Des documents du « parti de Ben Ali » aux mains de Médiapart
Le journal en ligne Médiapart dirigé par Edwy Plenel, ancien directeur
du journal Le Monde, vient de publier un article intitulé « Comment
le Parti de Ben Ali a tissé sa toile en France » et inspiré par des
documents qu'il « s'est procuré». Ces documents étaient recelés au
36 rue Botzaris, dans le 19ème arrondissement, à Paris,
immeuble destiné à l'origine à l'hébergement des étudiants tunisiens et
devenu le coeur de l'ancien régime en France. C'est dans ce quartier
général transformé en « panoptique », selon l'expression du
philosophe Michel Foucault, que les résidents tunisiens en France et les
binationaux tuniso-français étaient officiellement protégés, secourus,
soutenus et, en réalité, encadrés, formatés, « appareillés »,
voire surveillés et punis pour reprendre Michel Foucault.
Appuyé sur ces documents, l'article de Médiapart expose comment cette
base du parti-État de Ben Ali a tissé sa toile d'araignée sur la France.
Des dizaines de pages donnent des listes de 73 noms, avec des adresses
postales et électroniques et les contacts téléphoniques de chefs de
cellules, baptisées de noms de figures du mouvement national. Ces pages
établissent également le rôle et le mode de fonctionnement du
Rassemblement des étudiants tunisiens à Paris (RETAP), véritable section
d'embrigadement RCDiste et oeil du parti en France, sous couvert d'être
une organisation culturelle fédérant des centaines d'associations de
Tunisiens en France avec leurs contacts et leurs activités détaillés,
dont il n'est pas possible de dire qu'elles étaient toutes des
satellites ou succursales du parti et dont certaines se sont converties
aujourd'hui en structures de prise en charge des migrants Tunisiens
arrivés à Paris de Lampedusa.
Toujours sur la foi de ces bonnes feuilles de la police de Ben Ali, le
site Médiapart cite quelques noms, oriente vers quelques pistes,
souligne les relations de clientélisme, et donne quelques exemples de
l'allégeance des protégés de Botzaris à la présidence de Ben Ali. Ainsi
signent-t-ils une lettre à l'ancien président Chirac avant les élections
de 2004 pour vanter les avancées démocratiques du régime tunisien. De
même un certain nombre d'entre eux ont participé au cérémonieux débat
sur l'identité nationale, du temps où Eric Besson, ancien ministre de
l'immigration de Sarkozy et Tunisien « par alliance », offrait
de conviviales réceptions à ces « go between » entre la
Tunisie et la France. Le rassemblement de Botzaris organisait aussi des
séminaires d'éducation politique RCDiste au terme desquels était délivré
un diplôme de formation politique !
Sans doute Médiapart n'a-t-il eu entre les mains qu'une infime partie
des quelques peut-être 3000 pages, voire plus, de ces documents
compromettants qu'un collectif des Tunisiens de France, créé à Botzaris
quelque temps après l'arrivée des transfuges de Lampedusa, soutient
avoir mis en partie sous les scellés de Maître Soumaya Taboubi, avec le
consentement de l'ambassade de Tunisie en France.
Président de ce collectif, Monsieur Lazhar Toumi se plaint, dans des
propos
rapportés sur le site de France24 (concomitamment à la
publication de Médiapart) qu'un certain nombre de documents faisait
l'objet de vente, aux fins peut-être de faire chanter des personnes dont
les liens peu avouables avec le régime benaliste auraient ainsi été
révélés au grand jour. Désormais, une partie de ces pièces à convictions
serait mise à l'abri et pourrait être déférée aux acteurs habilités à
enclencher des poursuites judiciaires, en Tunisie.
Nous mettons en relation ces deux articles de sites d'information en
ligne, car les propos de l'un semblent justifier les craintes de
l'autre : belle éthique que celle de présumées bonnes âmes
humanitaires qui s'approprient des documents revenant à la Justice
tunisienne, les vendant en véritables mercenaires et en maîtres
chanteurs. Mais curieuse déontologie que celle de Médiapart qui semble
avoir encouragé une telle logique.
Le site Médiapart, classé à gauche, publie régulièrement des
informations de première main sur le système Sarkozy, véritables scoops
à l'origine de grands scandales. On ne doute pas de la manière subtile
avec laquelle ses journalistes se retrouvent à la source de ces
renseignements gratinés... Parfois il faut tordre le cou à la morale
pour donner de l'information.
Sans doute aurait-il été préférable que l'ensemble de ces documents se
retrouve en Tunisie entre les mains d'acteurs de la magistrature, du
Barreau ou du journalisme au dessus de tout soupçon, pour ainsi verser
ces pièces au procès attendu de Ben Ali et de son système.
Peut-être les journalistes de Médiapart auraient-ils été plus inspirés
d'aider, ce faisant, l'État de droit à se construire et à s'affirmer en
Tunisie, et partant, plus disponibles pour engager des investigations
sur les complaisances bien françaises vis-à-vis du régime tunisien en
s'interrogeant, par exemple, sur la procédure judiciaire ouverte si
tardivement par le Parquet de Paris au sujet du blanchiment d'argent en
bandes organisées par Ben Ali et consorts.
Nadia Omrane
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