Face à face Obama-Mc Cain
Sommes-nous véritablement tous Américains ?
Vendredi dans la soirée, à l'aube de samedi dernier pour notre fuseau
horaire, s'est déroulée la première confrontation télévisée des deux
candidats à la Maison blanche. Étions-nous à ce moment là, comme le
qualifiait une américanologue, véritablement « tous Américains » ?
Certes, la curiosité, l'attente, l'espérance même de ce que pourrait
devenir la prochaine présidence de la première puissance du monde,
pouvaient-elles justifier cette posture unanime, tant il est vrai
qu'il se dessine, en la personne de chacun de ces deux challengers, une
vision duelle et différente de l'American dream. L'un, chenu, galonné,
discipliné, droit dans ses bottes, est dans la continuité de son
magistère militaire, enseignant à l'autre « qui n'a pas compris », qui
« n'a pas encore réalisé », sa propre expérience d'homme de terrain.
L'autre, juvénile en regard, prétend promouvoir pourtant une « plus
large vision » de l'avenir. N'est-ce pas cette projection plutôt que
sa couleur pain brûlé, si peu habituelle - malgré les Colin Powell et
Condoleezza Rice - dans cet aire de domination blanche, qui le tient
dans une parenté, comme un demi-frère de ce monde d'en bas, un cousin
auquel l'exil aurait donné les ailes de la puissance et de la gloire ?
Pourtant ce que promet Barack Obama, en matière de politique étrangère,
le situe dans la même généalogie hégémonique que son concurrent. Sans
doute ne professe-t-il pas le même engagement martial que Mc Cain.
Dans une réciproque agitation de petits bracelets portés au poignet en
mémoire de jeunes sergents morts à Bagdad, Mc Cain le vétéran de
toutes les guerres maudites se refuse à « rendre l'Irak aux Irakiens », comme s'y engage Obama.
L'Irak, quel Irak ? Après ce cadeau empoisonné d'un pays dévasté à sa
population éclatée, Obama veut retourner les foudres du Pentagone
contre l'Afghanistan, au motif que ce pays est (assurément) la
matrice du jihad fondamentaliste. D'un saccage à l'autre - car on ne
voit pas comment en dehors d'un pilonnage systématique des zones
frontalières, encore que les Talibans rôdent autour de Kaboul, ce
nettoyage salvateur des abcès du mal pourrait s'accomplir - Obama
prévoit déjà un triplement des forces américaines en Afghanistan, en
dehors des centaines de milliers de soldats de l'OTAN : une véritable
occupation du pays. On n'aura pas entendu évoquer de véritable
solution politique ni de lutte contre la corruption qui gangrène une
gouvernance de supplétifs afghans ; à peine aura-t-il profilé
l'éradication du commerce de la drogue qui finance les Talibans. C'est
tout juste s'il ne faudra pas rendre grâce à Obama de ne pas projeter
des frappes chirurgicales contre les poches terroristes creusées au
Pakistan, que promet Mc Cain, prêt pour sa part a faire retentir le
bruit des bottes d'Afghanistan en Iran et jusqu'au Caucase ! Dans sa
fantasmagorie de diables moult fois réincarnés, Mc Cain voue aux
gémonies Ahmadinejad et voit « dans les yeux de Poutine inscrites
les lettres K.G.B. ». Combien alors Obama semble en regard doux,
candide, « naïf » même ironise Mc Cain, car le novice - comme s'en
moque son vieux challenger - ne saurait pas que pour dîner
avec le diable, il faut une longue cuillère. Barack Obama, en effet,
prône le dialogue et les négociations sans « conditions » mais avec
quelque « préparation », avec un interlocuteur diabolisé par Mc Cain.
Bien qu'Obama prenne le volant avec des gants et mette la pédale
douce, n'est-ce pas la même course engagée vers toujours la même
domination unilatérale américaine, envers et contre toutes les
concurrences : celle d'une Russie qui se rêve toujours impériale,
comme l'avait hissée Pierre le Grand, et surtout celle d'une Chine
éveillée d'une immémoriale glaciation et à laquelle les USA sont
redevables de trillions de dollars. Devant cette exigence
d'endiguement des puissances émergentes trop compétitives, la lutte
contre le terrorisme est un alibi vertueux pour les candidats, d'autant que c'est la Chine qui financerait, selon
eux, le jihadisme
perturbateur d'Afghanistan en Arabie ! Peut-être le diable se
cache-t-il aussi dans les détails : serait-il bon de rappeler combien
le pétrole alimente ce brasier d'enjeux explosifs, de l'Irak en
Afghanistan et jusqu'au Caucase et à la mer Noire, les routes du
pétrole et les gazoducs y croisant l'avenir du monde. Plus soft, à
défaut d'enflammer la poudre, Obama nous la jette aux yeux : ce
« grand ami d'Israël » qui n'a pas une parole de consolation pour les
Palestiniens en ces temps de regain des colonies, exhibe un visage et
un message avenants. Il sait bien quels lobbies flatter, quels
intérêts préserver. Il propose une image restaurée, plus attractive
pour tous ceux qui croient encore dans les promesses de cette
formidable démocratie intérieure, de cette autorité dominatrice
extérieure. Sur l'essentiel, ce patriote qui porte la cocarde étoilée
au revers de son veston est l'homme de la relève, de la transmission.
Mais en ce 21ème siècle, l'Amérique au crépuscule de son histoire
financière et économique dont elle ne peut relancer la machine qu'au
travers de nouvelles guerres impérialistes, appréhende de se voir
dépasser par une Chine démesurée à laquelle un nouveau tour de planète
donne la prééminence, sinisant ainsi le grand échiquier du monde. Non,
décidément, nous ne sommes pas tous Américains.
Nadia Omrane
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