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20 mars 2001 - 20 mars 2011 : droit d'inventaire pour un nouveau départ

Il y a dix ans, au matin du 20 Mars 2001, dans la clandestinité, l'inquiétude et le bricolage, nous lancions le numéro zéro d'Alternatives citoyennes en mettant en ligne un texte qui nous avait été confié : rédigé par un collectif d'intellectuels et d'acteurs de la société civile regroupés autour du regretté Professeur Mohamed Charfi, ce texte fondateur intitulé « Le Manifeste du 45e anniversaire de l'indépendance de la Tunisie », dénonçait la déchéance de la République tunisienne confisquée par une oligarchie mafieuse, et proposait de rendre à la politique sa dignité.

Depuis, il aura fallu dix ans pour que, dans la continuité des luttes démocratiques qui n'auront jamais cessé depuis l'indépendance, une coalescence de résistances plurielles assure l'effritement du socle d'une voyoucratie à laquelle, le 14 janvier 2011, une jeunesse impétueuse et audacieuse porta, sans atermoiement ni compromis, le coup de grâce de ce seul mot : Dégage.

Avec d'autres pionniers comme Tunisnews (panorama de presse exhaustif et quotidien dès 2000), TUNeZINE (joyeux, donc subversif, site lancé en 2001) du jeune Zouhair Yahyaoui trop tôt disparu, Réveil Tunisien (dès 2002), Nawaat (blog collectif lancé en 2004), et bien d'autres sites, listes de diffusion, forums de discussion, blogs, dont certains sont toujours très actifs, Alternatives citoyennes a été initié en 2001 sous forme de véritable journal en ligne mensuel avec sa ligne éditoriale, ses rubriques et son équipe de contributeurs occasionnels ou réguliers. Bien évidemment censuré comme les autres jusqu'à la révolution du 14 janvier 2011, le site web hébergé en France était complété par une liste de diffusion pour faire parvenir chaque article à ses abonnés en Tunisie.

Quels que soient leurs formes, leurs auteurs et leurs audiences, ces initiatives sont toutes caractérisées par leur indépendance, y compris et peut-être surtout financière d'autant qu'elles n'ont bénéficié d'aucun soutien à cet égard. Malgré quelques périodes d'interruption forcée par la vie, Alternatives citoyennes a constitué, au même titre que les autres pendant toutes ces années de plomb, le noyau dur initiateur d'une nouvelle forme de contestation retranchée sur Internet. En 2005, après le Sommet mondial sur la société de l'information, de nouveaux jeunes talents, investissant cette toile subversive, ont tissé à travers les blogs, réseaux sociaux (Facebook, Twitter, ...) et autres think tanks numériques et évènements récents plus ou moins hype comme TEDxCarthage, le maillage interactif et solidaire dans lequel fut, aussi, pris au piège le défunt régime tunisien.

Au regard de l'écriture révolutionnaire qui par le sang de nos martyrs - ces Tunisiens « d'en bas », éternels oubliés - ouvrit une nouvelle page de notre histoire, nos inscriptions immatérielles paraissent bien dérisoires. Néanmoins, elles constituent notre contribution à la mémoire collective que notre génération lègue aux plus jeunes, dans un processus inévitable de transmission. Nous y mettons l'immense espoir d'un passage de témoin accéléré, en ces temps où l'information va si vite qu'elle en oublie souvent le recul et la distance critiques, si nécessaires pourtant.

Sommée d'être vigilante, notre jeunesse y trouvera matière à exercer son droit d'inventaire, tout à la fois dans un devoir de mémoire et dans une obligation analytique afin de pouvoir surnager sur la somme des mensonges, des usurpations, des impostures et des immoralités, sous laquelle nous avons failli nous même être engloutis parfois, tant ces pratiques sont répandues bien au-delà des seuls collaborateurs du pouvoir déchu.

Cette exploration méthodique du passé permettra une reconnaissance des mécanismes institutionnels, des pratiques politiques, des enjeux économiques, des rapports sociaux et de la fracture identitaire ainsi que de l'agglomérat des renonciations, des allégeances et des forfaitures individuelles qui ont conduit à ce désastreux délitement de la République tunisienne.

Notre longue traversée du journalisme et de l'engagement citoyen indépendants nous place en position d'accompagner cette nécessaire et difficile interrogation d'un passé compliqué afin que nous puissions comprendre qui au juste fut qui et qui au juste fit quoi. Chaque fois que l'opacité, la falsification et les opportunismes récupérateurs tenteront de brouiller les pistes, nous produirons les témoignages de parcours tortueux, de pratiques manipulatrices et du double langage dont notre jeunesse ne veut plus : aujourd'hui, refusant qu'on lui raconte des histoires, elle entreprend elle-même son propre story telling.

En parallèle de ce regard dans le rétroviseur pour ne plus se fourvoyer, et bien que cette même jeunesse pousse gentiment les seniors de plus de 40 ans (!) vers la retraite, nous demeurons malgré tout résolus à nous engager comme une force de proposition alternative. Nous le ferons de la position qui a toujours été la nôtre, celle de « Tunisiens d'ici et d'ailleurs », incluant la diaspora tunisienne souvent forcée à s'exiler et qui aujourd'hui, de l'étranger, revendique aussi et légitimement sa part de la République. Et parce que nous ne sommes pas dupes des fortes implications géopolitiques de notre révolution, nous seront spécialement attentifs aux interférences américano-euro-méditerranéennes dans la conduite de notre souveraineté.

Sous un format plus libre, notre démarche demeurera celle de notre plate-forme inscrite dans le numéro zéro d'Alternatives citoyennes : participative, citoyenne, résolument moderniste, progressiste, rationaliste, avec en son coeur une forte dimension sociale. En dehors des réseaux, des chapelles et des coteries, en toute indépendance d'esprit, sans la moindre prétention ni au « Savoir » ni au « Pouvoir », et disposés à nous prêter nous aussi à notre propre autocritique, nous soutiendrons et relaierons les initiatives citoyennes dont nous partagerons les valeurs et le projet de rebâtir une société plus juste et plus épanouie, pour contribuer à refonder une tunisianité exemplaire, démocratique, universaliste.

Pour la rédaction d'Alternatives citoyennes,
Nadia Omrane et Meryem Marzouki
Tunis, Paris, le 20 mars 2011

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