Tariq Ramadhan interdit d'entrée en Tunisie ?
Petites et grandes impostures
Son charisme crève l'écran et époustoufle les plus réfractaires. Ses adversaires le reconnaissent hyper brillant.
Les enfants de Descartes envient son rationalisme. Tariq Ramadhan, proscrit des chaînes françaises, était samedi 6
octobre chez FOG, Franz-Olivier Giesbert, dans son émission qui « met l'écran au service de l'écrit ».
Si, il y a quelques mois, il y avait pour partenaire presque consensuel, en tout cas convivial, Régis Debray, cette
fois-ci son contradicteur était l'économiste Alain Minc. On hésite à qualifier d'intellectuel ce conseiller de la
haute finance et des Princes, tout particulièrement du président Sarkozy. Un intellectuel n'escroque pas son
monde, Alain Minc oui, puisqu'il reconnaît lui-même avoir fait trois ans de traversée du désert pour un
malheureux petit plagiat de Spinoza. Le plagiat, c'est l'équivalent du dopage pour un intellectuel de haute
voltige. Pas un mot de cette tricherie de la part des hôtes de celui qui revient sur les plateaux pour la promotion
de son livre, une nouvelle et particulière histoire de France. Libre à lui de regarder le passé comme il l'entend,
mais aussitôt le voilà en train d'agresser sur son propre passé l'intellectuel musulman Tariq Ramadhan, venu pour
sa part présenter une retouche fondamentale de sa doctrine Islam, le réformisme radical.
Pas un mot de cette évolution non plus dans la bouche d'Alain Minc, qui n'a certainement pas lu le livre et qui,
visiblement, ne connaît rien à l'Islam. Mais son job, c'est d'agresser, de réduire, d'humilier, de
déstabiliser :
que pensez vous de l'annulation du mariage d'une jeune française musulmane non vierge, pour mensonge (on aurait
envie de dire sur le produit, si l'affaire n'était si triste) ? Tariq Ramadhan répond en juriste, comme l'élite des
juristes français : Il sait lire et dire le droit dans sa procédure. Oui, il y a eu un mensonge et donc,
conformément à la loi, annulation ; autant qu'en Angleterre, un jeune homme, ayant menti à sa jeune épouse au sujet
de la détention d'un doctorat, a vu son mariage annulé. Un diplôme vaut-il un hymen, attestation de virginité ?
Sans doute, du point de vue du droit qui sanctionne le mensonge et l'abus de confiance et non pas le manquement à
une qualité académique ou sexuelle !
Là où Ramadhan s'échappe, c'est quand il ne dit mot de l'exigence virginale imposée aux jeunes musulmanes, de cet
archaïsme qui les chosifie, renvoyant au tout du fondamentalisme, à son essence même : l'appropriation du corps des
femmes.
Grande imposture de celui qui se présente désormais en réformiste radical de l'Islam, dont il voudrait convertir
les ouailles en des citoyens modernes d'Occident ? Ou simple stratégie du positionnement qui est le sien, réformer
de l'intérieur la citadelle islamique ? Dès lors, se comprendrait le fait qu'il demande un moratoire pour
l'exécution des châtiments corporels et pour l'application de la peine de mort, sans demander l'annulation des
premiers ni l'abolition de la sentence capitale. Le décalage est là : arrogant et ignorant, absurde, Alain Minc
demande la disparition de ces (sans doute, monstrueuses) exigences des textes sacrés. Mais Ramadhan ironise :
expurge-t-on la Bible ? Prophète en son pays, Ramadhan plaide pour l'évolution de ces textes, en somme pour
l'Ijtihad en un « réformisme radical ». Surprenant Ramadhan qui anticipe même sur les nouvelles
modernités, il réclame lui aussi plus d'humanité dans le traitement des animaux et une éthique écologique en terre
d'Islam.
Comme on l'attendrait aussi vibrant, aussi novateur, à l'égard des femmes, des laïcs, des athées, des homosexuels,
de tous les iconoclastes qu'une stricte observance de l'Islam proscrit !
Car n'est-ce pas dans son pays d'origine, l'Egypte où a pris naissance sa généalogie des Frères musulmans, que ces
« marginaux » sont sévèrement punis et qu'il est même prévu une peine capitale pour certains d'entre eux ? Ramadhan
évolue en équilibriste entre deux mondes, sur le fil du rasoir. Interdit de séjour en Arabie saoudite pour avoir
demandé le moratoire, il l'est aussi, dit-il, en Tunisie. Mais les raisons ne sont pas les mêmes, venues d'un pays
modèle en matière de droits des femmes et qui a suspendu depuis des années l'application de la peine de mort.
Tariq Ramadhan, subtil tricheur, entretient la confusion. Or, s'il est interdit d'entrer en Tunisie, c'est surtout
parce qu'il accuse de déficit démocratique la patrie des droits des femmes musulmanes, le pays musulman champion de
la féminitude, et c'est surtout parce qu'on redoute en Tunisie son aura et son efficacité prosélyte d'ingénieux
rhétoricien.
Pourquoi donc ne pas l'affronter directement en l'incitant à venir débattre sous nos cieux de son réformisme
radical, afin qu'on ne puisse pas conclure : à féminité émancipée, citoyenneté aliénée et à imposture, imposture et
demie.
Nadia Omrane
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