Mais que se passe-t-il donc à Djerba ?
L'île de Djerba connaît en ces lendemains de Révolution de multiples
exactions et dépassements des règlements qui ne font que s'accroître
impunément en l'absence d'une police municipale et d'agents de contrôle
technique qui, malgré la présence et les injonctions de trois maires en
poste, n'assurent pas leur travail depuis des semaines.
Ainsi, les premiers venus, audacieux et opportunistes, confortés par
cette absence des instances de contrôle assaillent les terres agricoles
protégées, les côtes et même le domaine public maritime pour y ériger
des constructions diverses, locaux à usage commercial, hangars, dépôts,
maisons qui portent préjudice au statut des terres et oblitèrent
l'avenir.
L'Association de sauvegarde de l'île de Djerba (ASSIDJE), a fort à faire
pour réagir avec les moyens dont elle dispose et qui restent
insuffisants pour interdire les chantiers intempestifs qui poussent ça
et là sans aucun contrôle ni conseil. Quand on sait l'enjeu de la
préservation des terres agricoles et des sites de côte à Djerba, on ne
peut que déplorer le laisser faire qui s'accentue aujourd'hui et atteint
sa côte d'alerte. Faire reculer les fronts d'urbanisation galopante au
bord des routes, dans la campagne, et préserver le patrimoine naturel et
architectural millénaire de l'île devrait être l'objectif prioritaire
des services municipaux et des services de l'Institut National du
Patrimoine.
Par ailleurs les habitants de l'île et des houmas ont fort à
faire pour protéger leurs pratiques, leurs lieux de culte et leurs
usages ancestraux face à de nouveaux intrus qui viennent s'ériger en
docteurs de la loi religieuse et des pratiques licites. On sait qu'à
Djerba il existe des mosquées de bord de mer qui à l'origine servaient
aussi de borj de contrôle de la côte.
Ces mosquées sont traditionnellement utilisées par les familles à la
belle saison pour des séjours, des ziaras, voire des
célébrations de fêtes familiales. On y dort, on y mange, on y chante,
on se recueille et passe la belle saison en profitant de l'air marin. À
Sidi Salem, mosquée de côte située près de Houmt Souk, un individu s'est
récemment octroyé le droit de bâtir une enceinte autour de la mosquée et
d'intimer aux habitants de la houma que dorénavant celle-ci
serait réservée uniquement à la prière et aux prêches. Fort heureusement
les habitants ont réagi.
À Sidi El Bahri, la salle de prière a été démolie sans autorisation par
un individu qui disait vouloir étendre la mosquée. Ainsi disparaissent
sous nos yeux des joyaux du patrimoine architectural ibadhite de l'île,
de véritables poèmes d'architecture pour qui sait les voir.
A Sidi El Bachir, la mosquée et madrasa de la houma de Oualgha
près de Houmt Souk, restaurée par l'Institut National du Patrimoine et
promise à devenir un musée des mosquées de l'île avec présentation de
maquettes, a été investie par un groupe d'individus qui ont réclamé d'en
faire un lieu strictement réservé à la prière et aux soirées religieuses
spéciales. Là encore, les habitants, les familles et l'association de
protection de l'île ASSIDJE ont pu réagir à temps.
Enfin, on entend ici et là que les imams ibadhites de certaines mosquées
djerbiennes ont aussi du fil à retordre avec de nouveaux groupes et
imams salafistes venus pour les détrôner de leurs fonctions
ancestrales.
Le patrimoine naturel, écologique et architectural de l'île est en
péril, la situation déjà préoccupante avant la Révolution empire de jour
en jour. Le patrimoine des usages et des pratiques sociales et
religieuses également se heurte aux nouveaux venus qui s'érigent en
docteurs de la loi religieuse et de l'orthodoxie rigoriste.
Jusqu'à quand laissera-t-on faire sans impunité de telles
pratiques ? Pourquoi les services municipaux ne sont-ils pas
fonctionnels aujourd'hui ? Est-ce que Djerba est trop loin de nous
et de nos préoccupations pour que l'on continue à y tolérer ces
dépassements et ces outrages ? Jusqu'à quand les habitants
pourront-ils réagir et se défendre ?
Il est urgent aujourd'hui de rassembler les énergies, les consciences et
les moyens politiques pour arrêter le massacre d'une île dont les enjeux
humains, sociaux et touristiques ne sont plus à démontrer.
Leïla Ammar
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