Moncef Marzouki sera-t-il président de la moitié, des deux tiers ou de toute la patrie ?
« Toute vieillesse est un naufrage », cette sentence d'un
écrivain universel, néanmoins francophone, André Malraux, c'est tout ce
que m'inspire la honteuse provocation de Tahar Hmila, doyen des élus de
la Constituante et président du groupe parlementaire du CPR, parti du Dr
Moncef Marzouki. Il visait les sit-inneurs devant le palais du Bardo,
fustigeant pêle-mêle l'UGTT et les « déchets » de la
francophonie !
L'après-midi même la réaction de l'UGTT ne s'est pas fait
attendre : sur les ondes de ShemsFM, son secrétaire général adjoint
envoyé depuis quelques semaines sur tous les plateaux pour hisser le
panache syndical, Abid Briki, infligea une sacrée dérouillée à Tahar
Hmila. Ce n'était que des mots mais ils ont dû le faire tomber en
apoplexie, ce vieil homme qui ne semble plus en mesure de maîtriser ses
pulsions : khraf !
La centrale syndicale tient ses archives et ne se souvient pas des
titres de gloires militantes que Tahar Hmila s'attribue au titre de
syndicaliste et de grand résistant contre La main rouge devant
l'éternel.
En revanche Abid Briki rappela qu'il fut président de la cellule
destourienne au temps de Mohamed Sayeh et rebelote en 1987. Fulminant,
le tribun syndical menaçait en conclusion d'ouvrir encore plus largement
des « dossiers d'histoire » auxquels ni Tahar Hmila ni
d'autres peut-être ne devraient échapper.
C'est que l'UGTT est un grand cactus auquel il est redoutable de se
frotter. « Le rebut » de la francophonie, ses
« détritus », sa lie, voilà le compliment que Tahar Hmila du
haut de son arabitude décerne à l'opposition moderniste, qualifiée dans
son ensemble de « vaincus », de « perdants », de
nuls, zéros pointés, bref de sous-merde de l'humanité !
Pour dire vrai il ne fut pas aussi volubile mais il en a dit
l'essentiel. Comme nous avons nous aussi de la mémoire, presque autant
que Abid Briki, nous prions Tahar Hmila de vérifier auprès de son boss
Moncef Marzouki si ce ne sont pas ces nullards, ces moins que rien, qui
ont largement contribué à le tirer de la prison de Ben Ali. Et encore,
avec le secours de la francophonie, ne vous en déplaise.
Sauf à être atteinte d'un Alzheimer que le neurologue Moncef Marzouki
devrait pouvoir diagnostiquer, il nous semble bien qu'en juillet 1994,
Alain Juppé, ministre français des affaires étrangères, exprimait toute
sa sollicitude à la famille du Dr Marzouki, à l'ambassade de France à
Tunis. Moncef Marzouki, qui était alors embastillé, fut libéré quelques
jours après, le 25 juillet si nos souvenirs sont bons. Y a-t-il un
rapport entre ceci et cela, Allahou Aalam, dieu seul le sait...
Après quelques années de harcèlement en Tunisie, Moncef Marzouki fut
« repêché » en France où il obtint un poste de médecin à
l'hôpital de Bobigny.
L'aire francophone, du pays de Voltaire au Canada, a un charme discret
pour les exilés. Hamadi Jebali lui-même, futur Premier ministre, ne
trouva-t-il pas refuge pendant 9 ans, selon ses propres dires, à
Paris ?
Ces insultes de Tahar Hmila sont d'un autre âge. Elles blessent une
diaspora tunisienne de binationaux francophones ou de Tunisiens attachés
à la culture et aux valeurs de la France des Lumières qu'ils savent
distinguer de la France qui exclut et expulse.
Le Dr Moncef Marzouki ne semble pas bien tenir ses troupes, si l'on en
croit son impossibilité à réunir sur sa proposition de référendum sur la
Constitution plus de 9 voix, alors que son parti occupe 29 sièges à
l'Assemblée.
Mais, futur président de la République, Moncef Marzouki ne devrait pas
permettre dans son environnement le langage puant d'un Hortefeux
poursuivi en justice pour avoir déclaré : « un Maghrébin ça
va, deux c'est déjà trop ! ».
Il ne devrait pas non plus prêter l'oreille à cette discrimination qui
encense la majorité et déshonore la minorité, encore moins applaudir aux
dérapages de son lieutenant Mohamed Abbou, lui aussi bien oublieux. Il
fut un temps où, face au dictateur gagnant, nous étions tous des
perdants et c'est ensemble que nous avons gagné.
Ce qui nous a toujours frappé, c'est que dans les grandes démocraties,
les grands présidents (mais pas les petits) quittent leurs habits
partisans, endossent le costume national et ont leurs premiers mots pour
le peuple tout entier.
Une patrie ne connaît ni majorité ni minorité. Elle est une et
indivisible. A fortiori quand elle est en danger, « quand les blés
sont sous la grêle » et que l'économie va à la ruine, « Fou
qui songe à ses querelles, au coeur du commun combat ».
Le 10 décembre 2011, date symbolique s'il en est pour un ancien
président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, Moncef Marzouki
devrait être élu président non pas de la moitié, non pas des deux tiers
mais de toute la patrie Tunisienne.
Nadia Omrane
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