Alternatives citoyennes
Des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
Mai 2008
Autour d'un appel au boycott du congrès méditerranéen de la santé de la reproduction
Faut-il s'opposer à l'invitation de savants israéliens en Tunisie ?

Le Dr Elyes Ben Miled, premier gynécologue tunisien à mener à son terme une fécondation in vitro le 21 mars 1988 [1], nous tend scandalisé le texte d'une pétition qui lui est parvenue. Elle est « anonyme », déplore le médecin, autant malheureux de cette lâcheté que du contenu du texte.

Démarrant par « chers confrères », elle doit émaner de médecins qui n'ont pas le courage de l'assumer publiquement. Des médecins tunisiens ? On ne saurait véritablement le dire, car les auteurs, dans une référence communautaire ethnique plus que scientifique, en appellent à la conscience de « médecins musulmans et arabes » qui ne sauraient souffrir que, pendant que les enfants palestiniens tombent sous les tirs sionistes, un médecin israélien soit invité au Congrès méditerranéen de santé de la reproduction qui doit se tenir du 15 au 18 mai à Hammamet, à l'initiative de la Société tunisienne de médecine de la reproduction. Les auteurs de la pétition appellent donc au boycott de ce congrès.

Le Dr Elyes Ben Miled nous explique qu'une sommité mondiale de la médecine reproductive, le Pr. Bruno Lunenfeld, éminent spécialiste de la physiologie ovarienne et grand innovateur de technologies reproductives, accessoirement de nationalité israélienne (« mais la science n'est pas affaire de nationalité ! » ) était en effet convié à ce congrès, mais que des problèmes de calendrier lui ont fait décliner l'invitation. Puis, le Dr Ben Miled déplore ce manque d'ouverture d'esprit, ou tout simplement d'intelligence, qui amène à refuser de débattre avec un savant de grande tenue, alors même que médecins israéliens et palestiniens se retrouvent parfois, côte à côte, à soigner des enfants palestiniens.

Ce genre d'attitude problématique est récurrent en Tunisie et mérite qu'on soulève la question clairement : où commence la compromission, où s'arrête la concertation ?

En 1998, il y a 10 ans, un sexologue sfaxien, le Dr Radhouane Mehiri, organisait à l'hôtel Mechtel, le premier congrès international de sexologie en Tunisie. Quelques participants israéliens portant kipas et longues tresses orthodoxes montèrent alors à la tribune, tandis qu'une bonne moitié de l'assistance, se levant comme un seul homme, quittât la salle.

L'affaire fit grand bruit, d'autant que la rencontre sur un tel sujet était la première du genre.

Nous l'avons rapporté dans un article sur la question sous le titre « Vous saurez tout sur le zizi ! » (petit clin d'oeil à Pierre Perret), que le préposé aux bonnes moeurs langagières du journal concerné eut vite fait de reformuler, tout en censurant l'évocation de l'incident quasi diplomatique : car Israël tenait alors un semblant de représentation à Tunis, avec siège dans un hôtel de la capitale, disait-on alors.

Mais l'expression d'un tel désaccord peut conduire parfois à de graves débordements : ainsi, une manifestation consternante d'étudiants à la faculté des lettres de la Manouba protesta l'an passé contre un colloque à la mémoire du Pr. Paul Sebag, Tunisien de culture juive et laïc qui apporta une grande contribution à la sociologie tunisienne.

Tout récemment, à un autre propos et dans un tout autre contexte, des écrivains tunisiens refusèrent de participer à la Foire du Livre de Paris dont l'invité d'honneur était l'État israélien qui célèbre ses soixante ans d'existence - de Naqba, rectifient les Palestiniens. L'appel au boycott avait été lancé par des intellectuels arabes et musulmans, Tariq Ramadhan en première ligne.

Voilà des situations différentes qui ne doivent pas susciter forcément des réactions à l'emporte-pièce. Mais lorsqu'on voit assis à une même table de débat, l'ambassadeur israélien à Paris et le grand intellectuel palestinien Elias Sambar, Observateur permanent de la Palestine auprès de l'Unesco, on est appelé à moduler sa propre posture.

Notes

[1] Voir notre autre article publié ce jour : « Le premier « bébé-éprouvette » tunisien a 20 ans. L'autre façon d'être moderne (avec le Dr Elyes Ben Miled) ».

 

Nadia Omrane. 14 mai 2008
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