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Un enfant si je veux, quand je veux et comme je veux !

Un passéisme ignorant et brutal tire en arrière la Révolution tunisienne que la jeunesse projetait vers l'avenir. Il inquiète, alors que, nous débarrassant de la dictature, nous proclamions que nous n'avions plus peur. Il dresse les Tunisiens les uns contre les autres, particulièrement contre les Tunisiennes, alors que la Révolution était toute fraternité.

Préhistorique, c'est cet énergumène qui traîne une journaliste par les cheveux qu'elle n'a pas couverts ; bête et méchant, c'est ce chauffeur de taxi qui tire cet avertissement, comme un revolver : «  ne montent dans mon taxi que les femmes voilées, sinon je les descends ». Envahissants, ce sont ces fidèles qui, de la mosquée de Montplaisir débordant sur l'avenue à plusieurs voies jusqu'au hall du Tanit médical, exhibent leur prosternation, fustigeant du regard les femmes médecins et leurs secrétaires qui ne parviennent pas à se frayer un chemin dans leur propre lieu de travail. Frustes et imprécateurs, ce sont ces lycéens et leurs parents qui accusent de blasphème ce professeur donnant une leçon d'histoire de la philosophie. Surprenant dans sa convergence d'objectif avec le terrorisme jihadiste, c'est Noureddine Bhiri qui mêle Ennahdha avec El Qaïda. Contre-productif au niveau de l'économie toute entière, c'est Rached Ghannouchi qui promeut le tourisme religieux contre le tourisme balnéaire, lequel fait vivre 400 000 familles !

Et voilà qu'on tente de remettre en question ce sur quoi s'est fondé le développement de la Tunisie, le contrôle des naissances. Madame Hbiba Ben Romdhane, ministre de la santé publique, vient de rappeler aux personnels des centres du planning familial que la régulation de la natalité reste une priorité de la santé publique. Des urgences pourtant, son ministère en a, mais pour qu'il ait fallu un tel rappel à l'ordre, souligné publiquement, c'est qu'il y a bien péril en la demeure : dans les centres de planning familial, des sages femmes refusent des interruptions volontaires de grossesse même à des mères de trois enfants qui n'en veulent pas davantage ; les pilules abortives - l'avortement médicamenteux est de plus en plus courant - sont distribuées avec parcimonie ou sont en « pénurie ».

La politique de contrôle des naissances instituée par le volontarisme bourguibien en 1957, dix ans avant la France, est un acquis civilisationnel. Elle a permis de réguler la démographie et porté le taux de natalité à 2.1 pour mille naissances, équivalent du taux des pays les plus avancés. Exemplaire, la Tunisie est devenue un laboratoire d'expérimentation de techniques contraceptives telle la pose d'implants sous cutanés. Le développement de la Tunisie n'a pas été lesté d'une démographie invalidante. Débarrassées de grossesses non désirées, les femmes ont pu accéder au marché du travail, leur émancipation, voire leur épanouissement dans une vie professionnelle ou publique se sont trouvées moins handicapées par des obligations maternelles. Le couple avec deux enfants est devenu la cellule familiale idéale, apte à une meilleure qualité de vie. Voilée de pied en cap, cette femme de ménage illettrée proteste contre ceux qui attentent à ce dispositif de contrôle de la maternité : « qui va faire vivre ces enfants de trop ? ».

L'extension de cette politique, admise dans les moeurs, s'est élargie à toute demande de contraception ou d'interruption volontaire de grossesse, sans qu'il ne faille justifier d'un statut matrimonial ou d'un âge autorisé. Dès lors, on a vu reculer le nombre des mères célibataires et des enfants naturels dont la protection juridique et la prise en charge concrète se sont améliorées. Les centres de planning familial, précise la ministre de la santé, sont des refuges contre la violence faite aux femmes : on peut entendre les grossesses non désirées imposées par exemple à cette jeune grand-mère venue à l'insu de son mari, et disant sa honte d'être enceinte en même temps que sa propre fille ! Mais on peut comprendre aussi qu'il s'agit de la sexualité imposée, c'est-à-dire du viol et des grossesses qui s'en suivent.

Revenir sur cette considérable avancée de la Tunisie, c'est d'abord mettre en péril sa croissance économique, particulièrement en ce temps de crise. C'est retirer les femmes du travail et de toute vie publique en les assujettissant à leur condition maternelle. Mais c'est aussi réduire une vie de couple à une fonction reproductive et c'est faire de l'intimité amoureuse légitime un froid accouplement fonctionnel. C'est surtout ne pas permettre aux jeunes gens et aux jeunes filles d'avoir une sexualité épanouissante, en la retenant différée à l'âge du mariage, en moyenne aujourd'hui de 30 ans pour les filles et 32 ans pour les garçons.

Ce fondamentalisme passéiste est synonyme de la répression du désir, il jette l'anathème sur la naturelle expression du corps en interprétant une présumée injonction sacrée. Il est une vision archaïque déshumanisante, délétère de la libido au principe de toute vie, constitutive de toute personnalité, moteur de tout devenir. Portés par cet élan en un naturel appétit de vivre, nos jeunes gens et nos jeunes filles ne supporteront plus une nouvelle censure. Ils lèveront tout nouvel interdit, réagiront contre tout diktat, car c'est à eux seuls que revient le choix, dans la conjugalité ou dans le compagnonnage, de leur intimités amoureuse, de leur vie de couple, de leur modèle de parentalité et de la taille de leur famille.

Et quand le malheur frappe de stérilité des couples en désir d'enfants, la médecine tunisienne propose depuis des décennies des traitements et des techniques maîtrisées d'insémination artificielle et de fécondation in vitro : le premier « bébé éprouvette » tunisien est né en mars 1988, dix ans après la première naissance française in vitro. Des fatwas autorisent ces pratiques dans le cadre de couples légitimes mais le désespoir d'une stérilité rebelle pousse parfois des époux à aller solliciter à l'étranger les banques de sperme ou le don d'ovocyte jusque dans des cliniques espagnoles, ukrainiennes ou libanaise-chrétienne ! Enfin, l'adoption bien encadrée juridiquement est aussi une alternative ultime.

Contre tous les régisseurs du libre arbitre sexuel ou reproductif, nos jeunes gens et nos jeunes filles, dans la continuité de leurs parents, répondront : un enfant si je veux, quand je veux et comme je veux !

Nadia Omrane

www.alternatives-citoyennes.sgdg.org  ~ redaction@alternatives-citoyennes.sgdg.org