Sommes-nous dans une forme de vacance de l'État ?
Chaque jour apporte son lot d'informations si stupéfiantes qu'elles
finissent par nous faire poser cette question provocatrice :
sommes-nous dans une forme de vacance de l'État, malgré un gouvernement
flanqué de trois présidents et d'une autorité parallèle mais supérieure
en la personne de l'émir Ghannouchi ?
Par exemple, prenons les informations de la journée de mardi 10
janvier :
Situation 1. On avait cru le sit-in de la faculté de la Manouba
terminé après une intervention pacifique des forces de l'ordre. Il n'en
est rien car mardi matin, une enseignante du département d'Anglais, qui
venait d'expliquer à une étudiante en niqab qu'elle ne pouvait pas
assister à son cours en cette tenue, s'est vue intimidée, molestée et
menacée de mort par un groupe d'acolytes barbus présumés salafistes.
Depuis, précise l'enseignante, une vingtaine d'hommes du même acabit
terrorise le département.
Il n'y a pas eu d'intervention de forces de l'ordre, indésirables à la
faculté mais qu'on aura vu très zélées à disperser un sit-in devant le
ministère de l'enseignement supérieur, la semaine dernière. Il est vrai
que le nouveau ministre des universités, se lavant les mains de toute
décision claire concernant cette affaire du niqab, s'en décharge sur
chaque enseignant, émiettant ainsi une autorité qui lui revient et dont
il porte la responsabilité : l'université publique n'est pas une
jungle où chacun établit sa propre règle.
Situation2. À Sejnane, à la suite du pavé lancé par le journal Le
Maghreb sur un émirat salafiste terrorisant la population, les forces de
police sont intervenues, mais un certain nombre d'activistes de cette
mouvance se serait dispersé dans la nature.
Le président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, Me
Abdessatar Ben Moussa rendra compte vendredi d'une enquête menée à
Sejnane. Mais déjà, il fait état de l'absence de toute police et de tout
pouvoir dans cette région complètement démunie. Sejnane est-elle un
isolat hors République ?
Situation 3. Il y aura encore moins d'ordre entre mardi et
mercredi après l'avertissement d'une grève des brigades d'intervention
qui ont appelé à monter de tout le pays pour se rassembler devant le
ministère de l'intérieur. Ces forces de l'ordre protestent contre le
limogeage de leur chef, le colonel Moncef Laajimi qui serait incriminé
dans la répression de la révolution.
Cette information a été corrigée mais de manière si ambiguë qu'elle n'a
pas découragé la protestation. L'imbroglio s'épaissit à la lecture du
démenti des syndicats des forces de sécurité. L'opinion publique est
très troublée. Trop de remue-ménage du côté des forces de l'ordre
insécurise les citoyens. Et si d'aventure, dans ce vrai-faux retrait
protestataire des brigades de l'ordre public, il était survenu un
incident grave, qui aurait rétablit l'ordre ? L'armée ?
Situation 4. Ammar Gharsallah, le chômeur de Gafsa qui s'était
immolé par le feu le jour même de la visite de trois ministres censés
apporter une solution aux affres du bassin minier, est mort de ses
brûlures. À quelques jours de l'anniversaire de la révolution, ce
suicide résonne comme une sinistre répétition et la Tunisie semble
devenir la terre des immolations.
Aucun signe fort venu de la nouvelle gouvernance, aucune annonce
concrète de projet d'embauches convaincantes ne vient éteindre les
foyers de tension qui se ravivent d'un endroit à l'autre. Et les caisses
de l'État sont vides !
Voilà une journée de désordre ordinaire tandis que responsables et élus
s'agitent dans des gesticulations stériles. Un an après la révolution,
le pays silencieux est aussi anxieux que perplexe, et même pour les plus
optimistes des révolutionnaires il y a de l'inquiétude dans l'air.
Nadia Omrane
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