Beji Caïd Essebsi face aux exigences européennes de rapatriement des clandestins tunisiens
Monsieur José Manuel Barroso était ce 12 avril en visite de travail à
Tunis pour régler avec le gouvernement provisoire la question des
25 000 immigrés clandestins tunisiens en Italie.
En langage diplomatique, il était venu offrir à la Tunisie une enveloppe
supplémentaire de 140 millions d'euros pour financer des projets
d'utilité sociale, tout en promettant de faciliter l'obtention de
certificats d'origine pour une meilleure exportation de certains
produits tunisiens sur les marchés européens. De même, il assurait la
Tunisie d'investissement européen et de délocalisation de service avec,
à l'horizon, la perspective d'accords de bon voisinage et la création
d'une aire d'échange euro-méditerranéen.
En terme plus direct, le président de la Commission européenne se
faisait l'écho des inquiétudes des États européens quant à l'arrivée
massive de migrants tunisiens en Italie. Il devait souligner que, si
l'Europe consentait à accorder davantage de visas de séjour réguliers,
elle demeurait intransigeante face à l'immigration illégale.
C'est que la veille, au Luxembourg, les 27 ministres de l'UE étaient
entrés dans de violentes tensions conflictuelles, reprochant pour la
plupart à l'Italie d'avoir pris la décision, de concert avec les
autorités tunisiennes, d'accorder des visas de séjours temporaires dans
l'espace Schengen aux 25 000 migrants tunisiens débarqués ces
dernières semaines à Lampedusa, afin qu'ils puissent quitter l'Italie,
pays de transit, vers d'autres pays frontaliers, leur véritable point de
chute.
C'est la France qui était la plus ciblée et la réaction du ministre
français de l'intérieur ne se fit pas attendre, opposant à la décision
italienne l'article 21 de la convention Schengen, qui requiert pour ces
séjours temporaires des documents d'identités ainsi que des ressources
suffisantes. Dans l'épreuve de force transalpine, l'Italie imagina
d'accorder des papiers à ces futurs transfuges tandis que la France
invoquait, pour organiser le contrôle aux frontières, l'accord de
Chambéry qui structure une coopération policière et douanière avec
centre de rétention et contrôle mobile au niveau des postes de
Vintimille et de Modane : ces postes sont depuis quelques jours
saturés de flots d'arrivants tunisiens ; 3 200 d'entre eux ont
fait l'objet d'arrestation par la police qui n'en a libéré que la
moitié, et le Premier ministre François Fillon a redit que la France
n'accepterait pas ces demandeurs d'emploi supplémentaires. Pourtant, ces
25 000 immigrants, à supposer qu'il soient tous tunisiens, ne
représentent qu'à peine 2% des résidents tunisiens réguliers en France.
C'est de ce même contrôle aux frontières que menacent les pays
frontaliers comme l'Allemagne et l'Autriche, ou même plus lointains
comme la Belgique. Ce test de la solidarité européenne appelé par
l'Italie s'est donc soldé par une véritable crise intra-européenne,
susceptible de provoquer une révision de la politique migratoire dans un
sens plus restrictif.
La droite européenne chassant sur les terres de l'extrême droite,
particulièrement la droite française déjà en campagne électorale,
pourrait reconsidérer même l'immigration légale. C'est du moins ce dont
menaçait Claude Guéant, ministre de l'intérieur, au lendemain de
l'adoption par le Sénat d'une énième loi française sur l'immigration.
Le droit d'asile aussi est appelé par les mouvements xénophobes à être
révisé à la baisse. Actuellement, le taux de satisfaction des demandes
d'asile est en moyenne de 27% en Europe, mais contrairement à ce que
prétend Marine Le Pen, il n'est en France que de 14% contre 36 % en
Allemagne et 25% au Royaume-Uni.
La forteresse européenne va davantage hérisser sa herse et n'abaisser
son pont-levis que pour une immigration strictement choisie. Déjà des
patrouilles italo-françaises sont chargées de surveiller les abords des
eaux territoriales tuniso-libyennes, ce qui n'empêche pas que des
tragédies se succèdent, dernièrement à Pantelleria. Enfin, si les actes
racistes antisémites ont diminué en France, à l'inverse les agressions
contre les musulmans se sont multipliées. D'une façon générale,
l'islamophobie progresse et se nourrit de publications témoignant de
l'aversion des européens de souche judéo-chrétienne pour les musulmans
fussent-ils réguliers et bien intégrés, et les gouvernements eux-mêmes,
sans parler des représentations des extrêmes-droites de plus en plus
fortes, relayent cette fracture civilisationnelle.
Au cours de sa visite en Tunisie, monsieur Barroso avait bien des
compliments pour la révolution tunisienne mais c'est un deal qu'il est
venu proposer au gouvernement tunisien : voici une grosse enveloppe
mais débarrassez-nous de vos immigrés, ne brouillez pas l'unité
européenne.
Que va donc faire le chef du gouvernement tunisien Beji Caïd Essebsi
qui, il y a une dizaine de jours, se félicitait devant l'Instance
supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution d'une
entente à l'amiable avec Silvio Berlusconi, via leurs ministres
respectifs de l'intérieur : 800 tunisiens seraient rapatriés et
tous les autres resteraient en goguette en Europe ? La Tunisie
va-t-elle prendre les devants et inviter ses ressortissants à regagner
leurs pénates sous peine d'une chasse à l'homme en Europe et de
probables agressions contre ceux qui sont soumis aujourd'hui aux pires
humiliations dans des camps de rétention ? Ou va-t-elle les voir
ramener de force, malgré eux et en désaveu des déclarations de monsieur
Caïd Essebsi, passant ainsi sous les fourches caudines
européennes ?
En tout état de cause, l'opprobre reviendra sur l'Europe, qui bombarde
dans un élan « humanitaire » la Libye d'où des vagues de
dizaines de milliers de réfugiés sont accueillis en Tunisie dans le
chaos d'une transition démocratique que cette même Europe prétend
assister.
Nadia Omrane
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