« Et s'il n'en restait qu'un, Georges Adda serait celui-là »...
La gauche orpheline
« Et s'il n'en restait qu'un, je serais celui-là... ». Cette promesse hugolienne, Georges Adda la portait comme son
propre engagement, irrédentiste, infatigable, jusqu'au bout : il était « une force qui va ».
Deux souvenirs illustrent à mes yeux ce positionnement fort, singulier, devant les combats nécessaires auxquels
d'autres, plus par la faiblesse de leurs convictions que par la force de leur âge, se dérobent.
Ainsi, déjà dans ses quatre-vingts ans, il marqua sa réprobation de la mise en résidence surveillée, quasiment à
l'isolement, du premier président de la République tunisienne, Habib Bourguiba. Il eut, dans une lettre
personnelle adressée aux autorités actuelles, les mots pour dire que cette offense et cette injustice faites au
père de la nation étaient irrecevables. Face à un scandale autrement plus monumental, il porta, solitaire, sa
pétition jusqu'à l'ambassade de Chine à Tunis pour protester contre le massacre de Tien An Men.
Il était homme de convictions et d'action.
On ne saurait énumérer ici la somme de ses innombrables engagements : militant communiste contre l'occupation
française, jusque dans ses geôles désertiques, aux heures où le soleil des espérances ne se levait qu'à l'Est,
engagé dans toutes les luttes démocratiques en un statut de base ou comme président de comités de défense, par
exemple pour une amnistie générale de tous les prisonniers politiques, il était du côté du droit.
Le droit des
travailleurs d'abord, dont il ne cessa, la plume à la main et le drapeau de l'UGTT en oriflamme, de hisser le
légitime combat ; le droit des Palestiniens surtout, se désolidarisant absolument de toute justification à
l'existence de l'État d'Israël, sachant l'insoutenable injustice de la Naqba - même si la force des choses
conduit aujourd'hui à ne pouvoir faire autrement que d'accepter au prix de quelques négociations un état de fait,
le fait des armes et d'un droit international à plusieurs vitesses.
Mais jamais du fond de ce qu'il croyait vraiment, il ne soutint la moindre revendication d'un droit à un État juif
dont il renvoyait ironiquement la constitution en Bavière ou en Saxe, si d'aventure quelqu'un réclamait réparation
de l'holocauste nazi. Cela n'en faisait pas pour autant un négationniste, un renégat de sa propre généalogie, de sa
propre culture ; simplement il disait « le peuple juif n'existe pas » tant, en internationaliste et en patriote à
la fois, il savait de quels liens et patrimoines de militance fraternelle ainsi que de quel socle de droits égaux
se tissent les appartenances.
Par-dessus tout, il était un intellectuel, travailleur sans repos, il arpentait les rencontres-débats, avait
toujours une intervention originale, combative. C'était un laïc, sans doute agnostique, me disant au crépuscule de
sa vie et contre toutes les consolations d'un au-delà, qu'il préférait « regarder lucidement où il allait ». Il
résista du plus qu'il pouvait, car c'était un résistant. Mais la nature a ses lois...
Avec lui, s'estompe un pan de notre histoire. Beaucoup de monde l'accompagna à sa dernière demeure en un caveau
laïc. On eût pu attendre un hommage national pour celui qui hissa si digne et si libre sa tunisianité. Qu'importe
ces mesquineries puisque de son éternité, il demeure comme le phare d'une gauche politique et syndicale sur terre
orpheline.
Nadia Omrane
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