet égard les pires. Dans notre société, la sexualité en dehors du mariage est proscrite, selon la morale musulmane mais aussi selon la loi, le concubinage étant interdit. C'est à peine si de jeunes couples non légitimes peuvent trouver à se loger auprès d'un propriétaire tolérant dans une résidence de quartier chic. Pour trouver une petite intimité, les amoureux se réfugient sur les bancs publics d'où les chasse quelque brigade des moeurs, et plus tristement dans l'obscurité des salles de cinéma ! L'âge moyen au mariage est de trente ans pour la fille tunisienne et trente-deux ans pour le garçon ! De longues études, moins imposées par le souci de se parfaire que par la peur de se retrouver demandeur d'emploi dans un marché vide de toute offre et, par suite, l'impossibilité de faire face aux dépenses de noces trop fastueuses et d'une installation « bourgeoise » « dans ses meubles », étouffent l'expression naturelle d'une sexualité dont le refoulement porte à toutes les explosions.

S'il y a des façons de sublimer un désir castré, la révolution en est une dans la mesure où, libérant les énergies, elle catalyse la plus vitale d'entre-elles : la libido. Bien des explications ont été données de la révolution tunisienne, elles devraient être complétées d'une psychanalyse d'une hystérie collective et de quelques essais sur la répression de la sexualité.

Pour mettre fin à ce clivage d'un moi déchiré entre les pulsions de l'Eros et un surmoi culpabilisant de toute une éducation conservatrice et de la tarbia islamiya, la panacée semble avoir été trouvée dans le mariage coutumier, nikah orfi ou « mariage de plaisir » caché. Il est strictement interdit en Tunisie où le Code du statut personnel adossé au droit positif ne reconnaît que le mariage civil, établi devant des officiers municipaux ou par des notaires assermentés et inscrit en bonne et due forme sur les registres de l'état civil.

Que des jeunes coincés dans le carcan normatif et encore incapables de subvertir l'ordre moral entreprennent des stratégies de contournement pour vivre pleinement la maturité de leur corps, cela se comprend, d'autant qu'ils y sont conduits par des prédicateurs et non pas par des docteurs de la foi, ce genre de mariage étant largement prohibé dans la tradition sunnite. Mais que la ministre de la femme et de la famille apporte sa caution à cette pratique, voilà qui conforte l'hypocrisie sociale, amorce insidieusement un coup d'État institutionnel et prépare à une plus grande misère des femmes.

Mme Sihem Badi, de par son métier de médecin ayant exercé à Paris, doit certainement considérer comme normal et même salutaire ce mouvement naturel d'accomplissement sexuel sous peine de pathologies réactionnelles. Mais une telle réalisation de soi n'a guère besoin de se dissimuler derrière un simulacre de mariage, dans l'esprit d'un conformisme social hypocrite. Sans doute est-il difficile à la ministre de parler directement le discours de la libération de moeurs trop contraintes, mais elle aurait pu en passer tout simplement par la parole médicale.

Par ailleurs, s'il s'agit de s'en tenir à la stricte observance du cadre du mariage, alors la ministre de la République se trouve être garante d'un modèle conjugal civil défini par le Code du statut personnel. En considérant que le mariage coutumier est « de la liberté personnelle de chacun » (ainsi qu'on le dit aujourd'hui du port du niqab...), la ministre compromet la République (non pas bien sûr à titre privé, bien que nous demeurions perplexes devant cette formulation de l'éditorial du journal Le Temps du 02 février : « Voilà donc Mme la ministre qui se projette sur le mariage coutumier... » !). Ministre de la République, elle contrevient aux lois et à l'ordre républicain et ouvre la porte à un coup d'État institutionnel contre le mariage civil monogame, introduisant la possibilité de forme polygame. C'est très grave !

Enfin Mme Sihem Badi est ministre des droits de la femme et elle est censée protéger les femmes trop souvent à la merci de la domination masculine. Combien de jeunes femmes naïves pourront subir encore la lubricité d'un patron, d'un supérieur hiérarchique, d'un bon père de famille qui les rassureront dans cette proposition d'un mariage coutumier que rien ne reconnaît ? Que feront-elles dès que l'époux de quelques jours se dérobera à ses responsabilités de présumé mari, voire de père potentiel, surtout quand on sait combien les méthodes de contraception deviennent suspectes et même difficiles à acquérir dans des centres de planning familial, sous prétexte de « pénurie de pilules » ! Des médecins témoignent même que des avortements de mères de famille tout à fait légitimes sont arbitrairement refusés dans des centres de planning familial, pour des motifs religieux. Bonjour les mère célibataires dont l'élue d'Ennahdha sur Tunis 2 s'était offusquée et bonjour les enfants abandonnés auxquels l'adoption pourrait être bientôt refusée.

Décidément les ministres du CPR sont bien portés aux élucubrations : après Tahar Hmila et ses « déchets binationaux et francophones », après le ministre Abdelwahab Maatar qui trouve normal de placer sa progéniture dans les cabinets ministériels, après Mohamed Abbou qui fait grève de sa fonction de ministre et auquel l'administration tunisienne répond par un brassard rouge, voilà que Sihem Badi recommande les coucheries cachées mais selon la coutume ! Et pendant ce temps, cerise sur le gâteau, leur ex-chef, notre inventif président Moncef Marzouki, plante dans une Ethiopie désertique un olivier pacifique : en somme, faites l'amour et pas la guerre !

Nadia Omrane

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